Désormais, les véritables problèmes de l’apiculture française sont sur la table : mauvaises pratiques apicoles, pathologies et fraudes. Jamais une profession ne s’était portée aussi mal.
Depuis plusieurs décennies, le problème des mortalités d’abeilles soulève inquiétude et agitation. La mise en cause systématique des pesticides en général et des traitements de semences à base de néonicotinoïdes en particulier a fini par convaincre l’immense majorité de la population qu’une simple réduction de ces produits apporterait aux apiculteurs plus de sérénité dans leur métier. Sur le terrain, les choses sont bien plus complexes, comme en témoignent les résultats des enquêtes menées par les services sanitaires du ministère de l’Agriculture. En effet, depuis 2014, un dispositif officiel de suivi des mortalités d’abeilles a été instauré afin de prendre en compte l’ensemble des signalements effectués par les apiculteurs. Cet outil permet aux services sanitaires du ministère de collecter les données, de les trier puis de mener des enquêtes sur le terrain pour établir un bilan annuel. À cet égard, celui de l’année 2015 est stupéfiant.
Davantage d’alertes
À partir de 195 alertes provenant de 52 départements (contre 115 déclarations de mortalités déclarées sur 42 départements pour 2014, et 98 en 2013), il se dégage une image bien sombre des pratiques apicoles en cours, qui n’ont malheureusement fait l’objet d’aucun article, hormis celui publié dans le numéro 275 de la revue spécialisée La Santé de l’Abeille. Selon son auteur, Fayçal Meziani, référent national au sein de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), 39% des cas signalés ont permis de conclure que les mortalités ont une « origine pathologique certaine ». En cause essentiellement : une lutte inssufisante voire complètement absente contre le varroa. « Eu égard au profil de varroa et à son rôle dans l’affaiblissement du système immunitaire de l’abeille, ainsi qu’à son rôle de vecteur d’autres agents pathogènes, notamment les virus, ce constat récurrent est alarmant et invite à des actions concrètes et rapides de la part des apiculteurs », alerte Fayçal Meziani.
Le varroa n’est malheureusement pas le seul agent pathogène constaté dans les ruches. « On [y] retrouve la loque américaine, la paralysie chronique de l’abeille, des cas de nosémose à Nosema ceranae, la présence du virus des ailes déformées associé à varroa », poursuit le responsable. Bref, un cocktail sanitaire explosif, qui laisse de nombreux apiculteurs impuissants. « Un autre constat est également récurrent, celui des mauvaises pratiques apicoles, qui représentent 14% des cas (21% si on intègre la famine) en 2015 », témoigne l’expert. Il s’agit essentiellement de l’utilisation de produits dits maison contre le varroa, mais aussi de mauvaises préparations à l’hivernage. Sur l’ensemble des 195 déclarations, 76 cas sont donc dus à des maladies, 28 à de mauvaises pratiques apicoles, 13 au manque de nourriture et 22 à des désertions d’abeilles, soit un total de 139 cas.
Les mortalités explicitement dues aux pesticides se résument au nal à 13 cas sur 195 déclarations, avec notamment la mise en cause de produits autorisés en agricutlture biologique.
Quid des intoxications dues aux pesticides ? Sachant que 36 cas de mortalité ont été qualifiés d’inexpliqués en raison du trop faible niveau de résidus de matières actives quantifées ou de l’impossibilité d’établir une relation de cause à effet directe, les mortalités explicitement dues aux pesticides se résument au final à 13 cas, avec notamment la mise en cause des substances suivantes : spinosad, pipéronil-butoxid, pyréthrine et alléthrine, les trois premières étant des produits autorisés en agriculture biologique.
Sur les quelques cas restants d’intoxications dites probables, de nombreux produits sont incriminés. En premier lieu, des substances actives utilisées par les apiculteurs pour lutter contre le varroa, comme le taufluvalinate ou le coumaphos, ce dernier étant interdit en France mais visiblement toujours utilisé par des apiculteurs hors-la-loi. En revanche, aucune trace de néonicotinoïde n’a été relevée, alors que tous les regards sont braqués sur cette famille de produits devenus les boucs émissaires parfaits d’une profession en totale déroute.
Une profession désemparée
L’édifiant éditorial publié par Jean-Marie Barbançon, président de la Fédération nationale des organisations sanitaires apicoles départementales (Fnosad), témoigne de l’impuissance de la profession face à cette crise sanitaire. « On sent bien que le ”malaise” apicole est profond », déclare l’apiculteur dans La Santé de l’Abeille. Mettant en cause « la contamination de l’environnement intérieur (matrices apicoles) et extérieur des colonies », qui « exaspère de plus en plus une grande majorité d’apiculteurs », il constate le manque d’intérêt des apiculteurs à l’égard des efforts mis en place par le ministère de l’Agriculture. En particulier, les déclarations de ruches « apparaissent pour beaucoup d’apiculteurs comme faisant partie d’un ”système” dans lequel trop d’éléments leur échappent ». Et de conclure : « Pourquoi être acteur d’un système dont on est convaincu qu’il ne changera malheureusement rien aux rudes conditions actuelles de l’apiculture ? ».
Cette capitulation est d’autant plus dramatique que la production de miel française s’est effondrée d’environ 30% depuis le lancement du Plan de développement durable de l’apiculture de Stéphane Le Foll en 2013, et la nomination de son coordinateur, François Gerster.
L’échec apicole de Stéphane Le Foll
« La France a les atouts pour être un grand pays apicole », avait alors expliqué le ministre, avant de proposer un plan d’action national décliné en 115 actions. Le « succès » de celui-ci a conduit Stéphane Le Foll à le prolonger de deux ans en janvier 2016, et à remettre sur la table un total de 26 millions d’euros pour les années 2016-2017. « L’objectif de ce plan complété est de permettre à la filière apicole de continuer à se développer autour d’objectifs partagés, avec une véritable stratégie de filières destinées à répondre à la demande du consommateur tant en termes de volumes que d’origine et de qualité », avait-il alors indiqué.
L’échec est donc total. La production de miel flirte en effet régulièrement avec la barre des 10 000 tonnes de miel, estiment les spécialistes de la profession (13 000 tonnes pour 2014 –rapport France AgriMer ; 16 à 22 000 pour 2015 et 8 à 12 000 pour 2016). Et selon les services des douanes, les importations de miel ont dépassé les 32 000 tonnes en 2015 ! Un chiffre ahurissant, qui serait même en dessous de la réalité selon certains professionnels, convaincus que 25 à 30% des miels comptabilisés dans la production française sont en réalité des miels importés. « De très nombreux pays en Europe ont augmenté leurs exportations de miel l’année dernière. En parallèle, ils ont aussi augmenté leurs importations en provenance de Chine, et les statistiques nous montrent que ce miel est ensuite réexporté et étiqueté comme produit local », a indiqué Norberto Garcia, président de l’Organisation internationale des exportateurs de miels.
Selon le Syndicat des producteurs de miel de France, « il y a trois raisons aux dysfonctionnements que l’on constate sur le marché du miel : la première, c’est la fraude, la seconde, c’est la fraude, et la troisième, c’est la fraude ».
Une fraude généralisée
Invité au 21e Congrès de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), qui s’est tenu à Clermont-Ferrand en octobre, Norberto Garcia met en cause des « acteurs locaux » complices de cette falsication. Pour preuve : une étude sur la prévalence de la fraude dans le miel de l’Union européenne (datant de décembre 2015), qui a démontré que sur 2500 échantillons, 32 % étaient non conformes, ou présumés non conformes. En clair, un tiers des miels vendus en Europe sont suspectés d’êtres des miels trafiqués (ajout de sirop, faux étiquetage ou origine masquée). « Les principales victimes, ce sont les consommateurs mais aussi les apiculteurs eux-mêmes », souligne Norberto Garcia. Ce point de vue est partagé par le Syndicat des producteurs de miel de France (SPMF), qui a rendu publique sa propre analyse économique sur le marché français du miel le 11 novembre dernier. Ses conclusions sont sans appel : « En résumé, il y a trois raisons aux dysfonctionnements que l’on constate sur le marché du miel : la première, c’est la fraude, la seconde, c’est la fraude, et la troisième, c’est la fraude ».
Fraude sur les ventes aux Américains de faux miels chinois blanchis de leur véritable origine par les pays asiatiques exportateurs, et donc impact négatif sur le marché du miel ; fraude sur les importations de plus en plus importantes de miels adultérés par l’Union européenne ; fraude sur l’appellation « France ». « En l’absence d’études complémentaires, nul ne peut dire pour l’instant s’il y a 450 ou 4 500 tonnes de miels d’importation frauduleusement vendus par les apiculteurs comme étant de leur production », alerte le syndicat apicole, qui constate la présence d’une quantité constante de miel étiqueté France sur les étalages de la vente directe, alors que la production s’est effondrée.
Face à cette situation catastrophique – tant sur le plan sanitaire qu’économique –, la rue de Varen
« Compte tenu de la baisse des récoltes, à voir l’atonie des transactions inter-apiculteurs, il n’y a pas de mystère : une partie de cette marchandise vient bien de la fraude par approvisionnement à l’importation. La seule incertitude consiste à savoir si cela concerne 4500 tonnes, comme l’indique l’étude censurée [qui a été présentée au comité apicole du 29 septembre 2015 par FranceAgriMer et est devenue introuvable depuis], ou sensiblement moins », poursuit le syndicat. Administrateur délégué du Centre apicole de recherche et d’information (Belgique), Étienne Bruneau s’interroge lui aussi sur la provenance de certains miels. Il admet volontiers que certains apiculteurs sont tentés par l’achat de miels chinois à 2 euros le kilo, pour les revendre dix fois plus cher sous une fausse étiquette.
L’incompétence de François Gerster
Face à cette situation catastrophique – tant sur le plan sanitaire qu’économique –, la rue de Varenne ajoute de l’incompétence à l’impuissance, comme en témoignent les propos tenus par François Gerster lors du comité apicole du 18 octobre 2016. À cette occasion, le monsieur apiculture de Stéphane Le Foll n’a pas hésité à expliquer qu’« il n’y a pas de fraude avérée puisque les apiculteurs peuvent faire de l’achat-revente sous réserve d’un étiquetage correct ».
« Il y a là une méconnaissance totale du statut agricole et de la réalité du terrain », commente le SPMF. Le syndicat rappelle que pour les apiculteurs au forfait, il est totalement interdit de faire acte de commerce (achat/revente) : « Ils n’ont le droit de vendre que leur production. La réglementation est à la fois logique et très claire : s’ils exercent une activité commerciale, ils sont tenus de déclarer séparément, d’un côté les revenus agricoles, et de l’autre les revenus industriels et commerciaux. ». Et d’ajouter : « Sauf à ne rien connaître de la réalité du terrain, il n’est pas possible de prétendre que des apiculteurs au forfait pratiqueraient un étiquetage correct en indiquant le pays d’origine du miel d’importation qu’ils mettraient en pot. Ils n’en vendraient pas un kilo. Quant à déclarer séparément les revenus ??? Ce n’est même pas de l’utopie… C’est une hallucination ! »
Quelqu’un a-t-il encore intérêt à redonner du sens à l’apiculture française ? Pour l’apiculteur détaillant comme pour les conditionneurs, on connaît désormais la réponse.
On peut raisonnablement se demander pourquoi les pouvoirs publics restent aussi aveugles devant ce qui est devenu une évidence pour tout le monde. La question peut toutefois se poser de manière différente : quelqu’un a-t-il encore intérêt à redonner du sens à l’apiculture française ? Pour l’apiculteur détaillant, on connaît désormais la réponse. Comme pour les conditionneurs, qui profitent d’un miel international à moins de 2 euros le kilo, alors que le prix de revient pour la production autochtone est supérieur à 4 euros le kilo. Le succès du négociant orléanais Apiculteurs Associés, devenu le deuxième revendeur de miel après la société Michaud, montre clairement que la crise apicole ne touche pas tout le monde.
« Nos produits sont présents dans les rayons de toutes les principales enseignes de la grande distribution en France », se félicite son président, Florent Vacher. Le chiffre d’affaires des Apiculteurs Associés atteint désormais 16 millions d’euros. Et cette belle réussite a encore de beaux jours devant elle, estime le champion du miel : « Le miel continue à plaire aux consommateurs. Il est même plébiscité, car c’est un des rares produits à voir ses ventes continuer à augmenter. C’est un produit naturel, non transformé, dans l’air du temps. »
De producteur à négociant
Son succès, Florent Vacher le doit à son passage de producteur à négociant. Sur les 2 500 tonnes de miel qu’il conditionne désormais – un chiffre en progression de 250% en huit ans –, à peine 50 à 60 tonnes proviennent de ses propres ruches. Certes, il conditionne également du miel de collègues apiculteurs français, mais l’immense majorité de ses miels (80% minimum selon des estimations d’experts) provient des quatre coins du monde : Italie, Espagne, Roumanie, Hongrie, Argentine et surtout Ukraine, désormais troisième fournisseur de miel pour la France, derrière la Chine et l’Espagne. La production de ce pays, qui dépasse aujourd’hui les 70000 tonnes (soit sept fois plus que la production française) a littéralement explosé, principalement grâce à l’augmentation des surfaces de cultures de tournesol, dont l’Ukraine est devenue le premier producteur mondial. Cette plante hautement mellifère est protégée par les traitements de semences à base de néonicotinoïdes. Cherchez l’erreur…