En exclusivité pour A&E, Julien Dive, député LR de la 2è circonscription de l’Aisne, livre ses réflexions au sujet de la partie agricole du plan de relance du gouvernement
Dans son plan de relance, le gouvernement va accorder 1,2 milliard d’euros au secteur agricole. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Alors qu’on avait fait, pendant des semaines, l’éloge de l’agriculture pour avoir réussi à nourrir les Français durant la période du confinement, ce secteur faisait paradoxalement figure de grande oubliée dans la première mouture du plan. Il a donc fallu un rappel à l’ordre de la part du monde agricole et de ses soutiens pour qu’une somme lui soit en effet allouée.
Avec des collègues, d’avril à juillet, nous avions d’ailleurs monté une cellule transpartisane de suivi de l’ensemble des filières, afin de rédiger un rapport présentant des propositions concrètes. Il était donc indispensable que des moyens financiers soient débloqués pour ces investissements. Simplement, je remarque que, pour certains postes, on s’est contenté de faire du
« Covid-washing », car certaines enveloppes étaient déjà engagées.
En outre, une partie de l’argent est destinée à tenir les promesses faites par l’ancien ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, qui ont mis le gouvernement en difficulté. Je pense notamment à la filière de la pomme de terre, qui a dû détruire une partie de sa production stockée en l’évacuant, faute d’autres débouchés, vers des méthaniseurs, afin de libérer de l’espace pour la nouvelle récolte. D’où un manque à gagner considérable qui devait être compensé par une enveloppe de 10 millions d’euros, comme l’avait promis le ministre. Or, on s’est aperçu que la rue de Varenne ne disposait pas de cet argent…
Enfin, on parle beaucoup de recherche – et j’y suis bien entendu très favorable –, mais tout le monde sait qu’il faut au minimum une dizaine d’années avant de voir des effets sur le terrain. Or, l’important est de garantir l’existence de nos filières, d’où la nécessité d’actions concrètes pour sécuriser ce qui est déjà en place, sinon cela ne servira à rien !
Tout cela étant dit, je pense qu’au regard de l’enveloppe globale, de l’importance du secteur agricole, et de ce que devraient être nos ambitions agricoles, 1,2 milliard d’euros, c’est trop peu.
D’un côté, le gouvernement libère plus d’un milliard d’euros, et dans le même temps, il prend des mesures qui induisent un surcoût d’un milliard d’euros ! Notamment par l’interdiction du glyphosate qui, pour la seule filière céréalière, va alourdir les charges de quelque 900 000 euros. N’est-on pas là face à une aberration ?
Vous avez entièrement raison ! Je pense que, lorsque le président Macron a fait son annonce sur le glyphosate, il a agi trop vite, sans connaître le dossier. C’était l’annonce d’un président de la République nouvellement élu et pour ainsi dire, toujours en campagne.
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Depuis, j’espère qu’il a compris que s’il ne veut pas mettre beaucoup de techniques culturales face à des impasses, comme par exemple l’agriculture de conservation des sols, ou l’élimination difficile d’adventices – dont certaines sont toxiques ou invasives –, le gouvernement sera obligé de rétropédaler. D’ailleurs, n’est-ce pas ce qu’il faut conclure du dernier rapport de l’Anses, qui a clairement identifié un nombre d’usages pour lesquels il n’y a pas de technique de substitution ?
Sinon, les agriculteurs comme l’environnement seront perdants, car le glyphosate est clairement plus efficace et sans doute moins nocif que les autres produits auxquels on aurait alors recours. Mais il est vrai que ces produits étant moins connus du grand public, leur interdiction serait, du point de vue politique, un parti pris beau- coup moins « vendeur ».
Deuxième point : des lois qui ont été bâclées et adoptées sans se soucier des implications. C’est le cas de la loi sur la biodiversité de 2016 qui interdit notamment les néonicotinoïdes, sur laquelle nous sommes contraints de revenir aujourd’hui. Et ce, pour plusieurs raisons.
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D’abord, parce qu’il y a un risque économique majeur en termes d’emplois dans l’industrie sucrière et dans l’agriculture, car, sans une production importante de betteraves, c’est toute une filière qui est menacée.
Ensuite, l’interdiction est un non-sens du point de vue environnemental. Pour préserver leurs cultures, les agriculteurs n’ont pas d’autres solutions que de ressortir leurs vieux pulvérisateurs pour appliquer des insecticides foliaires autorisés, dont les effets sur la faune – et notamment sur les abeilles et autres insectes auxiliaires – sont bien pires que les solutions que procuraient les enrobages de semences par néonicotinoïdes.
Au final, en politique comme ailleurs, on finit toujours par vérifier que le mieux est l’ennemi du bien ! N’aurait-il pas été plus sage d’écouter les acteurs du terrain et les instituts spécialisés ? Et, comme on s’en rend compte en ce moment, le retour à la raison n’est pas chose facile, car il y a toujours des personnages très populaires prêts à se manifester pour refuser cette cruelle réalité. Je pense ainsi aux déclarations récentes de Nicolas Hulot, visiblement peu préoccupé par la délocalisation de la filière sucrière qui, selon lui, « n’a pas d’avenir en France».
Alors, en fin de compte, je suis d’accord avec vous : d’un côté, on nous délivre de beaux discours avec la promotion de la souveraineté alimentaire de la France, et de l’autre, on continue à entraver la production en mettant en vigueur des règles et des barrières qui sont des non-sens environnementaux et économiques, de surcroît rarement appliqués dans les autres pays de l’Union européenne. Un comble !
Ne faudrait-il pas tout simplement commencer par lever certaines de ces contraintes et surtout ne pas en ajouter d’autres ?
Absolument, car des filières qui ne vivent que de subventions sont des filières malades. Or, pour la plupart d’entre elles, nous les avons rendues malades en leur imposant toutes ces règles, contraintes et obligations qui les empêchent d’être rentables et compétitives. Elles sont malades car elles ont été mises en concurrence avec les filières de pays qui n’ont pas imposé à leurs agriculteurs de semblables contraintes, et qui ne le feront pas, quoi qu’en pensent les bien-pensants !
On pourrait citer des tas d’exemples où c’est le cas. Je pense notamment au diméthoate, un insecticide qui permet de protéger les cerises contre le moucheron asiatique (Drosophila suzukii).
Cet usage a été interdit en France en février 2016. Puis un arrêté, reconduit chaque année depuis, a interdit les importations de cerises traitées provenant de pays permettant l’utilisation du diméthoate, afin d’éviter une distorsion de concurrence. L’idée était plutôt bonne. Sauf que, par la suite, nous avons passé un accord avec l’un des principaux pays exportateurs de cerises, la Turquie, qui autorise toujours l’usage du diméthoate, lui ouvrant nos frontières, à la condition bien sûr que les cerises importées n’aient pas été traitées.
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Toutefois, nous ne nous sommes pas donné les moyens de vérifier que cette promesse était réellement tenue, et à titre personnel, permettez-moi d’en douter car il n’y a aucune traçabilité de ces cerises produites en Turquie et qui se retrouvent dans les assiettes des consommateurs français !
Le plan de relance semble répondre principalement à des problématiques franco-françaises. Les filières d’exportation n’en sont-elles pas les grandes absentes ?
Votre question dépasse le sujet du plan de relance, car on touche là ni plus ni moins au problème de notre souveraineté alimentaire.
Si l’on retire les exportations de spiritueux, notre balance commerciale agroalimentaire est en effet déficitaire. D’où, d’ailleurs, l’intérêt de défendre la filière de la betterave à sucre, qui est encore – avec celle, bien moins connue, des semences – l’une des rares filières encore exportatrices. Savez-vous que, grâce à notre production de betteraves, nous exportons également de l’éthanol, qui sert à faire du whisky en Écosse et en Irlande, et de la vodka dans d’autres pays ?
Cela étant, la question de la balance commerciale nous amène à nous demander plus largement si nous sommes capables aujourd’hui de pourvoir à tous nos besoins.
Prenons l’exemple de la volaille : le fait est que nous importons chaque année de plus en plus de poulets. Comme l’a fait remarquer l’interprofession de la volaille française, pour l’année 2019, alors que la consommation de poulets a augmenté de 3 % par rapport à 2018, la production française a marqué un repli de 1,2 %. Par conséquent, les importations ont encore progressé de + 4,7%.
Dans la restauration collective, on estime que plus de 60% de la volaille est importée. Pourquoi ? Parce que, en fin de compte, c’est toujours le coût qui dicte les décisions. Il me semble que, pour l’avenir, nous n’avons pas tellement le choix : il nous faut, d’une part, réapprendre à consommer des produits d’origine française de bonne qualité, et d’autre part, arrêter de tenir le prix comme la boussole de l’alimentation, sinon nous allons tuer nos filières.
En réalité, la recherche systématique du prix le moins cher n’enrichit pas le caddie de la ménagère et appauvrit le producteur. Je pense que nous devons faire une sorte de révolution culturelle, comme nous avons d’ailleurs su le faire pendant le confinement, en dédiant une part plus importante de notre pouvoir d’achat à l’alimentation.
Avec la crise économique qui se dessine à l’horizon en raison du Covid-19, pensez-vous vraiment qu’il est raisonnable de dire aux Français qu’ils devront désormais payer plus cher leur alimentation ?
Afin de répondre à cette légitime préoccupation, je propose d’utiliser le mécanisme de la TVA pour défendre à la fois notre production nationale et le pouvoir d’achat des consommateurs. Aujourd’hui, sur beaucoup de produits, le taux de TVA est fixé à 20 %, et sur certains produits, elle a été réduite à 5,5 %. Eh bien, je demande qu’on puisse la réduire encore au-dessous de ce taux pour l’alimentation. Certes, c’est une problématique européenne – puisque nous devons rester dans le cadre de l’UE –, mais il me semble nécessaire de pouvoir aménager la TVA, notamment sur nos circuits courts et sur la production locale, afin justement de défendre nos produits nationaux.
Ensuite, il est aussi indispensable de travailler sur le nombre d’intermédiaires, ce qui peut permettre de réduire le coût final pour le consommateur.
Enfin, j’ai la conviction que les importations constituent un sujet majeur. Afin d’améliorer notre balance commerciale, nous devons en priorité reconquérir ces marchés intérieurs que nous avons perdus au fil des années. C’est là que l’effort doit être porté. Ce qui nécessite, il est vrai, de procéder à une réelle évaluation de notre autonomie alimentaire.
Je constate par exemple qu’il y a des territoires en France – notamment dans des villes comme Paris – où 70 à 80% de ce qui est consommé est importé. Et, à côté, vous avez des territoires où l’équilibre est plus raisonnable, avec 50 à 60% de la consommation alimentaire qui sont produits en France. Il y a là un vaste sujet sur lequel nous devons apporter des solutions.