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Les sulfureux anthroposophes au cœur du lobbying anti-NGT

À Bruxelles, la nébuleuse écolobio s’active pour saper toute avancée sur le nouveau cadre législatif encadrant les NGT. Au cœur de cet intense lobbying, figurent des adeptes des Gnomes, Ondines, Sylphes et autres créatures fantasmagoriques

Contre toute attente, la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne a décidé d’accélérer le dossier du projet législatif sur les nouvelles techniques génomiques (NGT).

Une proposition polonaise, déjà remaniée plusieurs fois, qui a été bien accueillie par les États membres le 21 février lors de la dernière réunion technique, pourrait servir de référence au dialogue avec le Parlement. « La présidence y entérine l’abandon de plusieurs de ses propositions qui visaient à restreindre la brevetabilité des plantes NGT “semblables au conventionnel” [catégorie 1] », rapporte le média numérique Contexte.

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Face à cette nouvelle dynamique, il n’est pas étonnant de constater une forte mobilisation du lobby anti-OGM à Bruxelles, visant désormais plus spécifiquement les ministres des gouvernements hésitants. Ce lobby regroupe aujourd’hui une trentaine d’acteurs européens, dont les associations Corporate Europe Observatory, Testbiotech, Slow Food, Pollinis, les branches européennes de Greenpeace, des Friends of the Earth ou encore de l’Ifoam, le principal lobby du bio. Des associations ayant toutes en commun la volonté d’imposer sur le continent européen leur projet de décroissance agricole.

Un partenaire sulfureux

Au sein de cette coalition, les promoteurs de l’agriculture biodynamique jouent un rôle clé. Cette pratique agricole imaginée au siècle dernier par l’occultiste autrichien Rudolf Steiner, fondateur du mouvement ésotérique de l’anthroposophie, qui est à l’agronomie ce que le platisme (la croyance que la Terre est plate) est à la géophysique, représente à peine 1 % des producteurs bio. Ce qui n’est pas très surprenant au regard des thèses particulièrement loufoques développées par son fondateur, dont son concept d’« êtres élémentaires », à savoir les Gnomes, les Ondines, les Sylphes et les Esprits du Feu.

Pour Steiner et les adeptes de l’anthroposophie, il ne s’agit là ni d’une métaphore ni d’une figure poétique, mais bel et bien d’une réalité. Steiner fustige ainsi la « science matérialiste » qui ignore l’action de ces êtres invisibles, ces fameux Gnomes qui « haïssent la terre » et « vivifient la plante dans le monde souterrain et la poussent vers le haut ».

Pour Steiner et les adeptes de l’anthroposophie, les Gnomes, les Ondines, les Sylphes et les Esprits du Feu ne sont pas des figures poétiques, mais bel et bien une réalité

Ensuite, assure Steiner, les Ondines prennent le relais en apportant « à la plante l’Éther chimique », tandis que les Sylphes fournissent « l’Éther de Lumière ». Rudolf Steiner se fait fort de « rectifier » une « erreur capitale de la botanique matérialiste », en expliquant que ce qui se passe dans la fleur « n’est pas une fécondation, c’est la préparation d’une semence cosmique essentiellement masculine, destinée à la plante future dont le sein maternel de la terre contient le germe ». On conçoit aisément que, dans cet univers de créatures fantasmagoriques, les NGT n’aient pas vraiment leur place… D’où la présence de la Fédération biodynamique Demeter International (BFDI), en charge de la certification en biodynamie et par ailleurs membre de l’Ifoam, dans ce lobbying actif anti-OGM et anti-NGT.

Le lobbying de Demeter international

Basée à l’Institut anthroposophique Rudolf Steiner de Bruxelles, Clara Behr dirige le département des relations publiques et des politiques de la BFDI dans la capitale européenne. Et c’est à ce titre qu’elle participe au lobbying anti-NGT. Ainsi, en février 2022, elle a diffusé une brochure traduite en plusieurs langues intitulée Pour une agriculture sans OGM, et en août 2023, une note d’information sur les « nouveaux OGM ».

Elle a également été coordinatrice du lancement d’une pétition européenne, en avril 2022, exigeant que « la nourriture issue des nouveaux OGM [soit] strictement réglementée et étiquetée », une pétition reprise par diverses associations dans une quinzaine de pays, comme Pollinis, Agir pour l’environnement, les Friends of the Earth, Corporate Europe Observatory, Slow Food, Nature & Progrès Belgique… Bénéficiant des conseils de l’agence digitale More Onion, spécialisée dans les mobilisations militantes, les associations participant à cette action ont réuni 420000 signatures qu’elles ont remises, en février 2023, à deux représentants de la Commission européenne lors d’un événement organisé… par la BFDI en face du Parlement européen !

Dans un deuxième temps, et toujours à l’initiative de la Fédération biodynamique, les signataires de la pétition ont été sollicités en octobre 2023 pour envoyer plusieurs vagues d’emails aux parlementaires européens, afin d’influencer leur vote sur la question des NGT. Toutefois, ces interventions ne représentent qu’un aspect minime du lobbying anti-NGT des anthroposophes, l’essentiel de l’ouvrage étant réalisé par des structures qui n’affichent pas ouvertement leurs liens avec les disciples de Steiner.

… et celui de Save Our Seeds

C’est le cas de la banque anthroposophe GLS Bank, qui a coorganisé le 5 septembre 2018 une conférence publique sur « les fondements scientifiques erronés du génie génétique » dans les locaux de sa filiale berlinoise. Pour comble de ridicule, on voit donc que ces adeptes des gnomes et des ondines mettent en avant des arguments… « scientifiques » dans leur opposition aux OGM et aux NGT.

L’essentiel de l’ouvrage des anthroposophes est réalisé par des structures qui n’affichent pas ouvertement leurs liens avec les disciples de Steiner

Évidemment, pas plus dans ce type d’événements publics que dans leurs brochures, on ne trouvera trace de sylphes et autres lutins, car les anthroposophes assument la nécessité d’avancer cachés. Comme l’admet volontiers Thomas Jorberg, qui a présidé la GLS Bank pendant près de trente ans, si leur banque n’affiche pas l’anthroposophie dans « la présentation extérieure de la GLS Bank », c’est pour mieux séduire les non-adeptes parce qu’« on découvre l’anthroposophie […] seulement chez les êtres humains et non dans les institutions ».

Cette stratégie qui consiste à fustiger le génie génétique en général, et les biotechnologies végétales en particulier, tout en mettant en sourdine les théories déconcertantes, est portée par Benedikt Haerlin, l’une des principales chevilles ouvrières du lobbying contre les biotechnologies végétales à Bruxelles comme en Allemagne.

Eurodéputé des Grünen de 1984 à 1989, puis responsable de Greenpeace international pendant dix ans (et à ce titre, coordinateur de la campagne contre les OGM), Benedikt Haerlin dirige depuis janvier 2002 le bureau berlinois de la Zukunftsstiftung Landwirtschaft (Fondation pour l’avenir de l’agriculture). Derrière ce nom anodin, et des objectifs tout aussi anodins que la promotion de l’agriculture biologique, on débusque une fois de plus la nébuleuse anthroposophe.

Cette fondation a, en effet, été créée sous l’égide de la GLS Treuhand, une structure anthroposophe qui a vu le jour en 1961 autour d’un projet de financement d’une école Waldorf-Steiner, et qui est, par ailleurs, à l’origine du lancement de la GLS Bank. Et c’est au titre de responsable de cette fondation que Benedikt Haerlin, qui travaille donc depuis une vingtaine d’années pour la nébuleuse anthroposophe, coordonne une initiative européenne baptisée « Save Our Seeds » (SOS), dont l’objectif est d’« empêcher la contamination des semences par des organismes génétiquement modifiés au sein de l’Union européenne » et de « garantir légalement et pratiquement que les semences restent exemptes de manipulations génétiques ».

Outre des actions traditionnelles, telles les pétitions et la diffusion de propagande anti-OGM, Benedikt Haerlin a organisé, toujours dans le cadre de SOS et depuis 2005, une dizaine de conférences « GMO Free Europe », dont la moitié au Parlement européen grâce à l’aide du groupe des Verts/ALE. À chaque fois, cela a pris la forme d’une grand-messe réunissant aussi bien les différentes associations et les élus de la nébuleuse écologiste que des représentants du biobusiness et de la filière non-OGM, tous opposés aux OGM. Mais là aussi, profil bas des anthroposophes puisqu’il ne s’agissait pas de faire la promotion de l’agriculture biodynamique ou des idées de Rudolf Steiner, mais bien d’avoir un rôle de leadership dans la bataille contre les biotechnologies végétales.

Opérant depuis Berlin, Benedikt Haerlin intervient aussi régulièrement à Bruxelles, comme lorsqu’il a accompagné Clara Behr de la BFDI et un groupe d’ONG écologistes pour prendre part à une réunion avec l’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau sur les NGT, le 23 octobre 2023.

Récemment, Haerlin a décidé de renforcer l’action de SOS en embauchant une compatriote allemande, Franziska Achterberg, comme responsable de la politique et du plaidoyer. Résidant à Bruxelles, elle est la personne idéale pour mener un lobbying anti-OGM efficace dans les coulisses bruxelloises en vertu de son expérience, puisqu’elle a déjà officié comme directrice de la politique alimentaire pendant une dizaine d’années à Greenpeace Europe, puis comme chargée de la campagne biodiversité pour le groupe des Verts/ALE à partir de la fin 2020.

Pour comble de ridicule, on voit donc que ces adeptes des gnomes et des ondines mettent en avant des arguments… « scientifiques » dans leur opposition aux OGM et aux NGT

Tout cela s’opérant dans une opacité certaine, puisque, malgré le lobbying intense au sein des institutions européennes, nulle trace de la Fondation pour l’avenir de l’agriculture, ni de Benedikt Haerlin, ni de Franziska Achterberg n’apparaît dans les registres de transparence de l’Union européenne…

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