Alors que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne souhaiterait aboutir rapidement à l’adoption de la proposition de la Commission concernant le développement des nouvelles techniques génomiques (NGT), plusieurs obstacles pourraient faire durer les discussions au-delà du raisonnable
Lors de la dernière réunion de la Commission agricole du Parlement européen, une opposition radicale au texte de la Commission européenne concernant les nouvelles techniques génomiques (NGT) est clairement apparue de la part de plusieurs groupes politiques siégeant au Parlement européen – à savoir les Verts/ALE, la Gauche et une partie des socialistes –, qui estiment que les variétés issues de ces techniques sont des organismes génétiquement modifiés (OGM) comme les autres et qu’ils devraient tout naturellement être traités comme tels, et par conséquent soumis aux contraintes de la directive 2001/18.
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Enfermés dans la logique du siècle dernier
Influencés par le lobby du bio, lesdits parlementaires considèrent que ce texte menace l’agriculture biologique, étant donné que ces techniques sont, selon le Synabio, « incompatibles avec les principes de la bio ».
Enfermés dans la logique du siècle dernier, les acteurs historiques de l’AB vont ainsi priver définitivement les agriculteurs bio de techniques génétiques qui apporteront infailliblement des solutions aux problèmes croissants des cultures, et notamment à celui des attaques de différents virus. Or, sans l’accès à ces futures nouvelles variétés, la mort de l’AB est programmée dans un temps plus ou moins court, comme ce fut le destin du Minitel face à l’émergence d’Internet. En effet, contrairement à leurs collègues en agriculture conventionnelle qui disposeront de variétés résistantes à certaines maladies, ceux qui pratiqueront l’AB devront continuer à traiter leurs cultures avec des insecticides ou des fongicides.
C’est donc en prenant ce risque majeur que le syndicat français du bio s’est félicité que cette interdiction figure bien dans la proposition de la Commission. Il a, en outre, formulé le souhait qu’elle soit rendue possible « sans coûts supplémentaires pour les agriculteurs et opérateurs bio pour assurer l’absence de contamination des produits bio », ce qui suppose une obligation de traçabilité et d’étiquetage de ces « nouveaux OGM ». Sans quoi, prévient le syndicat, « c’est la notion même de traçabilité et de transparence qui serait remise en question, à une époque où elle est plus que jamais exigée par les consommateurs. Un non-sens ! ». Même discours de la part des Verts, qui estiment qu’« il est très important de prévoir une obligation d’étiquetage très stricte ».
Des OGM présents dans le bio
Un discours d’autant plus hypocrite que le lobby du bio a toujours refusé toute traçabilité et étiquetage dès lors qu’il s’agit de la présence d’OGM non réglementés dans les denrées vendues sous le label AB. Une pratique qui dure pourtant depuis des décennies, sans que le consommateur en soit le moins du monde averti. Pourquoi alors vouloir imposer un étiquetage spécifique pour des techniques qui, comme c’est le cas des variétés issues de la mutagénèse et commercialisées en AB, seront exclues de la directive 2001/18 ? La réponse est claire : il s’agit, pour le lobby du bio, de rendre les conditions de culture et de commercialisation des denrées issues de ces techniques aussi complexes que celles des denrées contenant des OGM réglementés.
Le piège des brevets
Le second sujet de désaccord a trait à la question de la brevetabilité des caractéristiques (traits) obtenues avec les NGT, qui a fait l’objet d’une singulière convergence entre une partie des parlementaires favorables aux NGT (le PPE, Renew Europe, CRE et ID) et ceux qui y sont hostiles, lesquels ont manifesté d’une seule voix leurs préoccupations, bien que des arguments différents aient été avancés.
« On est face à une contradiction majeure », constate ainsi l’eurodéputé Christophe Clergeau (S&D), hostile aux NGT. Il explique au site Contexte : « La Commission veut créer une catégorie pour les NGT de type 1, c’est-à-dire celles qu’elle considère comme “semblables au conventionnel”. Mais, en même temps, elle estime que ces variétés sont brevetables, ce qui revient à dire qu’il y a une invention technique et, finalement, que ces plantes ne sont pas semblables au conventionnel. » Un argument qui n’est pas totalement faux, sauf que ce ne sont pas les variétés qui sont brevetables mais certaines caractéristiques incluses dans la variété.
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Pour sa part, l’eurodéputée Irène Tolleret (Renew), plutôt favorable aux NGT, rappelle que le modèle économique des « petits opérateurs » ne repose pas sur les brevets, mais exclusivement sur la vente de nouvelles semences. Selon elle, la brevetabilité des variétés de plantes obtenues grâce aux NGT « risque d’empêcher le développement de nouvelles semences » qui a été largement favorisé par l’usage des certificats d’obtention végétale (COV) garantissant un libre accès à la diversité génétique.
Ce sujet est également évoqué par les autorités françaises qui, dans une note transmise à l’exécutif européen, soulignent qu’alors que les enjeux relatifs aux brevets sont bien mentionnés dans l’étude d’impact, « aucune disposition n’est prévue dans la proposition sur cette question ». Une préoccupation entendue par la présidence espagnole du Conseil de l’UE, qui a reconnu que cet aspect de la proposition doit être retravaillé.
De même, il existe parmi les semenciers, pourtant tous favorables aux NGT, des opinions divergentes concernant la question de la propriété intellectuelle, ce qui fait aujourd’hui débat. L’ACLP (Agricultural Crops Licensing Platform), une plateforme européenne d’octroi de licences pour les cultures agricoles, qui réunit pour l’instant neuf semenciers, vient d’être mise en place afin de faciliter l’accès aux brevets. « Ce sera également le lieu de discussions pour faire avancer la réflexion sur le futur de la propriété intellectuelle », note sa nouvelle directrice, la Française Hélène Guillot.
Cette question ne semble cependant pas être une priorité pour la Commission européenne, qui a fait savoir qu’elle publiera en 2026 un rapport concernant les effets du brevetage des plantes sur l’innovation dans la sélection végétale et l’accès des obtenteurs au matériel et aux techniques génétiques. « Réponse insuffisante », a rétorqué Irène Tolleret, qui estime cette question cruciale et demande à la Commission de « réviser la législation européenne sur la brevetabilité des biotechnologies ». C’est pourtant bien l’intention de la Commission qui, en parallèle du projet de règlement sur les NGT, a proposé un projet de règlement sur les Matériels de reproduction des plantes (MRP) dans lequel il est prévu de redéfinir, entre autres, les différents systèmes de protection de la propriété intellectuelle des techniques et des variétés.
Invitée à s’exprimer devant la commission Agriculture, Heli Pihlajamaa, la directrice générale de l’Office européen des brevets (OEB), a déclaré quant à elle que, de son point de vue, « ce qui importe, c’est de savoir s’il s’agit ou pas d’une invention technique ».
Concrètement, l’OEB est d’avis que les demandes de brevets qui sont déposées non pas sur des variétés mais sur des caractéristiques précises obtenues grâce aux NGT soient examinées au cas par cas, avec la même procédure qu’avec les traits obtenus par d’autres techniques, dont la mutagénèse classique, pour lesquels des brevets ont déjà été déposés