Dans son dernier opus, le journaliste décroissant Stéphane Foucart révèle les raisons de son opposition au glyphosate, qu’il faudrait, selon lui, interdire non à cause de sa toxicité mais pour des motifs politiques
Dans un petit ouvrage d’une cinquantaine de pages dont le titre, Un mauvais usage du monde (Seuil), fait écho au livre de l’écrivain photographe Nicolas Bouvier, le journaliste décroissant Stéphane Foucart revient sur l’affaire du glyphosate. Toutefois, l’auteur n’entreprend pas d’y apporter un éclairage nouveau sur la controverse concernant la toxicité de cet herbicide maudit, car, selon lui, « l’essentiel est ailleurs ».
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« Le glyphosate est bien plus qu’un produit destiné à se débarrasser des mauvaises herbes », estime ainsi Foucart. « C’est la pierre angulaire d’un système économique et industriel », voire même « le vaisseau amiral des pesticides ». Pour faire court, le reproche majeur que lui fait le militant décroissant, c’est d’avoir permis « d’industrialiser l’agriculture, de la simplifier, de la faire changer d’échelle ». Ainsi, le problème posé par le glyphosate serait donc davantage d’ordre politique que toxicologique.
Moins de main-d’œuvre à cause du glyphosate
Il explique : « Grâce au couple OGM-glyphosate, les grands exploitants nord-américains ont pu faire de considérables économies de main-d’œuvre et de travail humain sur leurs parcelles. » Par conséquent, « la main-d’œuvre nécessaire au fonctionnement d’une exploitation n’est plus corrélée à sa taille, et c’est un bouleversement majeur dans l’histoire de l’agriculture ».
Ce « bouleversement » s’est également produit en Europe, « où la culture des OGM n’a pas été rendue possible », concède volontiers Foucart, en soulignant que « ce simple bénéfice économique entraîne des conséquences d’une magnitude insoupçonnée ». Lesquelles ? « Il a une fin délétère, majeure, sur les paysages, en accentuant la tendance à l’agrandissement des parcelles, à la rationalisation de l’exploitation de la terre. » Et de conclure que « les conditions indignes que nous infligeons aux animaux élevés en bâtiments, la surconsommation de viande, la contamination de nos ressources en eau par les nitrates, issus de leurs déjections sous lesquelles certains territoires étouffent littéralement, la prolifération d’algues vertes sur les côtes, comme c’est le cas en Bretagne… tout cela, à des degrés divers, est la conséquence indirecte des usages massifs du glyphosate » ! Bref, le glyphosate constituerait ni plus ni moins la cause principale de tous les problèmes attribués à l’agriculture…
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Un jeu de dupes
Pour l’auteur, la controverse sur la toxicité possible de cette molécule ne serait en réalité « qu’un jeu de dupes », « un écran de fumée réglementaire, qui occulte les effets de système qu’elle induit ». Et il est tout à fait inutile d’essayer de remplacer cette molécule par une autre : « Un substitut du couple glyphosate-OGM parfaitement sain, c’est-à-dire surtout non-cancérogène, viendrait-il prendre la place du glyphosate, qu’il ne changerait rien aux effets directs et indirects, majeurs et structurant pour l’environnement et l’économie mondiale. » En mettant les points sur les i : « L’idée très répandue selon laquelle il suffirait de remplacer le glyphosate par un autre produit innovant, efficace et sûr, est donc aveugle aux questions socio-économiques posées par les usages de ce produit. Le couple OGM-herbicide impose à la nature une intransigeante raison économique. »
L’auteur révèle ainsi les motivations profondes de son combat contre le glyphosate : « Pour faire évoluer le système agricole vers plus de durabilité, l’une des solutions est de faire interdire des molécules clés comme le glyphosate, qui permettent l’agrandissement sans fin des exploitations. » C’est dans ce contexte idéologique que s’inscrit la polémique sur sa toxicité. Foucart souligne, avec raison, que l’unique façon d’interdire une molécule en Europe est de la faire reconnaître comme cancérogène, mutagène, reprotoxique ou perturbateur endocrinien. « Sans de telles démonstrations, […] il est extrêmement difficile, d’un point de vue juridique, de faire retirer du marché un pesticide comme le glyphosate », admet- il, précisant qu’« un gouvernement dominé par des écologistes radicaux qui arriverait au pouvoir dans un pays de l’Union européenne aurait toutes les peines du monde à y interdire l’usage d’un tel produit sans une série de preuves solidement étayées de risques sérieux pour la santé humaine ou l’environnement ».
On voit en effet difficilement pourquoi on interdirait une molécule dont la toxicité, au regard de ses bénéfices économiques et environnementaux, serait acceptable. C’est précisément le cas du glyphosate qui, dans le système agronomique actuel, apporte à l’agriculteur un gain de « productivité » incontestable.
Le journaliste du Monde poursuit sa charge : « Accepter les conclusions de l’expertise du Circ [qui a inscrit le glyphosate dans la catégorie des « cancérogènes probables », NDLR], c’est signer l’arrêt de mort du glyphosate sur le continent européen », et par conséquent, « mettre en danger tout le système qui repose sur lui ». Cela explique pourquoi, depuis 2015, contre l’avis de toutes les autres agences sanitaires et réglementaires mondiales, Foucart n’en démord pas : l’avis du Circ est le seul valable.
Anéantir le système agricole actuel
Au travers des mobilisations contre cette molécule, il s’agit donc d’ébranler tout le système agricole actuel, de l’anéantir pour le remplacer par un autre, censé être plus vertueux.
L’interdiction du glyphosate ne serait ainsi que le prélude à un changement systémique et radical. « On glose sans fin sur l’impossibilité de remplacer tel rouage d’une machine complexe, sans poser sérieusement la question de changer la machine. Savoir si tel engrenage est dangereux, si on peut le remplacer par une autre pièce : c’est le travail des experts. Concevoir et proposer un changement de la machine, c’est faire de la politique », souligne Foucart, trahissant le sens même de la stratégie de la nébuleuse écologiste : interdire un maximum d’« engrenages », dont peu importe la dangerosité, afin de forcer à un changement de « machine »…