La Pologne prend l’initiative pour débloquer le dossier des NGT en présentant une nouvelle proposition censée résoudre les antagonismes autour de la question des brevets
Comme le trahit le courrier qu’ont adressé au Premier ministre, le 15 janvier, la Confédération paysanne et une douzaine d’autres structures, parmi lesquelles Pollinis, France Nature Environnement, Les Amis de la Terre, Les Faucheurs volontaires, le Synabio et la Fnab, un vent de panique souffle chez les écologistes ! Ceux-ci comptaient en effet sur la Pologne pour paralyser l’épineux dossier des NGT (New genomic techniques) au sein de l’Union européenne, Varsovie faisant jusqu’alors blocage sur le sujet de la traçabilité et la question des brevets, qui divise, par ailleurs, jusque dans les rangs des semenciers.
« La question des brevets doit être réglée en même temps que les négociations sur les NGT, et non pas, comme le souhaiterait la Commission, dans un deuxième temps », martèlent les signataires, estimant que « le seul moyen d’éviter une forte concentration des semences brevetées – qui seraient issues pour l’essentiel de Corteva, Bayer-Monsanto, BASF ou Syngenta-ChemChina – est de maintenir toutes les plantes génétiquement modifiées, y compris celles issues des NGT, dans le régime actuel encadrant les OGM ». Les propositions soumises par la Belgique lors de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, et celle, au demeurant surprenante, de la Pologne, qui en assure la présidence depuis le 1er janvier 2025, seraient « des solutions intéressantes mais insuffisantes et juridiquement intenables », peut-on lire dans ce courrier. S’aligner sur la position de ces associations anti-OGM reviendrait assurément à enterrer de façon définitive ces techniques, puisque la réglementation qui encadre les plantes transgéniques (la fameuse directive 2001/18) est lourde, coûteuse et inadaptée aux réalités scientifiques actuelles.
Alors que la Pologne se complaisait
à jouer un curieux jeu, refusant systématiquement, mais sans fournir de réel motif, toutes les propositions mises sur la table, elle a désormais décidé d’agir vite
La Pologne change son fusil d’épaule
On comprend d’autant mieux la stupéfaction de ces associations que la Pologne a changé son fusil d’épaule. Alors qu’elle se complaisait à jouer un curieux jeu sur ce dossier, refusant systématiquement, mais sans fournir de réel motif, toutes les propositions mises sur la table, elle a désormais décidé d’agir vite, en proposant dès les premiers jours de sa présidence un nouveau texte. Une surprise de taille, donc, pour ceux et celles qui s’attendaient à ce que la Pologne imite la Hongrie, qui avait mis le dossier en hibernation pendant le second semestre de l’année 2024.
Et leur surprise ne fit que redoubler à la lecture de la proposition polonaise ! Certes, celle-ci a conservé l’essentiel des points qui faisaient l’objet d’un large consensus. Notamment quant à la nécessité que l’Union européenne se dote d’une réglementation qui reconnaisse que l’usage de certaines de ces nouvelles techniques de sélection variétale ne représente aucun risque nouveau par rapport aux variétés conventionnelles. Ces variétés – dites « de catégorie 1 » – n’ont donc pas besoin d’une réglementation particulière, ainsi que le confirme la proposition polonaise. Sont également conservés les dispositifs répondant aux exigences exprimées par le lobby européen de l’agriculture biologique, qui préfère priver ses agriculteurs de l’ensemble de ces techniques. De même, le texte maintient l’objectif de transparence pour les agriculteurs, avec un étiquetage obligatoire des semences.
En revanche, ayant pris acte que certains pays refusaient que des brevets puissent être déposés sur des variétés de catégorie 1, la Pologne propose d’y répondre simplement en laissant les États membres instaurer, s’ils le souhaitent, des restrictions – certes circonstanciées – sur la culture sur leur territoire des variétés NGT protégées par brevet. « Cette option diffère de la proposition soumise par la présidence belge, qui avait stipulé que le statut de NGT1 ne pouvait être accordé uniquement dans la mesure où aucun brevet n’était déposé. Or, avec la proposition polonaise, les plantes NGT1 pourraient être brevetées et il incomberait aux États membres d’en interdire la culture ou de l’autoriser », note un observateur bruxellois, qui confirme que « si cette option dite “d’opt-out” vise à rassurer certains États membres sur leurs craintes hypothétiques par rapport aux brevets, elle soulèverait néanmoins d’autres questions, comme l’égalité d’accès des agriculteurs européens aux outils de production et aux innovations ». À cela s’ajoutent encore quelques incertitudes juridiques concernant la mise en œuvre d’une telle mesure, insiste le spécialiste.
Un avis assez largement partagé par le monde semencier, en France et en Europe, qui salue l’initiative de la présidence polonaise et sa volonté de relancer les discussions afin d’aboutir à un consensus, tout en s’inquiétant du système proposé par les autorités polonaises pour la propriété intellectuelle. « Ce système soulève quelques inquiétudes et paraît non fonctionnel, le texte mis sur la table par la Pologne ne permettant pas d’obtenir un cadre réglementaire harmonisé, clair, équitable et stable sur les NGT1 », observe une source proche du dossier en France, qui poursuit : « Les contraintes réglementaires et administratives proposées dans ce projet pénaliseraient, in fine, la capacité des semenciers à fournir aux agriculteurs français et européens des variétés adaptées à leurs besoins agronomiques. Cela affecterait nécessairement la compétitivité du secteur en Europe et à l’international. »
« Ce système soulève quelques inquiétudes et paraît non fonctionnel, le texte mis sur la table par la Pologne ne permettant pas d’obtenir un cadre réglementaire harmonisé, clair, équitable et stable sur les NGT1», observe une source proche du dossier
Présentée lors de la réunion du groupe de travail du 20 janvier, cette audacieuse tentative polonaise aurait « laissé les pays de l’UE perplexes », rapporte ainsi le journaliste Bartosz Brzeziński, par ailleurs ancien chargé de communication pour le bureau de politique européenne du WWF. Il assure que des diplomates présents à la réunion lui auraient indiqué que « le texte est devenu si complexe que plus personne n’y comprend rien », confirmant surtout que « de nombreux États membres ont de sérieux doutes quant à la validité juridique de la proposition ». « Les pays favorables aux biotechnologies, tels que l’Espagne, la Belgique et le Danemark, craignent que l’opt-out n’entrave les investissements et ne pousse la recherche ailleurs », précise le journaliste.
Or, si la Pologne n’obtient pas d’accord pour son texte, le dossier sera remis au Danemark, pays favorable aux biotechnologies, lequel adoptera certainement « une approche plus détendue en matière de brevets ». « La Pologne est donc contrainte d’obtenir un accord sur son compromis dès le début de son mandat », estime, avec raison, Bartosz Brzeziński, qui reconnaît que « les fonctionnaires polonais poursuivent leurs efforts ». D’où la panique visible dans la nébuleuse anti-NGT, qui voit ce dossier lui échapper.
Sitôt qu’un accord sera trouvé, il conviendra au trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil de fixer définitivement le cadre réglementaire des NGT. À cette occasion, quelques points pourraient être à nouveau discutés pour, le cas échéant, être clarifiés ou amendés avant qu’une réglementation finale puisse entrer en vigueur, dont les grandes lignes auront toutefois été définies par l’accord. Cette étape prenant en général de six à douze mois, il est raisonnable, à supposer que les derniers obstacles soient levés lors du trilogue, de miser sur l’adoption et la mise en place d’un cadre législatif, permettant enfin aux semenciers d’y voir plus clair, au plus tard dans le courant de l’année 2026.