Prenant ses distances avec les discours apocalyptiques du « survivalisme » et de l’écologie intégrale, Noël Mamère revendique en revanche l’héritage du mouvement antimoderniste des années 1930 porté par Ellul et Charbonneau
À l’occasion de la sortie de son dernier livre, L’Écologie pour sauver nos vies, l’ancien député Noël Mamère a été interpellé par la journaliste du Point Géraldine Woessner sur le chapitre des OGM. Constatant que son invité semblait « resté complètement bloqué sur un ancien logiciel, sur les premières peurs qui ont conduit les écologistes à s’élever contre dans les années 1990 », la journaliste a rappelé qu’aujourd’hui, trente ans plus tard, « les connaissances ont considérablement progressé et la non-dangerosité pour les hommes et pour l’environnement fait consensus au sein de la communauté scientifique. Trente ans d’études et pas un mort, pas une intoxication ».
Laps de temps pendant lequel, a clairement indiqué Noël Mamère, son opinion sur le sujet n’a pas bougé d’un iota. Et pour cause ! Ce n’est en effet nullement en raison des problèmes éventuels qu’ils pourraient occasionner sur l’environnement ou la santé que l’ancien député mène son combat contre les OGM, mais bien pour l’avancée technique qu’ils symbolisent.
Le « mythe du progrès »
Fidèle disciple de Jacques Ellul (1912- 1994) et Bernard Charbonneau (1910- 1996) – eux-mêmes héritiers d’Élisée Reclus (1830-1905) ainsi que du géographe Franz Schrader (1844- 1924) –, l’auteur conteste « le mythe du progrès », tel que ses deux maîtres girondins l’ont défini dès 1935 dans un texte intitulé « Directives pour un manifeste personnaliste ». Ellul et Charbonneau y « posent les bases de la critique du progrès technique et de la croissance dont nous sommes héritiers », écrit Mamère en guise de présentation.
En résumé, les deux hommes estiment que le « progrès techno-scientifique et industriel » entraîne inévitablement la standardisation de la société dans une forme d’anéantissement général de la liberté individuelle. Cette critique du « modernisme » fut très à la mode dans les années de l’entre-deux-guerres, comme en témoigne la comédie dramatique de Charlie Chaplin, Les Temps modernes, sortie sur les écrans en 1936. Elle a été d’autant plus facilement réactivée à date récente par l’émergence des objets dits « intelligents ». « Un monde se construit, dans lequel nous sommes à la fois Big Brother et captifs », souligne Mamère, qui craint « une surveillance de masse contre nos libertés ».
Adepte de Charbonneau et électeur de Chaban-Delmas
À de multiples passages de son livre, il revient sur cet héritage que lui auraient confié Ellul et Charbonneau, qu’il a fréquentés dès ses vingt ans. « Je suis devenu écologiste le jour de mon arrivée à la faculté de Bordeaux, en 1969 (…), influencé par Jacques Ellul (…) qui fut le premier à écrire sur l’ambivalence du progrès », note-t-il ainsi. Certes, mais cela ne l’a guère empêché de voter pour Jacques Chaban-Delmas et non pour René Dumont, le candidat écologiste, lors de l’élection présidentielle de 1974.
En réalité, l’engagement écologiste de Noël Mamère se manifeste plus tard, et son parcours professionnel – notamment dans l’audiovisuel – ne témoigne pas vraiment d’une adhésion profonde aux principes de sobriété d’Ellul et Charbonneau, qui, eux, ont volontairement opté pour un mode de vie plutôt spartiate. De même, son engagement en faveur du « mariage gay » révèle une distanciation radicale avec les positions tranchées et très conservatrices d’un Jacques Ellul quant à l’homosexualité.
Dans un texte publié en 1987 et intitulé Le sida et la morale, Ellul écrit : « Il s’agit de prendre au sérieux Babel et Sodome. Nous constatons alors que, dans la Bible, l’intervention divine a lieu quand l’inhumanité, quand le “mal“, moral ou physique, dépassent les bornes. » Sans commentaire !
Dans son dernier opus, Noël Mamère prend également ses distances avec le « mensonge de la surpopulation (…) que les écologistes doivent être les premiers à dénoncer », tout comme avec les discours apocalyptiques du « survivalisme » et de l’écologie intégrale, prônée notamment par la revue conservatrice Limite, qui s’inscrit pourtant parfaitement dans le sillage de la pensée d’Ellul.
« Avec la menace de l’effondrement prospèrent des “tribus” qui détournent l’écologie de son but : libérer l’humain moderne des liens de sa servitude volontaire. “Survivalisme”, “collapsologie”, “écologie intégrale”, “effondrisme” sont des mots passés dans le langage courant comme des variantes de notre peur de fin de monde. Mais on ne construit rien sur la peur », écrit très justement l’ancien député.
Pourtant, son ouvrage livre une vision apocalyptique du monde actuel, à tel point qu’aucun compromis n’est tolérable avec ces « tentatives de rendre le capitalisme “vert” ». « Politiques, patrons de multinationales des énergies fossiles, de l’automobile, de l’agro-industrie, de la chimie, devront un jour s’expliquer devant une cour pénale internationale et répondre du crime d’écocide pour avoir dégradé la vie des humains et de tous ces êtres vivants non humains qui disparaissent massivement dans le silence du cimetière planétaire, faute de pouvoir entendre leur cri de détresse », clame Noël Mamère.
Aussi inscrit-il désormais son combat politique à l’encontre de la menace de « la bombe climatique » qui « met en jeu le devenir de l’humanité au même titre que la bombe atomique». Un peu excessif, non?