Craignant une révision de la directive 2001/18 sur les OGM dans un sens plus favorable aux nouvelles techniques génomiques (NBT), la nébuleuse anti-OGM se mobilise à plein, tandis que Greenpeace joue sa partition en solo.
L’étude commanditée en novembre 2019 par le conseil de l’Union européenne afin de clarifier « le statut des nouvelles techniques génomiques », dont les résultats sont attendus au plus tard le 30 avril, suscite d’ores et déjà une mobilisation tous azimuts de la part des organisations écologistes décroissantes, inquiètes d’une possible réécriture de la directive 2001/18 qui encadre des OGM.
Il est vrai que dans la stratégie « De la ferme à la table », la Commission note que ces « nouvelles techniques innovantes » – les fameuses NBT (New Breeding Techniques) – pourraient contribuer à accroître la durabilité de l’agriculture européenne.
Par ailleurs, dans un document publié en novembre dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) s’est prononcée en faveur d’un assouplissement des exigences en matière de données pour l’évaluation des risques concernant certaines techniques, notamment celles qui n’introduisent pas de matériel génétique exogène.
Enfin, les paroles du ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, indiquant à propos des NBT que « le cadre juridique européen n’est plus compatible avec le cadre scientifique », suggèrent qu’une modification de la directive fait désormais partie des options encouragées par le gouvernement français.
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Rappel des épisodes précédents
À l’origine de tout ce tohu-bohu réglementaire se trouve le recours déposé en mars 2015 devant le Conseil d’État par la Confédération paysanne et une petite dizaine d’associations anti-OGM, regroupées au sein du collectif de l’Appel de Poitiers. Ce recours avait pour objectif l’interdiction totale des variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), au motif qu’elles ne seraient rien d’autre que des « OGM cachés ».
Suite à sa saisine, le Conseil d’État s’est tourné vers la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Débordant de la question posée sur les VRTH, celle-ci a confirmé en juillet 2018 que les NBT devaient avoir le même statut juridique que les OGM transgéniques. Devenu applicable depuis lors dans tous les pays de l’Union européenne, cet arrêt a tout naturellement posé la question de la réglementation pour les futures NBT, et par conséquent de la pertinence de la directive 2001/18.
C’est donc bien ce recours qui a propulsé sur le devant de l’agenda politique de la Commission une nécessaire révision de la directive, provoquant un regain d’activité de la nébuleuse anti-OGM autour du sujet, tant à Bruxelles qu’à Paris.
Une mobilisation européenne…
Il y a eu tout d’abord, le 13 janvier 2021, la publication par les Amis de la Terre Europe d’un rapport intitulé Generation « unknown » : Exposing the truth behind the new generation of GMOS. Disponible en six langues, le rapport en question conteste les avantages évidents qu’apporteraient les NBT. « Ces nouvelles formes de modification génétique ne rendraient pas le système agricole plus résistant aux conditions climatiques extrêmes, ne réduiraient pas la perte de biodiversité, ni n’entraîneraient une alimentation plus saine et des revenus plus équitables pour les agriculteurs », prétendent ses auteurs. Ces techniques « doivent être controlées par les lois existantes », estiment-ils.
Nature & Progrès Belgique a publié deux semaines plus tard sa propre brochure mettant en garde contre les « organismes issus de ces nouvelles technologies [qui] sont des OGM à part entière ». L’association dénonce dans la foulée les « multinationales des semences et pesticides qui intensifient leur lobbying [et qui] œuvrent déjà à les déréglementer ». Et le 23 février, c’est au tour du groupe parlementaire européen Les Verts/ALE de publier un rapport intitulé Édition génétique : mythes & réalités, qui « présente huit affirmations faites par l’industrie des semences génétiquement modifiées et montre qu’elles sont au mieux trompeuses et au pire mensongères ».
Par ailleurs, l’IFOAM Europe, le lobby international du biobusiness, a organisé le 10 février dernier un webinaire sur ce thème, tandis que Les Verts/ALE ont tenu, toujours sur le même sujet, leur propre webinaire en date du 23 février.
À cette occasion, Daniel Evain, secrétaire de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), a dû admettre qu’il existait de très nombreuses variétés cultivées en agriculture biologique, désormais considérées par la directive comme des OGM, bien que « non réglementés ». « On a une grande difficulté aujourd’hui avec les OGM non réglementés qui sont en agriculture biologique », s’est-il ainsi désolé, poursuivant : « Je pense à tous ceux qui sont issus de mutagenèse aléatoire et ceux qui sont issus de fusion de protoplastes, qui sont exemptés de réglementation mais qui sont bien des OGM. […] On dit toujours à nos clients qu’il n’y a pas d’OGM en agriculture biologique, et en fait on s’est rendu compte qu’avec la décision de la CJUE, il y a des OGM, mais ils ne sont pas réglementés. On est peut- être allé vite en besogne.»
De fait, la seule sortie possible du piège dans lequel l’AB s’est enferrée consiste désormais à accepter… une réécriture de la directive ! En d’autres termes, les acteurs de l’AB sont embarqués, certes à l’insu de leur plein gré, dans le même bateau que les semenciers, qui militent eux aussi pour la révision de cette directive problématique. À supposer, bien entendu, que la filière AB décide de ne plus poursuivre ses tromperies envers sa clientèle…
Enfin, une nouvelle association – ENGA (pour European Non-GMO Industry Association) – a été constituée à Bruxelles en mai 2020, à l’initiative de deux structures qui fédèrent des filières engagées dans la promotion de la labellisation « non-OGM ». Estimant qu’une déréglementation des produits fabriqués à l’aide des NBT «pourrait entraîner des pertes importantes pour le secteur non-OGM, avec la possibilité de le détruire complètement », ENGA milite de facto aux côtés du lobby anti-OGM, s’opposant à toute modification de la directive 2001/18.
Il est vrai que, si l’on considère que sa secrétaire générale, Heike Moldenhauer, a longtemps été membre des Amis de la Terre et que trois de ses administrateurs, Florian Faber, Alexander Hissting et Susanne Fromwald, ont été membres de Greenpeace, ENGA peut sans aucun doute être assimilée à une sorte d’excroissance de Greenpeace et des Amis de la Terre. Rien de très surprenant, donc, dans son positionnement.
…mais aussi franco-française
En France, la déclaration du ministre de l’Agriculture selon laquelle « les NBT, ce ne sont pas des OGM» (voir l’article « ”Les NBT ne sont pas des OGM ”, déclare Julien Denormandie » dans le numéro d’A&E de février 2021), qui a acté une position du gouvernement plutôt favorable aux NBT, a déclenché l’ire de la nébuleuse anti-OGM.
Ainsi, la Confédération paysanne a publié une lettre ouverte adressée au Premier ministre et à la ministre de la Transition écologique pour leur demander de clarifier la position de la France, tandis qu’en janvier, Suzanne Dalle, chargée de campagne Agriculture chez Greenpeace France, a affirmé que « les plantes issues de NBT n’ont rien de naturel et correspondent bien à la définition européenne des OGM ».
Cette déclaration est le signe que la multinationale verte, qui avait délaissé ce sujet depuis plusieurs années, a tout récemment décidé de s’y investir à nouveau. De ce côté-ci de l’Atlantique, en tout cas, puisque les NBT demeurent un non-sujet sur le site de Greenpeace USA, alors que les États-Unis, grands producteurs d’OGM, sont en passe d’accorder aux NBT un futur on ne peut plus radieux. D’ailleurs, une simple recherche menée sur le site de l’association permet de constater qu’il n’y a eu aucun article avec les mots clés « NBT » et « GMO » publié depuis novembre 2015 !
Dessin de CRichard pour AE
Quelques jours plus tard, Le Monde publiait une tribune émanant de Greenpeace et signée par divers responsables d’autres associations. « En cultivant et en disséminant dans la nature des plantes génétiquement modifiées dont on ne peut anticiper les effets, nous menaçons la biodiversité et la pérennité de notre agriculture. Il est urgent de réglementer et d’encadrer strictement ces jeux d’apprentis sorciers ! », clamaient ses auteurs.
Par ailleurs, le 4 février dernier, Objectif Zéro OGM et une vingtaine d’associations ont lancé une pétition sur un site dédié d’Agir pour l’environnement (APE), afin de demander l’arrêt de « la deuxième vague des OGM ». Dans la semaine qui a suivi cette publication, la pétition a rassemblé plus de 60 000 signataires alors que, de son côté, Générations Futures a organisé un appel similaire avec son site « Shake ton politique », mobilisant quelque 550 interpellations via Twitter.
Certes, le succès de ces actions est à relativiser : 550 interpellations via Twitter n’est pas de nature à ébranler les réseaux sociaux, et récolter 64 000 signatures sur un fichier d’APE de plus de 500000 sympathisants écolos tout acquis à la cause n’est pas vraiment une performance extraordinaire. Surtout au regard des 110 000 signatures réunies en septembre 2017 « contre les nouveaux OGM » par quinze organisations anti-OGM, qui avaient été remises à Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique.
En réalité, l’objectif majeur de ces initiatives est avant tout de remobiliser les sympathisants écologistes, dont une large majorité estime qu’aujourd’hui, le débat sur les OGM est pratiquement clos.
L’opportunisme de Greenpeace
Curieusement, Greenpeace ne s’est pas associée à cette dernière action, l’association préférant lancer, à peine deux semaines plus tard, sa propre pétition intitulée « Non aux OGM masqués ! ».
On peut se demander pourquoi l’organisation a pris le parti de jouer ainsi sa partition en solo. Le choix des thèmes de campagne de Greenpeace ne se décidant pas vraiment en fonction d’une actualité pressante ni d’un quelconque impératif écologique, mais plutôt en raison des opportunités financières que ces opérations pourront apporter à l’association, on peut légitimement penser que Greenpeace a flairé dans ce sujet une thématique de campagne mobilisatrice… et rémunératrice.
À moins qu’en focalisant cette campagne principalement sur la France, la multinationale verte ait en ligne de mire un tout autre agenda.