À la suite de sa condamnation dans l’affaire qui l’opposait au collectif Justice pour le vivant, le gouvernement a finalement décidé de faire appel ; une décision nécessaire pour recadrer le champ de compétences des tribunaux
Les magistrats avaient alors conclu à la culpabilité de l’État, qui n’avait pas respecté ses engagements de réduction des produits phytopharmaceutiques pris dans le cadre des plans Écophyto, ce qui avait conduit, selon la Cour, à l’existence d’un préjudice écologique « résultant d’une contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques ». Les magistrats avaient ensuite enjoint l’État de prendre « toutes les mesures utiles » permettant de réparer ce préjudice et de prévenir « l’aggravation des dommages » d’ici le 30 juin 2024. Pour la première fois, un tribunal a ainsi reconnu l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination des eaux et des sols ainsi que du déclin de la biodiversité par l’usage de ces produits.
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Le 29 août dernier, les cinq associations réunies au sein du collectif Justice pour le vivant (Pollinis, Notre affaire à tous, l’Association nationale de protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds et l’Association pour la protection des animaux sauvages) annonçaient déjà avoir fait appel de cette condamnation, estimant ne pas avoir obtenu ce qu’elles souhaitaient. À savoir tout simplement modifier le processus d’homologation des produits phytopharmaceutiques, conduit aujourd’hui par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), afin de rendre à la fois impossible toute nouvelle homologation de pesticide et caduques les autorisations actuelles de mise sur le marché. Ce qui revient donc ni plus ni moins à imposer une agriculture sans pesticides de synthèse.
De l’importance de l’appel
Même si cette affaire était par conséquent vouée à revenir devant les tribunaux, l’appel de l’État demeure toutefois essentiel. Et cela pour deux raisons. « Sans cette démarche, les juges de la cour d’appel auraient pu conclure que l’État reconnaît de facto sa responsabilité dans l’effondrement du vivant, et donne ainsi une reconnaissance du bien-fondé du recours mené par les associations, justifiant alors l’existence d’insuffisances dans l’évaluation des risques des pesticides », estime Carole Hernandez Zakine, consultante experte en droit de l’environnement appliqué à l’agriculture. Autrement dit, l’État aurait ainsi validé une mise en cause inacceptable des compétences de l’Anses dans sa mission d’évaluation des risques et de protection des consommateurs.
Ensuite, comme le précise l’État, un non-appel aurait rendu possible pour le juge « de rendre contraignant un objectif politique auquel le Parlement n’a pas donné de force normative », alors qu’il revient au peuple, au travers des élections, de cautionner ou pas ces objectifs qualifiés par l’État de « politiques ». « Ce point est aujourd’hui essentiel face à la stratégie de certaines associations écologistes, qui saisissent la justice afin de rendre opposables à l’État des trajectoires dont la portée juridique reste incertaine et la justification scientifique discutable », observe Carole Hernandez Zakine.
Néanmoins, l’appel n’étant pas suspensif, l’État se doit toujours de répondre, d’ici le 30 juin 2024, aux exigences posées par le juge en prenant toutes les mesures utiles pour respecter les objectifs de réduction des pesticides prévus par les plans Écophyto. Un comble, puisque la nature même de ce contentieux démontre l’impossibilité d’atteindre des objectifs arbitrairement définis !
Enfin, et au-delà de ce contentieux juridique, se pose aujourd’hui la question concernant les discussions en cours sur l’écriture du prochain programme Écophyto 2030. « Ce contentieux oblige désormais l’État à rester précautionneux dans l’annonce future de ses objectifs, tout en procédant à une révision des textes législatifs afin de fixer une trajectoire raisonnable et réaliste validée par le Parlement et dont la faisabilité ait bel et bien été appréciée avec soin et en toute connaissance scientifique et économique », note Carole Hernandez Zakine.
Autrement dit : modifier la loi afin de préserver le droit à une agriculture en mesure d’alimenter les Français.