Dans un entretien croisé stupéfiant publié dans Le Monde, le neurologue Sébastien Bohler, auteur du livre au titre révélateur Human Psycho, Comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse de la planète, et le chercheur en psychologie cognitive Thierry Ripoll, qui vient de publier Pourquoi détruit-on la planète ?, prônent sans complexe l’idée d’un changement radical de société, estimant que le modèle occidental représente la pire menace pour la planète.
Tous deux affirment que l’espèce humaine est aujourd’hui soumise aux « forces évolutives archaïques » de notre cerveau, dépendant du striatum, « un ensemble de cellules nerveuses qui récompense nos comportements quand ceux-ci favorisent notre survie », et qui serait l’origine de notre déni collectif sur l’urgence de sauver la planète.
Le striatum « fonctionne sans limite posée a priori, d’une part, parce qu’il n’y a aucun intérêt de s’autolimiter pour survivre dans un milieu hostile ; d’autre part, avec une logique de croissance à travers le mécanisme de lassitude qui impose d’augmenter les doses continuellement », explique Sébastien Bohler. Le capitalisme moderne serait, selon lui, la déclinaison économique malheureuse de ce fonctionnement archaïque qui exige une croissance sans limite et s’accompagne du cornucopianisme, croyance selon laquelle le progrès technologique peut tout résoudre. Une idée « dangereuse », car elle « retarde encore le moment où, collectivement, nous déciderons de mettre en place une société différente et plus sobre ».
Or, cette « société différente et plus sobre » censée préserver la planète « aura nécessairement une dimension liberticide », poursuit Thierry Ripoll. Il s’agit en effet de limiter l’influence du striatum, à l’origine de nos pulsions archaïques, conduisant à toujours vouloir consommer plus, au profit de zones du cerveau plus évoluées, celles qui commandent notre conscience.
Pour y parvenir, les chercheurs envisagent un « compte individuel d’impact écologique », une idée « inspirée par l’exemple de la Chine », mais qui est « inconcevable pour nos sociétés libérales occidentales ». « Soit il faudra repenser les libertés, accepter une forme de repentance, une autolimitation, soit cela se fera par la force des choses – et probablement dans la douleur », avertit Thierry Ripoll qui relativise de telles mesures. « Elle n’affectera que la liberté de consommer, alors même que notre consommation est orchestrée par l’exigence de croissance. » Et de conclure : « Dans tous les cas, que serait la liberté sur une planète morte ? » Les deux auteurs ont au moins le mérite de la clarté : sauver la planète, à la sauce écolo, nécessite le recours à un régime totalitaire.