Souvent présentées comme une alternative à la transgénèse, les NBT n’ont pourtant pas vocation à les remplacer. Entretien avec Agnès Ricroch et Marcel Kuntz, auteurs d’une étude sur les innovations variétales
Dans leur article intitulé « Next Biotech Plants : New Traits, Crops, Developers, and Technologies for Addressing Global Challenges », paru le 16 septembre 2021 dans le journal scientifique New Biotechnology, Agnès Ricroch et Marcel Kuntz, respectivement maître de conférences à AgroParisTech et directeur au CNRS, et leurs collaborateurs, ont recensé les innovations variétales issues des biotechnologies depuis 2015 jusqu’à aujourd’hui.
Pour ce faire, les auteurs ont pris comme critères les variétés ayant au minimum obtenu une autorisation dans au moins un pays, ouvrant ainsi potentiellement la voie à une mise sur le marché, ainsi que celles, plus en amont, pour lesquelles un brevet a été déposé. « Nous avons distingué les innovations utilisant la transgénèse, une technique qu’on peut considérer comme classique puisqu’elle a été inventée il y a maintenant presque 40 ans, et appliquée en agriculture depuis 25 ans, et celles, plus récentes, qui s’appuient sur l’édition du génome, l’objectif de l’étude étant de savoir si la transgénèse était désormais remplacée par ces nouvelles techniques ou si ces dernières représentent plutôt un complément efficace à la transgénèse », indique Agnès Ricroch.
Les deux chercheurs sont en effet partis du constat que l’édition du génome est souvent présentée comme une technique permettant de remplacer la transgénèse classique. « En raison de l’hostilité sociétale et politique en Europe à la transgénèse, les semenciers espéraient ainsi sortir de l’impasse à laquelle ils étaient confrontés. Or, les faits montrent que les techniques d’édition du génome sont davantage un complément à la transgénèse plutôt qu’un remplacement, et qu’elles ont favorisé l’émergence de nouvelles entreprises privées comme Cibus, J.R. Simplot Company, Evogene, Calyxt, Nexgen Plants Pty Ltd, Soilcea. Et bien qu’on observe une forte augmentation des produits issus de l’édition de gènes en 2020, l’utilisation de la transgénèse ne faiblit pas » explique Marcel Kuntz. « 70 % des traits génétiques qui ont obtenu une autorisation, ou ont été commercialisés depuis 2015, sont issus de la transgénèse », confirme Agnès Ricroch. Un même constat s’établit pour ce qui est des brevets : « Alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que l’édition de génome se taille une part dominante dans les brevets, c’est-à-dire les innovations les plus en amont dans notre compilation, il n’en est rien : la part du “gene editing“ n’est que de 14 % », continuent les deux scientifiques.
« Nous faisons clairement le constat que ces deux types de technologie se complètent », précise encore Marcel Kuntz. Lorsqu’il s’agit d’ajouter un gène, la transgénèse reste d’actualité, en raison notamment de ses protocoles bien rodés, tandis que lorsqu’on souhaite éditer un gène pour réaliser des modifications ponctuelles, l’édition du génome s’impose rapidement comme l’outil le plus adapté.
Les auteurs constatent également que l’édition du génome a ouvert un potentiel de modification à de nouvelles variétés, comme le blé, la tomate, le pois, l’avocat ou le citrus. « Ces modifications concernent pour 74 % de toutes les catégories d’application des caractères agronomiques ou nutritionnels, comme la résistance à des ravageurs et à des maladies, la tolérance à des stress comme la sécheresse, mais aussi des caractères thérapeutiques – par exemple des vaccins contre la Covid-19 obtenus par transgénèse », insiste Agnès Ricroch.
Le transfert de gènes par transgénèse classique reste donc bel et bien aujourd’hui la méthode la plus utilisée dans le monde (75 % des brevets compilés), alors que CRISPR-Cas a été utilisé dans 14 % de ces brevets, et l’ARNi est représenté dans 11%.
La Chine, reine des brevets
Autre constatation : dans le domaine de la propriété intellectuelle, la Chine caracole très largement en tête avec plus de 90 % des brevets recensés pour des applications impliquant des plantes. « La Chine, et principalement son secteur public, domine de manière écrasante le paysage des brevets », note Agnès Ricroch.
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En effet, les brevets concernant la technique CRISPR-Cas ont principalement été déposés par la Chine (92,5 % pour 235 familles de brevets), suivie de loin par les États-Unis (4% pour 10 familles de brevets). Vient ensuite l’Europe avec un modeste 2,4 % pour 6 familles de brevets. « Le riz est la culture dominante avec 36 % de ces brevets, suivi par le maïs (11 %), le tabac (11 %, la moitié d’entre eux concernant le tabac comme plante modèle), le soja (8,6 %), le cotonnier (8%), le blé (6%), la tomate (5,1%) et Brassica (toutes les espèces, 4,6 %) », précise Agnès Ricroch. Cette course au dépôt des brevets aurait plutôt comme objectif de protéger le marché interne chinois, selon la spécialiste.
« Pour l’instant, cette hégémonie ne s’est pas traduite en produits mis sur le marché, ou autorisés à l’être », ajoute Marcel Kuntz, observant que la domination des États-Unis demeure encore d’actualité « avec 76 % de produits mis sur le marché ».
L’Europe figure sans surprise « dans la catégorie des perdants toutes catégories »
Quid de l’Europe ? Elle figure sans surprise « dans la catégorie des perdants toutes catégories », déplore Marcel Kuntz. « Nos données confirment que les réglementations ont découragé de nombreux développeurs, y compris le secteur public, et cela inclut les essais sur le terrain. À cela s’ajoute l’arrêt de la Cour européenne de justice de 2018, qui a précisé que les techniques d’édition du génome étant ultérieures à la directive européenne de 2001 sur les OGM seraient soumises à cette directive, un élément très dissuasif pour son usage », souligne Agnès Ricroch. Seule une modification de la directive en question pourrait inverser la tendance, ainsi que s’accordent à penser les deux auteurs.