Dans sa chronique « Detox » diffusée le 25 octobre dernier sur France Inter, la journaliste Caroline Tourbe lançait ce qui pourrait paraître, aux yeux des personnes soucieuses de la biodiversité, un curieux avertissement : « Arrêtez de mettre des ruches partout ! » Et en particulier à Paris, où le nombre de ruches est passé d’environ 600 en 2016 à plus de 1 500 en 2019, « soit environ 15 ruches par km2 ». « C’est même devenu un business, avec des entreprises qui viennent déposer clés en mains des colonies sur les toits des immeubles de bureaux », explique la journaliste.
Des inquiétudes dans la communauté scientifique
Or, selon les travaux d’Isabelle Dajoz, de l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris, l’implantation accrue de ces ruches suscite des inquiétudes dans la communauté scientifique. « Il est fondamental de s’interroger sur l’existence d’une compétition entre pollinisateurs sauvages et abeille domestique en ville, qui pourrait fragiliser le maintien de la faune sauvage dans les milieux urbains, malgré les efforts fournis par les municipalités », explique la chercheuse qui, pour la première fois, a recensé le nombre d’abeilles sauvages qu’abrite la capitale.
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Rappelant qu’il existe en France environ 970 espèces différentes d’abeilles sauvages – et donc solitaires –, l’équipe d’Isabelle Dajoz en a inventorié 67 espèces différentes dans Paris intra-muros ; un nombre certes largement inférieur à celui du parc naturel régional du Vexin, où 141 espèces d’abeilles sauvages ont été recensées, ou encore à celui de la ville de Lyon, qui héberge pas moins de 291 espèces différentes, soit 30% de la faune française (Fortel et al., 2014). Alors que l’urbanisation est l’une des causes majeures de la perte de biodiversité à l’échelle mondiale – plus de 50 % de la population humaine vivant aujourd’hui dans les villes –, les centres urbains constituent néanmoins des îlots de ressources florales qui fournissent une alimentation aux insectes pollinisateurs tout au long de l’année (Baldock et al., 2015). « Plusieurs auteurs ont ainsi montré que les milieux urbains pouvaient abriter une faune pollinisatrice abondante, voire même plus diversifiée que dans les milieux semi-naturels et agricoles avoisinants », indique Isabelle Dajoz, notant que cette situation paradoxale a amené certains auteurs à souligner « que les milieux urbains seraient des habitats relativement favorables pour la faune pollinisatrice, notamment pour les abeilles sauvages ». Toutefois, ce fragile équilibre peut être menacé par l’introduction d’un nombre trop important d’abeilles domestiques, qui, contrairement à leurs cousines solitaires, ne sont pas spécialisées à des degrés divers sur certaines espèces ou communautés d’espèces florales. La survie des abeilles sauvages dépend donc étroitement de la présence de ces espèces végétales, qui se trouvent inévitablement prises d’assaut par l’armée des 50 000 abeilles domestiques qui peuplent une seule ruche.