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AMM : Stéphane Le Foll joue cavalier seul

L’affaire concernant la proposition de transfert des décisions d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytosanitaires de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) est particulièrement éclairante sur le manque d’écoute du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll. Toute la profession agricole s’y oppose. Les entreprises concernées la déplorent et la majorité des associations écologistes la rejettent. Pire, après avoir enterré l’audit interne réalisé par Hervé Gillet, membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), et François Signoles, inspecteur général de l’agriculture, au motif que leurs travaux aboutissaient à une conclusion opposée à la sienne, le ministre a décidé d’ignorer l’avis de l’immense majorité du conseil d’administration de l’Anses, qui a pourtant eu plusieurs occasions de faire connaître son opposition au projet du ministre.

Ainsi, Mme José Cambou, représentante de France Nature Environnement au CA de l’Anses, a clairement indiqué que ce transfert de compétences entraînerait un mélange des genres inacceptable entre l’évaluation des risques et la décision de gestion. De son côté, Hubert Vermeersch, de la Confédération nationale des associations familiales catholiques, par ailleurs président du Comité d’orientation thématique Santé et protection des végétaux de l’Anses, ne cesse de rappeler que toutes les parties prenantes de son comité ont exprimé un avis d’opposition franche à ce sujet. Elles ont évoqué de multiples raisons, parmi lesquelles le risque de perte de crédibilité de l’agence, dont le caractère purement scientifique et donc consultatif disparaîtrait. C’est également l’avis du représentant de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), Pierre-Yves Montéléon, qui rappelle que sur les cinq collèges de l’agence, quatre se sont clairement prononcés contre.

Et ce n’est pas tout. Charles Pernin, le représentant de la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie, s’étonne de la façon de procéder du ministère, qui a pris sa décision avant même d’avoir consulté les personnes concernées. En termes de gouvernance, on peut mieux faire…

Le Foll cède à Générations Futures

Qu’importe cette levée de boucliers ! Stéphane Le Foll persiste et signe. Il a même adressé dès octobre 2013 une lettre de mission à Jean-Pierre Chomienne (CGAAER) et Claude Lavigne (Inspection générale des affaires sociales), non pour évaluer la faisabilité de ce transfert, mais pour appuyer sa mise en œuvre. Attendus pour la fin de l’année, les résultats de cette mission ne sont toujours pas disponibles. Ils n’ont donc pas pu «éclairer les débats parlementaires», comme le souhaitait le ministre.

C’est donc sans connaître le résultat des auditions de la mission et avec un avis défavorable de la quasi-totalité des parties prenantes que le ministre a défendu son projet devant la Commission des affaires économiques. Par la même occasion, il a révélé que Générations Futures (GF), l’association dirigée par l’élu écologiste François Veillerette, était bel et bien à l’origine de cette malheureuse décision. «Il y a quelques mois, un quotidien du soir a publié un article dans lequel des associations dénonçaient le retard pris par le ministère de l’Agriculture dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires après que l’Anses avait rendu ses avis. On sous- entendait que si retards il y avait, c’est que le ministre souhaitait ne pas suivre les avis de l’Agence ; on lui attribuait ainsi une responsabilité politique qui n’existe pas », a indiqué le ministre.

Stéphane Le Foll a beau expliquer qu’il s’agit de faciliter le processus d’homologation de produits phytosanitaires tellement nombreux que ses services en seraient débordés, une lecture attentive des débats parlementaires montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire !

En réalité, son projet répond à une exigence du patron de Générations Futures «La décision de retirer à la Direction générale de l’alimentation (DGAL) l’autorisation de mise sur le marché des pesticides pour la confier à l’Anses est saluée par François Veillerette», remarque ainsi le site altermondialiste Bastamag. François Veillerette livre en effet une guerre inlassable à la DGAL, avec pour seul objectif de dresser un maximum d’obstacles techniques à l’agriculture conventionnelle, son association étant généreusement financée par le lobby de l’agriculture biologique.

Toutefois, pour le patron de GF, ce transfert d’attribution de compétences de la DGAL à l’Anses n’est qu’une première étape. Son objectif reste en effet la création d’une instance inter- ministérielle dans laquelle le poids des ministères de l’Environnement et de la Santé suffirait à bloquer celui du ministère de l’Agriculture. C’est pourquoi il a rédigé un projet d’amendement à l’article 22 de la Loi agricole, afin qu’«un décret en Conseil d’État précise de quelle façon les ministres en charge de l’Agriculture, de l’Environnement et de la Santé, valident conjointement les décisions proposées par l’Anses en matière de délivrance, de modification ou de retrait des différents types d’autorisations préalables à la mise sur le marché et à l’expérimentation des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l’article L. 253-1».

Tout en restant assez flou sur le mécanisme de validation, cet ajout est en revanche explicite quant à son objectif : «Il s’agit ici de favoriser la sortie du travail sur l’homologation des pesticides du seul ministère de l’Agriculture, tout en ajoutant ce paragraphe qui permettra de garder la responsabilité finale de la signature des autorisations aux trois ministères concernés. Ne pourront être homologués que des produits ayant les 4 feux verts : Anses, en charge du travail technique, plus les 3 ministères», explique le militant dans sa note argumentaire à destination des élus.

Un député au service des écologistes

Son souhait a été exaucé grâce à la diligence du député socialiste Gérard Bapt. S’inspirant du projet de GF, le député de Haute-Garonne a proposé la création d’un nouvel organisme composé des représentants des cinq ministères de tutelle de l’Anses. Exactement ce dont rêvait François Veillerette !

«Le conseil d’orientation [le nouvel organisme] aurait ainsi pour vocation de faire la synthèse de l’ensemble des éléments d’appréciation -avis scientifique et remontées de la consultation publique désormais obligatoire pour toute décision ayant un impact environnemental- permettant de prendre des décisions fondées sur l’intérêt public», indique Gérard Bapt, dont l’article 22 bis a été adopté sans la moindre discussion à l’Assemblée nationale. Un article dont le fonctionnement devra être défini ultérieurement… par décret !

L’article 22 bis de la loi d’avenir agricole répond à une exigence explicite des alliés écologistes du gouvernement

Or, comment un tel conseil pourra-t-il se prononcer sereinement sur les quelque 2 000 décisions qui sont délivrées chaque année ? Quel sera le rythme des séances ? Avec une réunion par semaine, vacances comprises, ce comité pourra-t-il véritablement «faire la synthèse» de 40 dossiers ? Quels seront les moyens mis à la disposition des représentants de chaque ministère afin qu’ils puissent décider correctement ? Et que se passera-t-il lorsqu’un dossier ne recueillera pas d’avis unanime ? Aucune de ces questions n’a fait l’objet du moindre débat.

Mais surtout, face à l’Anses –dont la mission reste l’évaluation des risques, et non celle des bénéfices–, au ministère de la Santé et à celui de l’Environnement, aucune instance ne sera en mesure de présenter à leur juste valeur les bénéfices économiques, techniques, voire sanitaires, permettant une évaluation équilibrée entre les risques et les bénéfices.

L’article 22 bis de la Loi d’avenir agricole répond donc à une exigence explicite des alliés écologistes du gouvernement. Il ne s’agit pas de «calmer les inquiétudes de ceux qui s’alarmaient, jusque sur ces bancs, du risque de confusion, voire de conflit d’intérêts, qui pourrait surgir si l’évaluation et la décision émanaient de la même agence», comme le prétend Gérard Bapt, mais bien d’introduire de façon organique une version paralysante du principe de précaution dans la prise de décision, afin d’enterrer définitivement le mécanisme d’évaluation basé sur le concept de balance risques-bénéfices.

Ce dispositif complexe privera inévitablement les agriculteurs des solutions innovantes qu’apporte la chimie de synthèse, mais aussi de dérogations nécessaires face à des usages orphelins qui ne feront qu’augmenter.

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