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OGM : un espoir pour les personnes atteintes d’intolérance au gluten

Alors que la saga française contre les OGM se poursuit, une équipe de chercheurs espagnols travaille sur un blé génétiquement modifié afin de répondre aux besoins des personnes intolérantes au gluten.

« Dans l’attente du débat public, nous devons poursuivre le moratoire sur les OGM, sauf sur les quelques espèces ne comportant aucun risque. C’est le cas du maïs, qui fait l’objet d’un consensus, tant des scientifiques que des médecins et des écologistes » : tels sont les propos tenus par Dominique Voynet lors de la conférence de presse donnée conjointement avec Bernard Kouchner, le 27 novembre 1997. « Le choix des OGM ne se fait pas à l’encontre de la lutte biologique, au contraire les deux méthodes sont complémentaires », ajoute la militante verte.

 

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À l’époque, Dominique Voynet prend la parole pour justifier la position du gouvernement de Lionel Jospin, dans lequel elle siège en tant que ministre de l’Environnement. Rompant avec l’interdiction prise le 12 février 1997 par son prédécesseur, Alain Juppé, Lionel Jospin vient en effet de décider d’autoriser l’inscription du maïs transgénique MON 810 au catalogue officiel des espèces autorisées à la culture en France. Décision logique, puisque le dossier de cet OGM a été porté par la France, le pays rapporteur au sein de la Commission européenne. Et les experts consultés ont tous estimé que ce maïs transgénique était sans danger pour l’environnement et la santé humaine. Dix-sept ans plus tard, les faits leur ont donné raison. Lionel Jospin a pris une décision de bon sens. Largement cultivé dans le reste du monde, notamment en Espagne et au Portugal, cet OGM « de première génération » n’a suscité aucun problème justifiant une mise en cause de cette autorisation. Ce petit rappel historique témoigne de l’absurdité de la position actuelle du parti socialiste, lancé comme un seul homme dans une campagne absurde pour prolonger l’interdiction d’un maïs transgénique considéré comme parfaitement sans risque par ses dirigeants dans les années 1990, mais qui a fait l’objet d’un caprice écologique de la part de Nicolas Sarkozy. « Les OGM ne sont pas la marque du diable, mais du progrès », osait encore le secrétaire d’État à la Santé Bernard Kouchner en 1997. Depuis, sa voix se fait bien discrète…

La machine infernale

Aujourd’hui, le parti socialiste se livre à un spectacle plutôt déplorable. Afin de ne pas froisser l’aile écologiste de son parti ni ses alliés d’EELV, Stéphane Le Foll a mis en route une machine infernale. Bien entendu, son nouvel arrêté d’interdiction – seule procédure légale permettant aujourd’hui de suspendre la culture d’une plante transgénique – ne tiendra pas davantage la route que les deux précédents, déposés par le gouvernement de Nicolas Sarkozy suite au Grenelle de l’environnement. Ses bases scientifiques ont été réfutées avant même qu’il ne soit adopté ! Et le gouvernement ne peut l’ignorer, puisque dans le cadre de la consultation, l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) lui a transmis un argumentaire réfutant point par point celui présenté par Stéphane Le Foll. Directeur de recherche honoraire de l’Inra, Georges Pelletier y démontre que les quatre publications citées dans le projet d’arrêté n’étayent pas l’existence d’impacts négatifs nouveaux sur l’environnement d’éventuelles cultures de ce maïs, qui résiste à la pyrale et à la sésamie grâce à la sécrétion d’une toxine baptisée Cry 1Ab. La première publication concerne un mécanisme de résistance de cette toxine chez l’insecte ravageur Busseola fusca. Or, il s’agit d’un papillon uniquement présent en Afrique subsaharienne ! Alors qu’aucune résistance au maïs Bt n’a été observée chez la pyrale ou la sésamie en dix-huit années de culture du MON810 dans le monde, cette référence à un insecte uniquement présent à 9000 km de Paris est tout simplement ridicule. « Supposant qu’une résistance se développe et envahisse les populations de pyrales, on se retrouverait ni plus ni moins dans la situation actuelle, où cet insecte est effectivement résistant aux défenses de la plante de maïs conventionnel. Prétendre qu’il s’agit d’un risque environnemental est donc particulièrement contradictoire et absurde », poursuit ce spécialiste en génétique et en amélioration des plantes.

La loi ne concerne pas Stéphane Le Foll

Malheureusement, ce mépris ne s’arrête pas là. Faisant fi des droits européen et français, Stéphane Le Foll a lancé les parlementaires dans un ridicule vaudeville consistant à leur faire adopter une loi illégale. Le 17 février 2014, le sénateur Alain Fauconnier (Aveyron) a ainsi déposé un projet de loi visant tout simplement à interdire toute culture de maïs transgénique, alors que la réglementation européenne, dont la France a validé les principes, ne permet pas à un État-membre de prendre une telle décision. Une courte majorité de sénateurs (171 contre 169, dont certains de la majorité présidentielle) ont eu le courage de remettre les pendules à l’heure en votant en faveur d’une motion d’irrecevabilité. « Contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires, ce texte vise clairement à contourner l’annulation des clauses de sauvegarde par le Conseil d’État et respecte encore moins le droit européen », confirme le sénateur de la Manche Jean Bizet, auteur de la motion déposée le jour même. Qu’importe ! Le gouvernement persiste et signe. « Je ne sais pas quelle est la force de ceux qui ont fait en sorte que certains s’opposent à cette proposition de loi, mais ça n’entame pas notre détermination. », a immédiatement réagi le ministre de l’Écologie Philippe Martin, qui a qualifié la décision du Sénat « d’incident parlementaire comme il en arrive de temps à autre ». Pour sa part, Alain Fauconnier a accusé l’UMP de « conduire une stratégie jouant sur la procédure parlementaire ». Autrement dit, rappeler la non-conformité d’un projet de loi avec le droit français et européen relèverait de « la procédure parlementaire » ! Il fallait oser…
Venant à la rescousse du gouvernement, le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Bruno Leroux, a repris le texte sans y changer la moindre virgule. Lors de son passage à la Commission des Affaires économiques, le 25 février 2014, le député UMP Antoine Herth a été très clair. « L’erreur est humaine, persévérer est diabolique », a-t-il déclaré en guise d’introduction, rappelant qu’un texte identique venait d’être rejeté par le Sénat. « Une telle proposition contrevient, en effet, à l’article 88-1 de la Constitution et à l’article 54 du règlement européen 178-2002. Le droit européen s’impose aux États-membres, et nous ne pouvons aujourd’hui légiférer en la matière », a rappelé le député du Bas-Rhin, qui a tracé les destinées de ce texte aussi illégal qu’absurde : « Avec une adoption probable du texte par l’Assemblée en avril, un passage plus compliqué par le Sénat, puis sa très probable censure par le Conseil constitutionnel, le calendrier ne devrait, en effet, pas permettre son application avant qu’aient eu lieu les semis ». « Le scénario est déjà écrit, et je regrette qu’en l’ignorant vous affaiblissiez l’image du Parlement », a-t-il ajouté.

Le PS affaiblit l’Europe

Le PS n’affaiblit pas seulement l’image du Parlement : il jette un dramatique discrédit sur l’Union européenne. Affirmer que « la procédure européenne comprend de nombreuses lacunes : absence d’évaluation coût-bénéfice, absence d’étude socio-économique, évaluation environnementale de trop court terme et absence de suivi après l’autorisation de mise sur le marché », comme l’a déclaré le député Germinal Peiro, n’est pas vraiment ce qu’il y a de mieux pour redonner confiance dans l’UE ! Pire, en proposant de renationaliser les procédures d’autorisation de cultures d’OGM, afin que les États puissent « procéder à une évaluation sur la base de critères objectifs [3] », Stéphane Le Foll suggère de facto que l’UE fait mal son travail. Du pain bénit pour les euro-sceptiques de tout bord, et notamment ceux du FN, qui souhaitent affaiblir l’Union européenne en la dépouillant d’un maximum de ses prérogatives ! La riposte de la Commission ne s’est pas fait attendre. Lors de la rencontre des ministres de l’Environnement à Bruxelles, le 3 mars dernier, un compromis a été trouvé afin que l’UE conserve l’évaluation scientifique, tout en laissant une marge de manœuvre aux États-membres pour interdire la culture sur leur territoire sur la base de critères socio-économiques. Finalement acceptée par la Grande-Bre- tagne et l’Allemagne, cette proposition entraînera assurément un exode des en- treprises semencières vers les pays plus favorables aux biotechnologies que ne l’est la France.

Un blé OGM pour la santé

Pendant que se déroule cette grotesque agitation à la française, les biotechnologies poursuivent leur chemin. Ainsi, la recherche publique espagnole a mis au point des lignées de blé capables de répondre aux besoins des personnes atteintes d’intolérance au gluten. Cette pathologie, appelée maladie cœliaque, touche toutes les populations d’Europe,avec une prévalence plus forte dans le Nord et une estimation de fréquence variant entre 1 sur 500 et 1 sur 1 000. Aucun traitement médicamenteux n’existe pour le moment, et la seule solution consiste à suivre un régime sans gluten à vie. Inutile de préciser que cela représente un véritable cauchemar pour de très nombreux enfants et adultes, privés d’une vaste gamme de produits alimentaires ! En réalité, ce n’est pas tant le gluten – élément indispensable à la panification du blé – que l’un de ses composants qui pose problème. Il s’agit en l’occurrence de la gliadine, qui est constituée de plusieurs groupes (alpha, béta, gamma, epsilon et oméga) et qui confère sa toxicité au gluten. C’est pourquoi une équipe de chercheurs espagnols a mis au point un blé non pas sans gluten, mais présentant un très faible taux de gliadine. « En 2008, l’équipe du Dr Francisco Barro Losada, de l’Institut pour une agriculture durable (Cordoba, Espagne), a publié des travaux [4] montrant comment il a réussi à inhiber l’expression des gènes qui produisent la gliadine de type alpha, béta et oméga, en interférant sur l’ARN messager, c’est-à-dire sur le porteur de l’information donnée par l’ADN à la cellule de fabrication », explique le Pr Marc Fellous, président de l’AFBV et ancien président de la Commission du génie biomoléculaire.. Afin de rendre l’ARN « silencieux », une copie inverse de l’ARN a été synthétisée puis introduite dans le génome de la plante. Plusieurs lignées transgéniques de blé ont ensuite été testées afin de vérifier si elles provoquaient ou non une réaction des lymphocytes T, et par conséquent la maladie cœliaque. Les résultats publiés par Javier Gil-Humanes et Fernando Piston sont très encourageants : « Ces travaux montrent que la régulation à la baisse des gliadines par l’ARNi peut être utilisée pour obtenir des lignées de blé avec de très faibles niveaux de toxicité pour les patients atteints de la maladie cœliaque [5] ». Deux autres articles seront publiés dans les semaines à venir dans la revue PlosOne. L’un confirme que les propriétés organoleptiques de la farine et des pâtes issues de blés transgéniques sont comparables à celles provenant d’un blé non transgénique, l’autre démontre qu’il est possible de produire du pain en utilisant une farine à faible teneur en gliadine.
« À partir de deux essais cliniques, nous avons estimé la quantité de pain qui peut être ingérée quotidiennement par des patients atteints de la maladie cœliaque. Nous avons obtenu les autorisations pour un essai de culture en plein champ, pour ensuite procéder à un essai clinique avec des patients atteints de maladie cœliaque à l’aide de ces pains à faible teneur en gliadine afin de confirmer nos premiers résultats », explique le Dr Francisco Barro.
« Pour certains patients atteints de la maladie cœliaque, l’abolition de 85-90 % des 4 gliadines présentes dans le blé est acceptable. Pour atteindre 95-99 %, il faut travailler sur le “silencing“ des gliadines de type epsilon, qui est encore insuffisamment diminué », note toutefois le Pr Fellous.

Pour l’instant, le Dr Francisco Barro reste prudent quant à la production d’un tel blé sur le continent européen. « En raison de la situation bloquée des cultures transgéniques en Europe, nous avons entrepris des négociations avec des entreprises américaines pour produire ce blé en dehors de l’UE », a-t-il indiqué à A&E.

Un blé résistant à la sécheresse

En Argentine, un autre projet très intéressant relatif au blé est en train de voir le jour : il s’agit d’une variété résistante au stress hydrique et à la salinité. Implantée à Rosario, la troisième ville du pays, la société Bioceres a déjà réalisé ses essais en plein champ pour confirmer les propriétés d’un blé doté de la technologie HB4. Selon Martin Vazquez, le directeur scientifique du projet, ce blé devrait être disponible dès 2016 pour les producteurs. Le projet a démarré en 2001, lorsqu’une équipe de chercheurs du Conicet – l’équivalent argentin du CNRS– a réussi à isoler un gène de tournesol, baptisé Hahb-4. Incorporé au blé, au soja ou au maïs, ce gène agit comme régulateur de plusieurs autres gènes. Ce qui permet de maintenir un bon taux de photosynthèse dans des conditions de déficit hydrique, mais aussi lorsque la salinité est élevée. « En conditions de sécheresse, les plantes dotées du gène ont présenté une réduction de 20% de leur rendement, alors que celles qui ne le possédaient pas ont présenté une réduction de 80% », a indiqué Martin Vazquez lors d’un voyage de presse organisé à Rosario par l’Association française des journalistes agricoles (Afja), le 7 novembre 2013.
La société Bioceres, dont les actionnaires sont principalement des agriculteurs argentins et brésiliens, a déposé le brevet en 2004. Associée depuis l’an dernier au semencier français Florimond Desprez, Bioceres bénéficie du soutien de la plus importante société d’assurances du secteur agricole argentin, La Segunda. À travers sa joint-venture, Trigall Genetics, le couple Bioceres-Florimond Desprez compte développer et commercialiser des variétés de céréales transgéniques de seconde génération dans toute l’Amérique du Sud. Ainsi, les producteurs de blé d’outre-Atlantique disposeront bientôt de l’excellence française dans le domaine de la sélection variétale de blé, combinée aux biotechnologies de seconde génération développées par la recherche publique argentine. À chaque pays son choix de développement…

Sources
  • La Guerre secrète des OGM, Hervé Kempf, Édition du Seuil, mais 2003.
  • Philippe Martin déterminé à faire interdire les OGM en France, Libération, 18 février 2014
  • La France veut renationaliser les procédures d’autorisation, La France Agricole, 17 février 2014.
  • Silencing of gamma-gliadins by RNA interference (RNAi) in bread wheat, Journal of Cereal Science, novembre 2008.
  • Effective shutdown in the expression of celiac disease-related wheat gliadin T-cell epitopes by RNA interference, PNAS, 28 septembre 2010.
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