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Glyphosate : des avis divergents ?

Selon l’Institut fédéral d’évaluation des risques en Allemagne (BfR), il est « improbable que le glyphosate soit génotoxique (c’est-à-dire qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme ». Consultés lors du processus de réévaluation de cette matière active, « tous les experts des États-membres, à une exception près, ont convenu que ni les données épidémiologiques (portant sur l’homme), ni les éléments issus d’études animales, n’ont démontré de causalité entre l’exposition au glyphosate et le développement de cancer chez les humains », note l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), dans son avis rendu public le 12 novembre 2015.

Cet examen est de très loin le plus complet jamais réalisé sur cette substance active. Outre les études originales présentées dans le cadre des exigences légales, toutes les études disponibles et publiées à ce jour ont été prises en compte. Y compris celles incluses dans la monographie du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

La guerre contre Monsanto se poursuit

Toutefois, cet avis ne va certainement pas clore la vaste polémique soulevée par cet herbicide sorti des centres de recherche de la firme américaine Monsanto. Commercialisé depuis les années 1970 par de très nombreuses entreprises, et proposé dans des formulations diverses, le glyphosate reste l’un des principaux herbicides en agriculture, mais aussi pour l’entretien des espaces verts, privatifs comme collectifs. Enfin, son usage se combine avec celui de diverses familles de plantes génétiquement modifiées très largement cultivées dans le monde.

C’est pourquoi son interdiction demeure l’un des combats majeurs des mouvements altermondialistes anti-américains, comme en témoigne le simulacre de procès contre Monsanto, « symbole d’une agriculture industrielle et chimique qui pollue ». Cet évènement doit se tenir à La Haye du 12 au 16 octobre 2016, à l’initiative de quelques militants radicaux anti-pesticides, réunis principalement autour de la journaliste Marie-Monique Robin, du directeur international de l’Organic Consumers Association, Ronnie Cummins, et de la militante indienne anti-OGM Vandana Shiva. Ces militants estiment en effet que le glyphosate serait « à l’origine de l’un des plus grands scandales sanitaires et environnementaux de l’histoire moderne ». Et ils peuvent compter sur la complicité de certains médias, notamment de la chaîne publique TV5, qui n’a pas hésité à présenter une semaine durant des reportages accusant le glyphosate d’être à l’origine de becs de lièvre, de mélanomes, de cancers du cerveau, voire de l’autisme ! Sans apporter le moindre début de preuve, bien entendu…

Tout dans la finesse

Moins ridicule, le quotidien Le Monde chante régulièrement sa ritournelle antiglyphosate bien connue : les grands industriels auraient habilement infiltré les agences mondiales d’évaluation des risques. Expert en la matière, le journaliste-militant antipesticides Stéphane Foucart tombe rarement dans la vulgarité. Son article du 13 novembre 2015 intitulé « Pour les experts européens, le glyphosate est sans danger » est ainsi tout en finesse. Pour mieux faire passer son message, l’auteur tire en effet parti de la divergence entre l’avis, positif, de l’Efsa, et celui, a priori très différent, du CIRC, qui estime disposer « de preuves fortes de la génotoxicité du glyphosate ». En effet, le CIRC a récemment classé cette substance dans le groupe 2A, « cancérogène probable ». C’est-à-dire dans la même catégorie que la viande rouge, et moins sévèrement que les saucisses, le jambon et les légumes marinés façon asiatique (groupe1) ! Au premier regard, le journaliste du Monde semble avoir donné équitablement la parole aux deux agences. Mais en réalité, son article est principalement construit sur les propos d’un seul homme, un certain Christopher Portier. Présenté comme « ancien directeur du National Center for Environmental Health des Centres de contrôle et de prévention des maladies d’Atlanta (États-Unis) », et surtout « autorité mondiale dans le domaine de la cancérogénèse », M. Portier a fait « partie des scientifiques consultés par le CIRC ». En revanche, Stéphane Foucart omet de préciser que depuis son départ à la retraite, Christopher Portier « perçoit un salaire à temps partiel du Environmental Defense Fund, un groupe de plaidoyer écologiste » basé aux États-Unis. Qu’il est co-signataire d’une tribune publiée dans Environmental Health Perspective et qui critique le retrait par la Food and Chemical Toxicology de la fameuse étude de Gilles-Éric Séralini sur le maïs transgénique, un an après sa parution, alors qu’elle a été disqualifiée par l’ensemble des agences mondiales d’évaluation des risques, de Paris à New-York en passant par Moscou. Qu’il a participé le 15 juillet 2015 à une réunion à Westminster (Royaume-Uni) organisée par la Soil Association –le lobby britannique de l’agriculture biologique– pour apporter sa caution à la campagne anti-glyphosate de l’association, aux côtés des militants anti-OGM Claire Robinson, responsable du site GMWatch.org, et Robin Mesnage, co-auteur de l’étude Séralini, qui partageaient le « panel d’experts » invités. Et que son avis sur le glyphosate est bien plus radical que celui exprimé par le panel scientifique du CIRC, puisqu’il estime n’avoir « aucun doute sur le fait que le glyphosate est génotoxique ».

En s’appuyant sur les propos de ce militant anti-glyphosate, l’article du Monde suggère que les intentions réelles des experts de l’Union européenne ne seraient pas claires. « « Il m’est très difficile de comprendre comment des toxicologues peuvent endosser un tel avis, dont les auteurs avaient, semble-t-il, déjà la réponse avant que la question ne soit posée“, fulmine M. Portier. C’est très perturbant », relate ainsi Stéphane Foucart. Le sous-entendu est évident : ces toxicologues seraient à la solde des géants de l’industrie agrochimique, tout comme les agences publiques d’évaluation du risque, qui seraient, selon le journaliste, de simples « fidèles supplétifs ». Une petite rengaine particulièrement en vogue aujourd’hui, notamment chez les adeptes de plus en plus nombreux des diverses théories du complot.

Divergences dans l’approche

Comme souvent, la réalité est beaucoup plus simple : l’Union Européenne et le CIRC n’ayant pas les mêmes objectifs, ils ont adopté une approche différente. Tandis que l’Efsa évalue chaque matière active individuellement, l’agence domiciliée à Lyon considère dans un même temps toutes les formulations commerciales possibles, c’est-à-dire avec différents coformulants, dont quelques-uns sont connus pour leur toxicité supérieure à la toxicité de la matière active. « C’est cette distinction entre substance active et formulation de pesticide qui explique principalement les différences dans la façon dont l’Efsa et le CIRC ont évalué les données disponibles », résume l’Efsa. « Il est très probable que les effets génotoxiques observés dans certaines formulations contenant notamment du glyphosate soient liés non pas au glyphosate mais aux autres constituants », poursuit l’agence européenne. « Or, on ne connaît pas d’exemple où un coformulant transforme le caractère non génotoxique en caractère génotoxique d’une substance », ajoute le biologiste Philippe Joudrier. L’ancien expert de l’Anses (ex-Afssa) rappelle également que l’évaluation des formulations commerciales relève non pas de l’Autorité européenne mais des États-membres. « Chaque État-membre complète l’évaluation de l’Efsa avant d’autoriser une formulation commerciale. Aujourd’hui, cette mission est confiée à l’Anses », poursuit-il.

La seconde divergence porte principalement sur certaines études dans lesquelles les effets cancérogènes auraient été observés à des doses élevées. Là aussi, l’Efsa a estimé que ces résultats n’étaient pas fiables, « car ils pourraient être liés à une toxicité générale ». Un avis que partage en réalité le CIRC, puisque l’agence lyonnaise a classé le glyphosate dans le groupe 2A qui, à la différence du groupe 1, admet des substances pour lesquelles « il n’a pas été possible d’exclure avec suffisamment de certitude que le hasard, des biais ou des facteurs de confusion, aient pu jouer un rôle

Au final, la divergence entre l’avis de l’Efsa et celui du CIRC se résume principalement au fait que les experts européens ont apporté une attention plus grande aux éventuels biais et facteurs de confusion possibles. Et ils en ont déduit que le terme « probablement cancérogène » utilisé par le CIRC n’était pas adéquat.

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