Rien ne semble arrêter la mise en œuvre de cette kafkaïenne usine à gaz que sont les fameux certificats d’économie de produits phytosanitaires (CEPP). Inspiré des certificats d’économie d’énergie, ce mécanisme censé faire diminuer l’usage des pesticides est l’exemple même de cette boulimie technocratique chère à notre administration experte en production de règles hors-sol. Rien de tel n’existe dans les autres pays européens…
On peut s’interroger sur ce paradoxe à la française qui consiste à déclarer urbi et orbi qu’il y a trop de normes, pour ensuite imposer un dispositif législatif et réglementaire aussi grotesque qu’inutile. On peut aussi s’interroger sur la stratégie des acteurs concernés par le projet du « plus sympathique du tout » ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, pour y mettre un terme.
Du côté des syndicats agricoles, il est clair qu’on a sauvé les meubles. Quel que soit le résultat des courses, l’agriculteur ne sera contraint à rien, bien heureusement. Il restera maître chez lui, fera ce qu’il voudra, comme il le voudra, dans la mesure où il respectera le cadre légal de l’utilisation des produits. Aucune diminution d’usage ne lui sera imposée par ce texte, ni aucun recours à des pratiques différentes.
Du côté des distributeurs – coopératives agricoles ou négoces indépendants –, les choses sont plus compliquées. Tel qu’il a été rédigé dans l’ordonnance du 7 octobre 2015, ce dispositif expérimental fait entièrement peser sur leurs épaules la réussite du projet. En effet, si la promotion d’actions spécifiques doit être assurée par les « obligés » – à savoir les négociants et les coopératives –, leur réalisation opérationnelle est confiée aux seuls agriculteurs. Or, les pénalités financières prévues en cas de non atteinte des objectifs de réduction ne concernent que les obligés. Une situation bien entendu parfaitement inacceptable, et certainement pas conforme à la Constitution. Elle équivaudrait à tenir les vendeurs de voitures pour responsables des dépassements de vitesse des conducteurs…
On peut donc raisonnablement s’attendre à ce que le Conseil d’État annule ce dispositif. Une requête a d’ailleurs été déposée dans ce sens le 19 novembre 2015 par la Fédération du négoce agricole (FNA) et par Coop de France.. Afin de sauver son projet saugrenu, le ministre de l’Agriculture a proposé une variante, qui concerne notamment les instruments de mesure des objectifs. Toutefois, elle ne change strictement rien sur le fond. Cette habile stratégie a provoqué quelques frictions entre les coopératives et le négoce indépendant. Les premières estiment pouvoir vivre avec la nouvelle version, d’autant plus qu’elles disposent de moyens forts pour encourager –sinon forcer– leurs propres adhérents à la mise en place de leurs propres actions. Cette « bouillie coopérative » incite Coop de France à accepter un compromis avec la rue de Varenne. Ce n’est pas le cas des négociants agricoles qui, contrairement aux acteurs du monde coopératif, sont en outre pénalisés par le fait qu’ils ne bénéficient d’aucune exonération d’impôts sur les sociétés. Sur le dossier des CEPP, la FNA n’a donc aucune intention de déposer les armes.