Durant plusieurs années, Biocoop, le réseau de distribution de produits issus de l’agriculture biologique, a commercialisé des variétés de tomates sélectionnées pour leur « goût plus prononcé » et leur « chair plus douce et sucrée ». Alléchés par ces allégations, de nombreux clients du géant de la bio ont ainsi pu savourer les tomates Cindel, Paola et Paronset. Produites en France, en Espagne et en Italie, ces tomates étaient disponibles de fin mai à début novembre. L’avantage de ces variétés est clairement résumé dans la fiche technique du réseau GAB/Frab (Groupements d’agriculteurs biologiques de Bretagne/Fédération régionale des agriculteurs biologiques), qui explique que si « les variétés anciennes permettent d’avoir une diversité de gamme, les variétés modernes sont en général plus résistantes aux maladies. [C’est pourquoi] il est intéressant d’avoir des variétés modernes type Paola ou Cindel pour limiter les risques de casse sanitaire. »
Désormais, ces tomates ne sont plus disponibles chez Biocoop. Non que ces variétés n’existent plus ! Mais par pure idéologie, les responsables du réseau de distribution bio ont voté l’interdiction de leur commercialisation, au motif que ce sont « des variétés hybrides imitant les tomates anciennes ».
Autrement dit, pendant des années, les clients de Biocoop auraient été abusés, trompés et manipulés. Ils auraient cru acheter des variétés « anciennes », alors qu’il s’agissait de tomates provenant de la « mafia semencière », pour reprendre l’expression de Dominique Guillet, l’ayatollah de la semence paysanne et le fondateur de Kokopelli, la petite association dont le fonds de commerce repose notamment sur la vente de variétés américaines non hybrides.
Pire, les tomates Cindel, Paola et Paronset ne sont que de vulgaires « hybrides F », c’est-à-dire qu’elles appartiennent à la première génération d’un croisement des plus classiques, qui repose sur deux parents ayant deux allèles identiques. Cette méthode garantit que les caractéristiques recherchées sont bien présentes dans la première génération de la variété. En revanche, on est obligé de revenir aux parents pour s’assurer de garder les propriétés souhaitées. Le retour à la case départ est donc un impératif. Ce que ne supportent pas les partisans de l’écologie profonde. D’où la décision récente d’éliminer ces trois tomates des étals des magasins Biocoop.
Sauf que l’enseigne de la bio admet vendre encore 700 tonnes de tomates hybrides –celles qui n’imitent pas des variétés anciennes –, pour à peine 220 tonnes de « tomates anciennes véritables ». « Le schéma logistique Biocoop implique un circuit long qui n’est pas forcément favorable à la conservation de toutes les variétés de tomates anciennes véritables », note le réseau de distribution bio. Pour résumer, Cindel, Paola et Paronset possèdent toutes des caractéristiques suffisamment intéressantes (en matière de goût et de conservation) pour avoir été proposées par Biocoop à leurs clients. Toutefois, depuis 2016, ces variétés sont retirées des étals car elles sont des variétés « hybrides », alors que par ailleurs le réseau Biocoop continue à commercialiser 700 tonnes de variétés de tomates hybrides dites « modernes » mais compatibles avec l’agriculture biologique. Pour le consommateur lambda à la recherche d’un produit de qualité, il y a de quoi perdre son latin !
« Loin de nous l’idée de nous parer des vertus de la perfection, mais notre souci constant de progression vers une agriculture, une distribution et une consommation, cohérentes, responsables et respectueuses de nos valeurs sans cesse réaffirmées, nous semble être la voie juste », rétorque Biocoop. La voie juste semble surtout être celle du business…
Les anciennes contre les modernes
En effet, non seulement l’enseigne entretient une confusion totale entre « bon hybride » (celui que l’on trouve dans ses magasins) et les désormais « hybrides maudits », mais elle joue de la dénomination « ancienne » dans le seul but de conférer à ses tomates de prétendues extraordinaires vertus.
En réalité, pour les professionnels du secteur semencier, une variété dite ancienne n’est rien d’autre qu’une variété qui n’a pas été commercialisée depuis plus de trente ans, et qui vient enrichir le patrimoine génétique. Bien entendu, ces variétés sont pour l’immense majorité d’entre elles le fruit de la manipulation de l’homme. Elles peuvent être très savoureuses ou non. Et surtout, elles n’ont rien de « naturel ». D’ailleurs, l’un des héros de Dominique Guillet, l’Américain Tom Wagner, est à l’origine de centaines de variétés de ces tomates modernes créées depuis le début des années 1980. L’association Kokopelli en est l’un des principaux fournisseurs en France, et on les trouve dans les réseaux de Biocoop, alors qu’elles n’ont rien d’« ancien ».
Pour résumer, il existe des tomates hybrides et des tomates non hybrides, des tomates dites anciennes et des tomates dites modernes. Dans tous les cas de figures, certaines variétés peuvent être intéressantes, d’autres moins. Les variétés de tomates Montavet 63-5 ou Ferline, développées au début des années 60 par l’Inra et si prisées encore aujourd’hui des jardiniers amateurs, sont des exemples d’hybrides à succès. Savoureuse et bien adaptée à l’agriculture biologique, la nouvelle tomate Garance, résistante à huit maladies et riche en lycopène, est à la fois « hybride » et « moderne ». Bref, le fait qu’une tomate soit hybride ou ancienne n’a en réalité aucune importance pour le consommateur et le jardinier amateur, qui souhaitent simplement avoir un produit de qualité (savoureux et riche en vitamines) et qui satisfasse leur palais. Tout le reste, c’est du bio-bobo-business. Un domaine dans lequel Biocoop est passé maître…