La question des conflits d’intérêts est devenue l’un des arguments majeurs brandis par les ONG. La moindre liaison entre une entreprise et un expert rend ce dernier suspect aux yeux des citoyens, désormais convaincus que la vie publique n’est qu’un jeu de théâtre, cachant une réalité faite de manœuvres et d’intrigues. Le lobbying se trouve bien entendu au cœur de ces jeux d’influences. Les entreprises y ont recours. Tout comme les ONG, qui ne s’en cachent pas.
« En Bruxellois, le mot “lobbying“ n’est pas sale. On parle donc aussi de lobbies pour les organisations non gouvernementales. De fait, leur travail consiste également à défendre un point de vue auprès des décideurs dans le but d’influer la décision publique », admet volontiers la journaliste-militante Stéphane Horel. Sauf que selon elle, il existe une différence de taille entre le lobbying des firmes et celui des ONG. « Les firmes ne sont pas des organismes caritatifs », tandis que « les ONG, elles, représentent la société civile », justifie-t-elle.
C’est le cas de HEAL (L’Alliance pour la santé et l’environnement), qui agit au nom de plus de soixante-dix organisations européennes, dont Générations Futures, le Réseau Environnement Santé et France Nature Environnement. Dotée d’un budget d’environ 680000 euros annuels, assuré pour moitié par des subventions publiques européennes, HEAL est l’une des principales associations militant contre le glyphosate à Bruxelles. « Des experts indépendants de l’OMS ont classé [le glyphosate] comme une cause probable de cancer. Nous ne voulons plus de ce poison chimique dans nos parcs, nos maisons ou notre nourriture », peut-on lire sur sa pétition, qui a récolté quelque 275 000 signatures. Le texte fait bien entendu référence à la classification du glyphosate comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). « Ce poison cancérigène n’a rien à faire dans le parc à côté de chez nous. Et les agriculteurs qui produisent nos fruits et nos légumes ne devraient pas utiliser ce produit toxique », poursuit le texte, qui omet le terme « probable ». Pas une référence au panel d’experts de l’OMS, qui estime au contraire improbable la cancérogénicité du glyphosate, ou à l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a conclu que dans les conditions actuelles d’usage et d’exposition, le glyphosate ne présentait aucun danger cancérogène pour l’homme. Chez HEAL, on ne fait pas dans la nuance…
Or, dans le cadre des discussions sur la réhomologation du glyphosate conduites par l’Union européenne, HEAL a été auditionnée au titre de représentante de la « société civile ». Sa présentation a été assurée par un certain Christopher J. Portier. Connu pour avoir été employé par une ONG antipesticides américaine (Environmental Defense Fund), C.J. Portier a joué un rôle majeur dans la décision du CIRC. Il était alors le seul représentant externe du groupe de travail sur le glyphosate, dont il a assuré le rôle de « conseiller technique ». À la fois consultant pour le CIRC et représentant d’une ONG antipesticides, il est le parfait exemple d’un « expert » à double casquette : militant pour des ONG et consultant auprès d’instances décisionnaires. Le conflit d’intérêts est notoire. En revanche, il ne sera jamais dénoncé par Stéphane Horel, au motif qu’il est censé représenter « l’intérêt général ». Mais ne sert-il pas plutôt les intérêts d’une industrie croissante au chiffre d’affaires qui se compte désormais en milliards de dollars : l’industrie du bio ?