Le 13 juin dernier, les citoyens suisses ont été appelés à voter sur plusieurs initiatives populaires, dont une intitulée « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse» et l’autre «Pour une eau potable propre et une alimentation saine ». Contre toute attente, ces deux initiatives ont été rejetées par une large majorité
En Suisse, deux instruments de démocratie directe sont à la disposition des citoyens : le référendum, qui s’applique lorsqu’une loi a été votée au Parlement, et le référendum d’initiative populaire, qui est rendu possible dès lors que plus de 100000 signatures ont été récoltées et qui permet de proposer une modification de la Constitution. L’initiative peut porter sur n’importe quel thème, à l’instar de celle proposée en décembre 2018, qui visait à ce que l’État verse des contributions aux agriculteurs qui n’écornent pas leurs animaux.
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En ce qui concerne la votation du 13 juin 2021, deux initiatives distinctes, mais somme toute assez complémentaires, étaient proposées. La première, « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse », envisageait d’une part d’interdire l’usage de tous les pesticides de synthèse d’ici 2030, et d’autre part d’interdire toutes les importations de denrées alimentaires ne respectant pas ces standards – y compris lors de la transformation.
La seconde, « Pour une eau potable propre et une alimentation saine », avait pour objectif d’empêcher tous les agriculteurs utilisant des produits phytosanitaires d’avoir accès aux paiements directs. « Ce qui aurait signifié la faillite de nombreuses exploitations, car avec les exigences environnementales qui existent déjà en Suisse, ces aides sont indispensables », explique Michael Feitknecht, chef du département Production végétale de la coopérative suisse Fenaco.
Mais ce n’est pas tout. Le texte de la seconde initiative proposait également d’interdire aux agriculteurs l’usage de fourrage qui n’est pas produit sur l’exploitation – l’idée étant de limiter l’azote dans l’eau et donc de maintenir un équilibre entre élevage et cultures.
Bio Suisse appelle à voter contre
À l’origine de cette dernière initiative, plutôt radicale, se trouve une coach de fitness, tout à fait étrangère au monde agricole. Laquelle a cependant réussi à fédérer autour d’elle l’Association des petits paysans et diverses associations environne- mentales, qui ont tenté d’obtenir le soutien de Bio Suisse, l’association qui fédère l’ensemble des acteurs bio de Suisse et y gère le label bio. Toutefois, Bio Suisse a décidé par un vote en assemblée générale de s’opposer à cette proposition, estimant qu’elle était « trop dure avec le monde agricole ».
Son président, Urs Brändli, a expliqué à la presse qu’ « en tant qu’organisation professionnelle, Bio Suisse défend l’environnement depuis quarante ans », mais qu’elle « défend aussi les paysans. La durabilité, c’est également l’aspect social et la survie économique. Le but du texte est bon, mais il est trop radical ». Comme le note Michael Feitknecht : « La position de Bio Suisse a été perçue comme un signal très fort de la part des citoyens. Cela a fait réfléchir les consommateurs aux conséquences d’une telle interdiction. »
C’est donc bien la radicalité de ce texte qui a tué l’initiative, incitant l’association Bio Suisse à afficher clairement son hostilité envers elle. Aux yeux des citoyens, qui, pour la plupart d’entre eux, ne faisaient pas de différence entre les deux initiatives – tant il est vrai qu’elles allaient toutes les deux dans le même sens –, le message de Bio Suisse a servi de révélateur.
Si cette association, qui défend une agriculture durable, s’opposait à cette initiative, c’était bien le signe qu’elle allait « trop loin ». Le débat, ouvert par la prise de position de Bio Suisse, a donné lieu chez les consommateurs à une réelle réflexion sur les conséquences possibles d’une telle interdiction. Notamment sur la question des importations, dont la Suisse dépend pour faire fonctionner une partie importante de son agro-industrie. C’est par exemple le cas du secteur du chocolat, qui nécessite des importations considérables de cacao, et qui ne peut exister uniquement à partir de cacao bio. Il en va de même pour le café du groupe Nestlé, dont les capsules Nespresso destinées au monde entier sont produites en Suisse.
Un résultat très clair
Après moult débats, le résultat s’est affiché sans aucune ambiguïté : alors que le « oui » était donné gagnant par les premiers sondages avec presque 54% de voix, en fin de compte 61% de la population s’est prononcée contre les deux initiatives, avec une participation très élevée avoisinant les 60 %.
« La mobilisation des agricultrices et agriculteurs a été très forte. Ils se sont énormément engagés dans la campagne de votation », indique Michael Feitknecht. Paradoxalement, un seul canton dans toute la Suisse a voté majoritairement en faveur des deux initiatives : celui de la ville de Bâle, où se trouvent implantées les grandes multinationales suisses, dont Syngenta, et où plus d’un tiers de la valeur économique ajoutée totale pro- vient de l’industrie chimique.
Cependant, l’un des enseignements les plus intéressants de ce scrutin a été la répartition des votes par tranches d’âge. Les analyses qui ont déjà été rendues publiques révèlent en effet que ce sont les jeunes entre 18 et 34 ans qui se sont le plus opposés aux deux initiatives (69 % contre et 31 % pour), alors que le vote était plus serré pour les personnes âgées de plus de 65 ans (53% contre et 47% pour).
Très affectés par la crise du coronavirus, tant à cause des restrictions imposées par le gouvernement fédéral que des conséquences économiques liées à cette crise, les jeunes ont clairement fait preuve dans leurs votes de davantage de raison que les catégories les plus âgées, souvent aussi plus aisées, qui se sont davantage prononcées en faveur des initiatives proposées. Convaincue d’être responsable du mauvais état de la planète et se sentant dans l’obligation d’agir pour transmettre une « bonne planète à nos petits-enfants », cette génération de baby-boomers semble avoir davantage été motivée par une sorte de sentiment de culpabilité, ainsi que l’estiment certains analystes suisses.
« Généralement, ce qui ressort de ces rejets, c’est que la population suisse a confiance dans le monde agricole. Elle est consciente des efforts qui ont déjà été réalisés et que l’on ne va pas améliorer les choses par des initiatives radicales. Pour beaucoup, cependant, c’était un non avec des réserves. La population suisse attend de son agriculture qu’elle maintienne sa productivité tout en devenant plus durable », conclut Michael Feitknecht.
Enfin, les électeurs ont parfaitement saisi que l’adoption de ces initiatives aurait eu pour effet une baisse considérable de la production agricole suisse, et par conséquent une augmentation des importations de produits à partir de pays ayant des standards de production très différents.
Avec un niveau d’importations qui se situe déjà aujourd’hui aux alen- tours de 40 % de la consommation, notamment en raison des coûts de production bien plus élevés que dans le reste de l’Europe, la Suisse peut difficilement se permettre le sabor- dage d’une partie importante de ses exploitations agricoles.
En résumé, la population suisse a clairement indiqué qu’elle préférait consommer des produits issus de l’agriculture conventionnelle suisse, dont la qualité des produits ne fait aucun doute, plutôt que des produits bio importés.