Par suite de la crise du Covid-19, le jour du dépassement mondial sera repoussé de trois semaines, se sont unanimement félicités les médias français. Or, cette date théorique ne repose sur aucune réalité. Décryptage
Après avoir modulé à l’unisson la petite ritournelle de la Nature qui reprendrait ses droits grâce au confinement, les médias se sont étendus sur les bienfaits de la crise du Covid-19. « Le confinement a fait “du bien” à la planète », a ainsi assuré BFM TV, en se basant sur un communiqué de l’association Global Footprint Network (GFN). C’est elle qui est à l’origine du fameux « jour du dépassement », date théorique à partir de laquelle l’humanité aurait consommé toutes les ressources que les écosystèmes peuvent produire en une année.
Pour 2020, cette date fatidique sera repoussée de trois semaines, c’est-à-dire jusqu’au 22 août, selon GFN. « La date reflète la réduction de 9,3 % de l’empreinte écologique de l’humanité du 1er janvier au jour du dépassement par rapport à la même période de l’an dernier. Cette réduction est une conséquence directe du confinement imposé par le coronavirus dans le monde », explique le communiqué de presse.
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« C’est toujours ça de gagné ! », s’est réjoui le journaliste Clément Carpentier dans les colonnes de 20 Minutes, tandis que France-Soir titrait « Trois semaines de rab pour la planète grâce aux coronavirus ». Très enthousiaste, L’Express va même plus loin en estimant que « ces chiffres encourageants montrent qu’un autre mode de vie est possible ». Un élan confirmé par le président du GFN, Mathis Wackernagel, qui déclare que « cela montre que des changements importants et rapides sont possibles ». Gardant cependant la tête froide, il ajoute un petit bémol : « Mais cette réduction de notre empreinte écologique est imposée et non voulue, et comme elle ne s’accompagne pas d’un changement systémique dans nos modes de production et de consommation, elle ne va pas durer. »
Interrogé par Audrey Garric pour Le Monde, le climatologue Philippe Ciais va dans le même sens : « C’est un chiffre optimiste », notant que « cela va dépendre de la façon dont se fait la relance économique ». « Or, les dernières données provenant de Chine montrent que les émissions issues de l’industrie sont reparties à la hausse depuis la fin du confinement en mars, dépassant légèrement les niveaux de 2019 », s’inquiète le climatologue.
De fait, on n’a de certitude que sur l’absurdité de cette date, qui ne veut absolument rien dire. Ainsi donc, deux mois de confinement et l’arrêt de l’économie mondiale auraient seulement réduit notre em- preinte écologique d’à peine trois semaines ! Que faudrait-il, alors, pour ne pas laisser de « dette écologique » à nos enfants ?
En réalité, cette mesure n’a aucun fondement car la base même de son calcul pose de sérieux problèmes. Il est donc regrettable que les médias reprennent cet indicateur sans pratiquement jamais s’interroger sur sa pertinence.
Une convention mathématique
Le jour du dépassement repose sur le calcul de l’empreinte écologique qui, elle, mesure, d’un côté, les surfaces biologiquement productives dont il faut disposer pour produire certaines ressources renouvelables (alimentation, fibres textiles et autre biomasse), et de l’autre, les surfaces dont il faudrait disposer pour séquestrer dans la biosphère certains polluants, principalement les émissions de CO2.
Si cet outil constitue un indicateur relativement fiable pour la production de denrées alimentaires – celles, en tout cas, qui mobilisent des surfaces réelles –, en revanche, il n’est pas très adéquat en ce qui concerne les émissions de CO2, pourtant « le principal déchet pris en compte par cet indicateur », comme le souligne l’environnementaliste Aurélien Boutaud, co-auteur du livre L’Empreinte écologique (La Découverte, 2018). Ce sont en effet ces émissions de CO2 qui sont responsables du fait que notre empreinte écologique dépasse largement les superficies disponibles. « Ce facteur occuperait à lui seul 81% de la superficie de la planète et constitue la seule raison pour laquelle nous aurions soudainement besoin de plus d’une planète », note pour sa part l’écologiste danois Bjørn Lomborg.
Aurélien Boutaud souligne que les concepteurs de l’empreinte écologique ont établi une convention « mathématique » consistant à traduire les émissions de CO2 non absorbées par les océans en surfaces de reforestation nécessaires pour éliminer ce surplus. En résulte, pour reprendre les termes de l’auteur, une « empreinte fictive ou fantôme ». D’où les nombreuses critiques de cette approche.
Des absurdités pseudo-scientifiques
Ainsi, Michael Shellenberger, fondateur et président de l’association Environmental Progress, a dénoncé le jour du dépassement et l’empreinte écologique comme « des absurdités pseudo-scientifiques », expliquant que, sur les six mesures qui composent l’empreinte écologique, « cinq d’entre elles, y compris les aliments et la foresterie, étaient soit en équilibre, soit excédentaires. La seule chose qui n’était pas équilibrée, c’étaient les émissions de carbone de l’humanité ». Il en déduit logiquement que « pour résoudre ce problème, il ne faut pas que les pays riches deviennent pauvres – ou que les pays pauvres restent pauvres – mais simplement que nous nous dirigions vers des sources d’énergie qui ne produisent pas d’émissions de carbone, un processus appelé “décarbonisation” ». Et de pointer la faille inhérente au jour du dépassement : les créateurs de l’empreinte écologique ont supposé « que la seule façon de résoudre le problème du changement climatique était d’étendre le couvert forestier pour absorber toutes les émissions industrielles de carbone. En d’autres termes, l’empreinte écologique convertit les émissions de dioxyde de carbone en une catégorie d’utilisation du sol, ignorant ainsi toutes les autres façons d’absorber ou de ne jamais émettre de CO2 ». Enfin, il enfonce le clou en soulignant que « l’empreinte écologique choisit arbitrairement un seul chiffre pour représenter le taux d’absorption du carbone pour toutes les forêts du monde entier et pour toujours », alors que « différentes forêts absorbent le dioxyde de carbone à des taux différents au fil du temps ».
Bjørn Lomborg corrobore cette critique: « Non seulement il n’est pas certain que nous devions absolument réduire à zéro les émissions de CO2 (bien que nous devions les réduire significativement sur le long terme). Mais plus important encore, l’option de la reforestation pour absorber le surplus de CO2 est certainement l’alternative la moins efficiente pour réduire le taux de CO2. Selon l’évaluation standard, pour chaque tonne de CO2 émis chaque année, nous devons reboiser une surface de 2000 m2 pour l’absorber. Par contre, si nous optons pour les éoliennes et les panneaux solaires, il nous faudra seulement 30 m2 de forêts, voire moins, pour éliminer une tonne de CO2 émis. Mieux encore, leurs installations ne nécessitent pas forcément la mobilisation de surfaces biologiquement productives, puisque les panneaux solaires peuvent être installés sur les toits ou dans un désert, et les éoliennes, au large des océans. Du coup, les 81 % descendraient brusquement à moins de 1, voire à 0. » Confirmant l’absurdité de la convention choisie par le GFN, Michael Shellenberger rappelle quant à lui que les deux seuls pays à avoir fortement décarbonisé leur approvisionnement énergétique, la France et la Suède, l’ont fait grâce à l’utilisation de l’énergie nucléaire, et non par la création de nouvelles forêts. Mais l’on atteint au summum du ridicule lorsqu’on réalise que ni le jour du dépassement ni l’empreinte écologique ne sont à même de faire une distinction entre les pays vertueux quant à leur impact sur la planète et ceux qui ne le sont pas.
La preuve par l’absurde
En effet, comment comprendre que le jour du dépassement pour l’Indonésie en 2020 puisse se situer le 18 décembre, comme si ce pays était l’un des plus vertueux de la planète, quand il est surtout l’un des leaders mondiaux de la production d’huile de palme, constamment pointée du doigt par les organisations écologistes, qui considèrent la forêt indonésienne comme bien plus menacée aujourd’hui que celle d’Amazonie ? A contrario, le WWF France déclarait en juillet 2019 que la France, avec un jour du dépassement fixé au 14 mai, était un mauvais élève, car « si l’humanité vivait comme les Français, il faudrait 2,7 Terres ». Soit un résultat presque aussi mauvais que… le Bhoutan avec son jour du dépassement prenant effet au 12 mai. Or, ce pays est cité en modèle par tous les écologistes, dont la militante Vandana Shiva affirmant que « le Bhoutan est un laboratoire qui montre qu’un autre type de développement, durable et équitable, est possible ».
Bref, une preuve par l’absurde supplémentaire qu’empreinte écologique et jour du dépassement sont d’un intérêt nul, sauf à leur reconnaître de permettre aux écologistes d’orchestrer chaque année un coup de com’ planétaire.
« Au lieu de paniquer sur des prophéties d’empreintes écologiques non viables, nous ferions mieux de nous focaliser sur les questions de fond : sortir des millions d’individus de la pauvreté et dans le même temps, investir dans des innovations qui élimineront les risques futurs de pollution et amélioreront la productivité de nos terres », martèle Bjørn Lomborg. Et il a bien raison…