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La bonne blague des fraises sans pesticides de Carrefour

Surfer sur la grande vague de la phobie antipesticides qui secoue notre pays : tel est le choix assumé par Carrefour, avec sa toute dernière campagne de promotion de fraises « sans pesticides de synthèse » lancée le 12 mai 2016.

L’annonce du nouveau partenariat entre le géant de la grande distribution et huit producteurs du Sud-Ouest et de Sologne engagés dans un parcours agronomique à la limite de l’agriculture biologique est certes sans ambiguïté : il ne s’agit pas de fraises bio, mais d’une nouvelle filière de fraises cultivées sans pesticides de synthèse « de la floraison à l’assiette ». Sauf que ces précisions « techniques » ont été totalement oubliées par la presse généraliste. « Cette année, Carrefour fait la promotion d’une fraise sans pesticides », note ainsi Challenges, tandis que L’Express titre « Carrefour : nouvelle filière de fraises sans pesticides ».

De l’art d’accommoder la réalité

Télé-Matin, la très populaire émission de William Leymergie, s’est également saisie de cette « bonne idée » pour réaliser un reportage diffusé le 19 mai. En guise d’introduction, Isabelle Martinet, la spécialiste de la consommation de l’émission, annonce d’emblée la couleur : « Il s’agit de fraises sans pesticides de synthèse. Des fraises qui ont du goût. » Gros plan ensuite sur les serres de Patrick Marty, qui explique : « Nous produisons sur l’exploitation 400 tonnes de fraises, 200 tonnes de gariguettes, dont 20 tonnes de gariguettes en agro-écologie avec une enseigne privilégiée de la grande distribution ». « L’agro-écologie, c’est une production raisonnée où il n’y a pas de pesticides de la floraison à la récolte », poursuit-il. Pour protéger ses fraises, Patrick Marty a remplacé les maudits pesticides par du bon naturel, c’est-à-dire « du purin d’ortie, du jus d’ail ou des huiles essentielles à base de cannelle et de girofle ». « Nous revenons à notre base de métier d’agriculteur en observant les pucerons et les araignées. Nous laissons faire la nature, et lorsqu’il faut appliquer, ce sont des produits que nous appliquons sans masque, naturellement ». Le résultat, c’est « une fraise saine et sans pesticides, qui est belle et bonne ». Tout est si merveilleux dans le monde de Carrefour qu’une question vient naturellement à l’esprit : mais pourquoi diable M.Marty ne fait-il de l’agro-écologie que sur 5% de son exploitation ? Quid des 380 tonnes de fraises restantes, qui ne bénéficient pas des bienfaits du purin d’ortie et du jus d’ail ? Comble de l’hypocrisie, Patrick Marty se garde bien d’expliquer que les phases les plus sensibles aux attaques d’insectes concernent justement la période qui précède la floraison. Une période où il s’autorise bien l’usage de ces pesticides de synthèse qu’il voudrait tant cacher.

« La démarche de production de ces fraises est une démarche d’exclusion des pesticides de leur production », n’hésite pas à affirmer Hervé Gomichon, le directeur de la qualité et du développement durable de Carrefour, dont le discours est encore plus trompeur. Fini les nuances entre pesticides naturels et de synthèse ! Chez Carrefour, on s’engage à promouvoir l’année prochaine « de nouvelles variétés de fruits et légumes qui seront également produites sans pesticides  ». Bref, du presque bio… qui devrait garantir une bonne place dans le classement odieux que publie régulièrement Greenpeace sur la « course au zéro pesticide » !

Une communication déplacée

Sous le titre « Mensonges par omission et faute morale », le site de l’association ForumPhyto publie un article accusant le géant de la distribution d’« entretenir inutilement les peurs chez le consommateur, au lieu de faire preuve de pédagogie ». « Faire de la communication sur le ”sans pesticides” est sans doute perçu comme une aubaine par Carrefour. Mais pour les producteurs, c’est au moins aussi destructeur que la guerre des prix » , estime l’association de défense des producteurs de fruits et légumes. Ce type de discours suggère en effet que les productions utilisant des pesticides posent un problème.

En revanche, pas un mot de la part de la filière en question, très mal à l’aise et toujours dans la communication zéro. C’est-à-dire dans la croyance erronée que ce genre d’affaire peut encore se régler « en privé ».

Certes, le thème de « l’alimentation saine » répond tout naturellement à une exigence forte des consommateurs. Il doit donc être traité avec sérieux et responsabilité. Mais dans ce cas, est-il vraiment pertinent de communiquer sur les spécificités d’une filière qui produit à peine 100 tonnes de fraises, alors que la production totale de fraises en France se situe autour de 50 000 de tonnes (ce qui représente seulement 0,2%) ? D’autant plus que, comme l’a rappelé la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), suite à un communiqué de presse de Bio-Île de France du 20 mai dernier, qui affirmait que « les produits bio laitiers sont meilleurs pour la santé », « les allégations relatives à un effet bénéfique sur la santé des produits bio ne sont pas autorisées ».

Ce qui est valable pour le bio, l’est bien entendu également pour l’agro-écologie version Carrefour/Le Foll, qui ne produit en aucun cas des denrées alimentaires meilleures pour la santé, contrairement à ce que suggère ce type de communication.

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