La mobilisation antivaccin reprend les éléments de langage utilisés contre les OGM, et on y retouve sans surprise les mêmes acteurs
« Non, les vaccins à ARN messager contre le Covid-19 ne feront pas de nous des OGM », notait le quotidien Libération dans l’un de ses CheckNews, dès décembre 2020. Cette rumeur avait alors été diffusée par « différents commentateurs » avec l’espoir de provoquer ainsi une large résistance à la campagne de vaccination.
Dans une tribune publiée quelques semaines plus tard par la Cornell Alliance for Science, l’écologiste britannique Mark Lynas observait que les mouvements anti-OGM et anti-vaccin « se chevauchent considérablement ». « Nous avons tous subi les théories conspirationnistes sur le Covid-19. Aujourd’hui, une nouvelle vague de même nature est en train de se former à propos des vaccins et de se propager de manière aussi virulente que la pandémie que ceux- ci sont censés contrôler », écrit l’auteur de cette tribune, en rappelant que « ces groupes ont tendance à partager une idéologie qui se méfie de la science moderne et fétichisent plutôt les approches “naturelles” ». En effet, ce sont, à peu de chose près, les mêmes éléments de langage que l’on retrouve dans ces deux formes de contestation. D’une part, les vaccins – tout comme les OGM – viendraient dérégler l’harmonie de notre corps et son système immunitaire, et d’autre part, il y aurait derrière ces vaccins – et les OGM – une volonté de domination émanant de certaines puissances économiques qui, par leurs innovations, mettraient en péril la liberté des citoyens. Enfin, les mêmes phrases types sont utilisées pour dénigrer les OGM dans la campagne contre la vaccination : le vaccin serait un « bidouillage génétique », vis-à-vis duquel on n’aurait « aucun recul ».
Le Criigen
Depuis plusieurs mois, le Criigen diffuse en effet sur ce sujet des documents et vidéos réalisés par Christian Vélot, président de son conseil scientifique. Comme le note l’AFP, l’une de ces vidéos, publiée le 29 juin sur le site FranceSoir, est devenue « un relais actif de nombre de théories sans fondement scientifique autour du Co- vid-19 et des vaccins ». L’AFP, qui a relevé les erreurs figurant dans cette vidéo, aurait également pu préciser que sa rhétorique correspond exactement à celle utilisée contre les OGM : il s’agit ainsi de semer le doute sur les bénéfices de la vaccination anti-Covid en suggérant, sans jamais pouvoir rien prouver, qu’il y aurait des risques probables. D’où la nécessité d’invoquer le principe de précaution pour… ne rien faire !
Ainsi, Vélot affirme, par exemple, que les vaccins contre le Covid laissent « la voie libre » aux variants du virus en bloquant sa souche « originelle », et qu’il ne faut donc « pas vacciner tout le monde ». Une affirmation fermement réfutée par les analyses de plusieurs experts : « C’est justement parce que le virus Sars-Cov-2 circule massivement dans le monde entier que se multiplient les mutations potentiellement plus dangereuses.»
Cet engagement du Criigen dans la nébuleuse antivax était prévisible. L’un des ex-piliers de son conseil scientifique, feu Michel Georget, était en effet connu pour être l’une des figures de proue des militants contre la vaccination en général. L’association fait d’ailleurs ouvertement la promotion des livres de Michel Georget, comme Vaccinations, les vérités indésirables (2007) ou encore L’apport des vaccinations à la santé publique : la réalité derrière le mythe (2014), affirmant : « Le rôle majeur attribué aux vaccinations dans la régression des maladies infectieuses est tout à fait contestable. »
Isabelle Chivilo, homéopathe et administratrice de longue date du Criigen, est également une figure connue de la nébuleuse antivax. À l’instar de Michel Georget, elle est membre du comité médical de l’Aimsib (Association internationale pour une médecine scientifique, indépendante et bienveillante), une association aux prises de position résolument antivax.
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Enfin, l’eurodéputé EÉLV Benoît Biteau, autre administrateur du Criigen, diffuse son lot de messages antivax sur la page Facebook de sa ferme. À la suite d’un premier article d’A&E intitulé « Le couple Biteau contre “l’horreur nazie” de la vaccination anti-Covid » paru en août 2021, le militant écologiste y a certes fait un grand ménage, supprimant à la pelle des messages qui dénonçaient l’« injection OGM », mais il en a néanmoins conservé beaucoup, tel celui qualifiant d’ « exceptionnel de lucidité » le film complotiste Hold-up…
Dans une envolée lyrico-complotiste, le responsable de Kokopelli affirme qu’il existe des traitements dont la population aurait été « tenue soigneusement éloignée »
Et sur sa page Facebook personnelle, on retrouve la vidéo controversée de Christian Vélot, accompagnée du commentaire suivant : « Alors que l’intérêt de la vaccination est précisément la couverture vaccinale permise par la vaccination de masse, mon ami Christian Vélot explique avec beaucoup de pédagogie comment ces nouveaux vaccins, à base de bidouillage génétique, pour lesquels nous n’avons absolument aucun recul, peuvent nous menacer de l’exact inverse. »
Marie-Monique Robin, la Conf’ et les autres
D’autres acteurs historiques de la lutte anti-OGM se sont exprimés à leur tour contre la vaccination. C’est notamment le cas de Marie-Monique Robin, devenue célèbre grâce à la diffusion de son pamphlet Le monde selon Monsanto (2008). Commentant l’entretien qu’a accordé Christian Vélot à FranceSoir, la journaliste militante s’interroge sur l’utilité de la campagne de vaccination : « Est-il raisonnable de forcer toute la population à se vacciner en pleine pandémie contre un coronavirus qui adore se recombiner avec d’autres virus, y compris ceux qu’on injecte dans les vaccins ? »
Dans son dernier ouvrage, La fabrique des pandémies, paru en février 2021, elle fustige « la course vaine aux vaccins », estimant que le seul antidote aux épidémies serait « la préservation de la biodiversité, impliquant la remise en cause de l’emprise délétère des humains sur les écosystèmes, fruit du modèle économique dominant ».
Un discours partagé par la Confédération paysanne, qui, tout en revendiquant n’être « ni “antivax” ni “complotiste” », juge la stratégie sanitaire actuelle « inutile et illusoire ». « Les variants vont continuer de proliférer et la pandémie suivante sera à coup sûr encore plus sévère. Il est grand temps d’engager l’ensemble de la société vers une transition écologique et sociale, solidaire et équitable. »
Tout comme Marie-Monique Robin, Steve Gormally, porte-parole de la Confédération paysanne du Jura, réaffirme « sa lutte pour la liberté vaccinale et refuse le diktat sanitaire à l’œuvre dans la gestion de la crise actuelle », dénonçant « l’obligation vaccinale pour les soignants, et la mise en place du pass sanitaire, qui n’est autre qu’une façon déguisée d’obliger les Françaises et les Français à se faire vacciner ».
Quant à l’association Kokopelli, connue elle aussi pour ses positions anti-OGM, elle n’est pas en reste, avec la publication, à la mi-juillet, d’un manifeste signé de son président Ananda Guillet, intitulé « Pour une insurrection fertile », qui est « né de l’indignation face aux mesures “sanitaires” liberticides et totalitaires ». Le militant y assure qu’on nous propose un « mauvais vaccin », « bien pire qu’un méchant virus ». Il poursuit : « Injecté à des millions, voire des milliards de personnes en parfaite santé, [le vaccin] pourrait causer des dommages majeurs et irréversibles dans la population, à une échelle jamais atteinte jusqu’à présent. » Dans une envolée lyrico-complotiste, le responsable de Kokopelli affirme qu’il existe des traitements dont la population aurait été « tenue soigneusement éloignée », et se déclare « très choqué par la cabale organisée contre les promoteurs de ces traitements ».
Le fondateur de Kokopelli, Dominique Guillet, déclare pour sa part que « la vaccination constitue la plus grande arnaque médicale de notre époque moderne et l’un des plus grands crimes à l’encontre des peuples ». Et de confier : « Je n’ai jamais vacciné mes enfants. Que Gaïa nous protège de telles abominations ! »
Enfin, le tableau ne serait pas complet sans la mention de maître Guillaume Tumerelle, l’avocat attitré du collectif des Faucheurs Volontaires d’OGM ainsi que de la Campagne Glyphosate.
En octobre 2020, le cabinet Tumerelle a annoncé avoir été mandaté par six associations européennes pour déposer un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne « contre un règlement supprimant l’évaluation des risques liés aux OGM pour les vaccins contre la Covid-19 ». Ces six associations – dont l’Aimsib et d’autres structures antivax, comme la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations ou le Children Health Defense de Robert F. Kennedy Jr., membre de l’équipe d’avocats rassemblés autour du jardinier Dewayne Johnson dans son procès contre le Roundup – justifient cette initiative en affirmant que « ces vaccins OGM anti-Covid-19, dont les essais cliniques ont débuté, présentent pourtant des risques bien réels ». Pour nourrir sa cause, le cabinet Tumerelle s’est basé sur un rapport d’expertise, réalisé par… le Criigen et rédigé par Christian Vélot !