Jeudi 19 avril 018, le Parlement européen a adopté le nouveau règlement sur l’agriculture biologique. Porté par le député Vert allemand Martin Häusling, ce texte est censé rassurer les consommateurs face aux doutes que suscite la jungle des labels bio. Occupant 6% des surfaces agricole dans l’Union européenne, l’enjeu économique est en effet de taille. « L’explosion de la demande des consommateurs nous a dépassés. Il était temps de s’adapter », insiste Martin Häusling, qui consacre désormais tout son temps à aider ses 24700 collègues agriculteurs bio allemands. « Chaque année, 600 jettent l’éponge et retournent au conventionnel », note le député. Outre-Rhin, la concurrence est rude, le marché du bio étant déjà la cible de nombreux acteurs, avec désormais environ 30% de produits importés. « Nous croulons sous les importations », déplore Martin Häusling. D’où son souhait d’un renforcement du label bio européen afin de protéger ce secteur agricole encore très fragile.
Un manque d’audace
Or, le règlement européen n’a pas vraiment fait preuve d’audace. « Nous nous attendions à ce que l’UE impose des règles identiques pour les denrées produites dans l’UE et celles importées, car aujourd’hui, une seule “équivalence” suffit» , déplore Etienne Gangneron, responsable bio pour la FNSEA. Les règles de production étant différentes selon les pays, le consommateur ne sait pas vraiment ce que recouvrent les différents labels, tandis que les producteurs ne disposent pas des mêmes outils de production. L’exemple le plus frappant est celui des producteurs de bananes bio de la République dominicaine, qui traitent leurs cultures avec des hélicoptères acquis chez les producteurs de la Guadeloupe à la suite de l’interdiction d’usage imposée par la France ; une concurrence déloyale qui n’est pas prête de disparaître. « Les pays tiers reconnus aux fins de l’équivalence en vertu du règlement (CE) n° 834/2007 devraient continuer à être reconnus en tant que tels au titre du présent règlement durant une période limitée nécessaire pour assurer une transition harmonieuse vers le régime de la reconnaissance au titre d’un accord international », indique simplement l’aléa 96 du règlement, qui n’annonce aucune date butoir à cette «période limitée».
Un point anecdotique
Il est vrai que les grands noms du bio-business ne semblent pas être particulièrement pressés de modifier leurs sources d’approvisionnement, largement moins onéreuses que la production locale. D’où un manque évident de mobilisation du lobby du bio en la matière. Il a d’ailleurs préféré communiquer sur un point pourtant bien accessoire du nouveau règlement, l’aléa 37 concernant « la reproduction végétale de matériel hétérogène biologique ». Derrière cette formule technique, ce ne serait rien de moins que « la fin de la mainmise des grands groupes semenciers », note José Bové, tandis que le député PS Eric Andrieu se félicite qu’« avec ce règlement, on ouvre la porte à un matériel hétérogène et aux variétés adaptées aux besoins de l’agriculture biologique».
Pour Julie Ruiz du Figaro, ce serait même « l’aboutissement d’un combat mené depuis plusieurs années par les agriculteurs bio : la possibilité de commercialiser les semences paysannes ». C’est-à-dire celles « issues des semences utilisées par les paysans avant l’industrialisation de l’agriculture », explique la journaliste, visiblement peu au fait de la réalité agronomique. Toutefois, hormis une poignée de férus d’anciennes variétés, plus aucun agriculteur ne va s’aventurer à commercialiser des produits issus de ce genre de semences, d’ailleurs libres de droit depuis des décennies !
Parfaitement anecdotique, ce point risque bien au contraire de faire plus de mal que de bien à la filière, estime Etienne Gangneron : « Pensez-vous vraiment que les nombreux petits semenciers qui existent encore en France, vont investir dans des programmes de recherche pour nous apporter des nouvelles variétés dès lors qu’ils ne pourront pas protéger leurs semences ?»
Or, comme le note le nouveau règlement bio, « il importe de développer un matériel biologique de reproduction des végétaux adapté à l’agriculture biologique ». Autrement dit, il ne suffira pas de rechercher d’anciennes variétés pour permettre à l’agriculture biologique de se développer correctement. Si l’on ajoute que le règlement oblige à ce que les premiers croisements de plantes sur quelques mètres carrés démarrant la sélection soient eux-mêmes conduits en agriculture biologique, on imagine bien comment tous les sélectionneurs, petits ou grands, vont se précipiter… De même, on voit mal les agriculteurs bio se hâter d’acheter des semences issues on ne sait d’où au motif qu’elles seraient «paysannes» et ce sans les garanties sanitaires et de production que fournissent les semences inscrites dans le catalogue officiel avec l’ensemble de leurs caractéristiques.
Bref, quoi qu’en disent Bové et Andrieu, il n’y a rien dans cet aléa qui va faire trembler les entreprises semencières. D’autant plus que rien n’est encore acté. « Il faut attendre les textes d’application européens avant de conclure », note prudemment François Burgaud, responsable du Gnis qui s’interroge notamment sur l’existence d’un niveau minimum d’hétérogénéité exigé ou encore si les variétés refusées sur les autres listes du catalogue pourront se retrouver dans cette nouvelle catégorie. Y aura-t-il des seuils minima de qualité, par exemple sur la germination ? Quid de l’information complète de l’utilisateur sur ce qu’il achète ? Beaucoup de questions restent donc encore en suspens…