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La science au service du totalitarisme

Dans le deuxième volet de sa trilogie des « Greta », intitulé Greta a ressuscité Einstein 1 , paru chez VA éditions, Jean-Paul Oury, docteur en histoire des sciences et éditeur du site europeanscientist.com, étudie la place de la science dans le processus de prise de décision politique

Après avoir brillamment démontré dans Greta a tué Einstein que la jeune militante écologiste incarnait l’antithèse d’une société se fiant au progrès scientifique, l’auteur suggère ici que l’égérie de l’écologie contemporaine, à l’instar d’un grand nombre de ses collègues écologistes, a désormais choisi d’instrumentaliser la science afin de justifier la mise en place de son projet politique, un projet qui est loin de fédérer la majorité des citoyens.

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Pour être plus précis, Oury fait la distinction entre la « science prométhéenne », dont l’ambition est « d’innover pour libérer l’humanité de ses déterminismes », et la « science démocritéenne », qui incarnerait davantage « une forme de scientisme » permettant de justifier une série de mesures coercitives destinées à contrôler les faits et gestes de la population.

C’est bien entendu de la seconde que relève la démarche de l’adolescente qui – servant les desseins de « ceux qui la manipulent » – supplie les responsables politiques « d’écouter davantage les thèses scientifiques ». C’est ce que l’auteur appelle « la climatocratie », expliquant que, pour Greta, « écouter la science, c’est se conformer au modèle le plus catastrophiste du Giec […] pour établir les lois qui vont régir nos sociétés et prendre toutes les mesures qui s’imposent ».

À l’appui de sa thèse, l’auteur consacre un chapitre entier à la problématique du climat. Difficile, néanmoins, de le ranger parmi les climatosceptiques, puisqu’il admet volontiers « que le changement climatique est bien réel et que l’activité humaine a un certain impact ». Non, ce qui lui importe davantage, c’est « l’utilisation de la science pour installer la peur, déduire des normes, fixer des limites et décréter des interdits ».

Tout comme il fustige la quasicensure que subissent tous ceux qui ne partagent pas la vision catastrophiste du Giec. Il cite notamment l’exemple du physicien Steven
Koonin, ancien conseiller scientifique de Barack Obama, qui s’est vu écarté des débats, et du statisticien danois Bjørn Lomborg, qui, dans son livre intitulé Fausse alerte, s’interrogeait sur l’utilité des actions « sacrificielles » imposées par cette « climatocratie » que dénonce Oury.

Au pays de la biodiversitocratie

« Écouter la science », en version Greta, c’est aussi se soumettre au discours apocalyptique de l’astrophysicien Aurélien Barrau sur la biodiversité. « Barrau dispose d’un talent inouï pour dresser ce genre de tableau apocalyptique sur la “sixième extinction” », concède Oury, qui démontre, en invoquant notamment Christian Lévêque, un spécialiste des milieux aquatiques continentaux, directeur de recherche émérite de l’IRD, toute la complexité de ce sujet, pour lequel il n’existe pas de consensus scientifique. Ainsi, le biologiste Philippe Joudrier, ancien directeur de recherche à l’Inra, affirme que la mesure de la biodiversité repose sur trois erreurs méthodologiques : on ignore combien d’espèces existent puisqu’elles n’ont pas toutes été recensées, on ignore le nombre réel d’espèces qui disparaissent, et enfin on ignore le nombre d’espèces qui apparaissent. Ces erreurs sont inévitablement la source de prévisions alarmistes, comme celles du rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) de 2019, qui a conclu qu’environ un million d’espèces animales et végétales seraient menacées d’extinction au cours des prochaines décennies. Pour sa part, Christian Lévêque dénonce la vision « fixiste de la biodiversité », insistant sur le problème que pose le concept même d’espèce, un « concept artificiel » : « Quand on veut faire de la comptabilité des espèces, on ne sait plus très bien à quel niveau il faut se placer […] La métrique espèce est donc peu fiable. »

Et pourtant, comme le note Jean-Paul Oury, « pour le sujet de la biodiversité, il se produit le même scénario que pour le climat : on ne supporte pas la dissonance ». C’est là qu’on retrouve, sans grande surprise, le journaliste décroissant du Monde, Stéphane Foucart, qui fustige le « biodiversité-scepticisme » : « Plus discret que son jumeau climatique, ce “biodiversité-scepticisme” est en un sens bien plus inquiétant. »

Surveiller l’empreinte carbone de chaque citoyen ?

Sur les cinq thématiques retenues dans le livre – climat, Covid, biodiversité, collapsocratie et algorithme –, trois traitent donc directement de cette instrumentalisation de la science par l’écologie politique. Et toutes ont en commun de vouloir instaurer une forme de totalitarisme, comme le constate Jean-Paul Oury. Ainsi, Aurélien Barrau, « astrophysicien et dictateur malgré lui », n’a pas hésité à déclarer dans les colonnes du Point que, même s’il « exécrerait évidemment l’avènement d’une dictature », on ne peut « continuer à dire que chacun peut faire ce qu’il veut », sinon « on oublie le commun ».

L’instrumentalisation de la science dans les cinq thématiques retenues par le livre a pour objectif d’instaurer une forme de totalitarisme, avertit Jean-Paul Oury

Et de citer pour preuves toutes les mesures prises au nom du « bien public » lors de la gestion de la crise du Covid, sujet auquel Oury consacre également un chapitre entier, démontrant, là aussi, l’existence d’une forme très particulière d’instrumentalisation du discours scientifique.

Le concept de passeport vaccinal avec son QR code pourrait ainsi préfigurer un mode de contrôle de la population au service de l’environnement, par la création, par exemple, « d’un outil pour surveiller l’empreinte carbone de chaque citoyen », met en garde l’auteur.

Pour un réveil écologique

Des propos qui rappellent ceux de Pablo Gil, invité à la table ronde des Journées de l’Union française des semenciers, qui ont eu lieu le 10 novembre.

Diplômé de l’Essec et de l’ENS, ce jeune ingénieur censé faire partie de l’élite de sa génération représentait l’association Pour un réveil écologique, à l’origine d’un manifeste étudiant dont l’objectif est d’apporter « une ambition sociale et environnementale » au métier exercé. À l’opposé du collectif d’étudiants d’AgroParisTech, qui avait fait le buzz médiatique avec leur appel à « déserter » l’« agro-industrie », les signataires du manifeste Pour un réveil écologique expriment, au contraire, leur souhait d’intégrer le monde de l’industrie. Ce qui a priori semblerait plus sage.

Sauf que ne trouvent grâce à leurs yeux que les « employeurs suffisamment engagés dans la transition ». « Les entreprises doivent accepter de placer les logiques écologiques au cœur de leur organisation et de leurs activités », clame le manifeste, qui reprend à son compte toutes les idées reçues de l’écologie politique : régimes alimentaires moins carnés, sortie des énergies fossiles, limitation des transports. Le tout sur toile de fond d’une « transformation structurelle de nos sociétés » vers davantage de sobriété. « Est-il vraiment utile d’avoir une voiture à Paris ? », s’est ainsi interrogé en marge du colloque Pablo Gil, qui préconise de taxer lourdement tout ce qui ne serait pas « utile ». À savoir toutes choses qui ne répondraient pas aux objectifs fixés et déterminés par la climatocratie décrite par Jean-Paul Oury.

Afin d’instaurer le totalitarisme de cette écologie, le manifeste propose que l’environnement ne soit plus subordonné à la décision économique, « même lors de crises sanitaires ou sociales ». Ainsi, ces jeunes diplômés, issus pour la plupart d’un milieu privilégié, souhaiteraient inverser les priorités politiques car, pour eux, « sauver la planète » est plus important qu’améliorer les conditions matérielles du reste de la population…

Notes

  1. Jean-Paul Oury, Greta a ressuscité Einstein VA Éditions, décembre 2022 
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