Force politique désormais incontournable, le RN estime indispensable de reconquérir des parts de notre marché intérieur, sans pour autant remettre en cause la vocation exportatrice de la France. Entretien exclusif avec le député de la Gironde Grégoire de Fournas
Un rapport récent du Sénat alerte sur la perte de compétitivité que subit l’agriculture française. Comment le Rassemblement national se positionne-t-il face à cette situation ?
Ne soyons pas naïfs ! Partir du principe qu’il faudrait à tout prix être compétitif avec tous les pays du monde n’est qu’une illusion.
Dès qu’on supprime les barrières douanières et qu’on accepte des traités de libre-échange dans le but de favoriser les échanges commerciaux, l’agriculture française en sort toujours perdante. La question de la compétitivité peut donc être un piège, car, pour un certain nombre de productions, jamais nous ne serons compétitifs.
J’en veux pour preuve l’exemple de la tomate marocaine, qui bénéficie d’un avantage considérable en ce qui concerne la main-d’œuvre. Celle-ci est en effet payée à l’heure 64 centimes au Maroc, contre 12 euros en France. Dans les productions qui nécessitent beaucoup de main-d’œuvre, la France ne sera jamais compétitive, car nous n’allons pas baisser nos salaires pour les aligner sur ceux des pays moins-disants, comme le Maroc. Aujourd’hui, pour ces métiers qui sont à forte pénibilité et très mal payés, on fait déjà intervenir une main-d’œuvre étrangère, faute de pouvoir trouver des travailleurs français. Le projet économique que nous portons vise, au contraire, à augmenter le pouvoir d’achat de nos agriculteurs, pas à le diminuer !
Or, le principe même du libre-échange repose sur les avantages compétitifs de certaines régions, qui favorisent certaines productions au détriment d’autres régions. C’est précisément cette réalité qui explique que la FNSEA elle-même, pourtant peu encline au protectionnisme, admet que la concurrence étrangère pose un véritable problème.
Avant de parler de compétitivité, il faut donc avoir la capacité de protéger nos productions agricoles. Cela passe par le refus des traités de libre-échange, et une collaboration entre les pays qui ne pénalise pas le nôtre. S’agissant de certaines productions, cela implique de rétablir des protections aux frontières, ainsi que le font les États-Unis, pourtant pleinement engagés dans les échanges mondiaux.
Je ne suis pas sans savoir que les accords commerciaux du Ceta entre l’Union européenne et le Canada n’ont pas provoqué une augmentation du bœuf canadien sur nos marchés, mais ce traité a néanmoins ouvert une porte qui pourrait bien dans l’avenir pénaliser nos producteurs. En revanche, pour ce qui est de l’accord de commerce entre l’UE et les pays du Mercosur, il a déjà été clairement établi que notre agriculture y serait perdante. D’où notre opposition totale à ce traité. La France doit résister aux demandes explicites du président brésilien Lula, qui a déclaré en janvier dernier que la ratification de cet accord était « urgente et hautement indispensable » pour son pays, ainsi qu’à la pression de la Commission européenne, qui espère une ratification pour la fin de l’année 2023.
La compétitivité est évidemment pour nous une priorité face à la volonté décroissante de Bruxelles d’imposer la stratégie de la ferme à la fourchette, ou de la Cour des comptes de saborder l’élevage en France. Mais la question de la souveraineté alimentaire reste de très loin le sujet majeur pour la France. Faut-il rappeler qu’en ce qui concerne les fruits et légumes, nous importons presque la moitié de notre consommation (70 % pour les fruits et 30 % pour les légumes) alors que, selon les professionnels de la filière, entre 30 et 40% de ces produits importés pourraient parfaitement être cultivés en France ?
De même pour la viande : 50% de la volaille sont importés et, selon les prévisions de la filière bovine, nous importerons 40 % de la viande de bœuf d’ici 2030. Face à de tels enjeux, nous devons absolument reconquérir des parts de ce marché intérieur. Voilà quelle est notre priorité.
Le secteur des céréales, comme celui des semences, restent aujourd’hui excédentaires, participant ainsi à améliorer notre balance commerciale. Mais ces filières connaissent également des baisses de compétitivité au point d’être mises en péril. Estimez-vous que la France doit renoncer à sa vocation exportatrice ?
Non, bien au contraire ! Notre remise en cause du libre-échange ne remet pas en cause notre vocation exportatrice.
Même si nous voulons privilégier le localisme, nous ne possédons pas de pétrole et d’autres pays ne peuvent pas produire des céréales. Il est donc tout à fait légitime que nous leur en exportions. La diplomatie française devrait d’ailleurs se mettre davantage au service de nos filières agricoles, en faisant la promotion des productions françaises à l’étranger, comme elle sait si bien le faire dans d’autres secteurs, notamment celui de l’aéronautique.
Améliorer notre balance commerciale grâce à une augmentation de nos exportations agricoles demeure un impératif politique et stratégique. Or, en ce qui concerne les céréales, la compétitivité de la production française est très fortement impactée par l’avalanche de normes environnementales et d’interdictions qu’on a imposées à nos agriculteurs. Nous venons encore une fois de le vérifier avec le dossier du S-métolachlore, une molécule que l’Anses veut interdire de façon unilatérale alors qu’elle restera autorisée en dehors de l’UE.
On peut également évoquer le cas désormais très connu des néonicotinoïdes, dont, dans le dessein d’avoir un comportement hyper-vertueux, Mme Barbara Pompili a fait voter en 2016 l’interdiction générale, ce qui a donné lieu à l’impasse dans laquelle se trouve à présent bloquée la filière betteravière. Je rappelle que ces molécules sont aujourd’hui encore autorisées tant à l’intérieur qu’en dehors de l’Union européenne, c’est-à-dire dans les pays qui sont en concurrence directe avec la France pour de très nombreuses cultures, comme le maïs, le blé, le tournesol, le colza, ou encore la production de fruits. Or, cette interdiction unilatérale entraîne des pertes de rentabilité évidentes, car une mauvaise protection sanitaire impacte tout naturellement les rendements, et par conséquent la compétitivité de notre filière.
Au sujet des transpositions réglementaires, comment jugez-vous la façon dont le gouvernement a géré le dossier des néonicotinoïdes ?
D’une façon générale, je constate avec regret qu’entre Bruxelles et l’administration toute puissante, la marge de manœuvre du ministre de l’Agriculture est fortement rétrécie, au point qu’il n’a plus la main sur les grands sujets agricoles. Sur la question, par exemple, des produits phytosanitaires, le dossier du S-métolachlore a clairement démontré son impuissance, puisque c’est désormais l’administration française qui lui impose ses décisions, tandis que sur les grands dossiers économiques, il est en réalité soumis aux diktats de l’Union européenne. Personnellement, j’ai ainsi été frappé par le fait qu’un simple article de la loi Egalim 2 concernant l’étiquetage, qui consiste à réserver le symbole de la France non pas à des produits transformés en France mais dont l’ingrédient principal est français, n’a pas pu être décliné dans un décret, au motif que, selon la rue de Varenne, il serait contraire au droit de l’UE. On nous a dit attendre une hypothétique révision du règlement 1169/2011 sur l’information des denrées alimentaires, dit règlement Inco. Mais ne nous leurrons pas, cette mesure étant contraire à l’état d’esprit de l’UE, je doute que ce dossier puisse réellement avancer comme nous le souhaiterions. J’estime d’ailleurs particulièrement inquiétant que le gouvernement, tout comme le Parlement, en soient réduits à cette forme d’impuissance au point qu’ils ne puissent plus légiférer sur un tel sujet en France.
Plus concrètement, sur le dossier des néonicotonoïdes, nous pensons qu’on ne peut pas régler le problème que pose cette interdiction à la filière betteravière simplement en versant des indemnisations lorsqu’il y a des pertes de rendement, comme le propose le gouvernement. Cela ne suffit pas. C’est pourquoi, le 25 avril dernier, notre collègue Timothée Houssin a déposé une proposition de loi visant à rétablir temporairement l’usage de l’acétamipride, exclusivement pour le traitement foliaire, et cela jusqu’en 2027, c’est-à-dire tant qu’il n’y aura pas d’alternative sérieuse pour protéger nos betteraves contre les pucerons. Il nous semble en effet essentiel de corriger les lois ubuesques qui ont été votées, mettant en péril notre agriculture. D’autant plus que, dans ce cas, il s’agit bel et bien d’une surtransposition qui résulte d’une décision franco-française, puisque cet usage reste autorisé dans les autres pays de l’Union européenne. Nous devons donc également revenir sur le principe de non-régression inscrit dans le code de l’environnement, qui est invoqué comme prétexte pour ne rien changer.
Une proposition de résolution visant justement à lutter contre les surtranspositions en matière agricole, portée par le groupe des députés Renaissance, a fait l’objet d’un débat le 11 mai dernier. Quelle a été votre position ?
Il me semble qu’il s’agissait davantage d’un coup de communication pour plaire au monde agricole que d’une véritable volonté de stopper la machine à surtransposer.
En effet, dans un premier temps, il était question d’une proposition de loi, comme l’avait d’ailleurs annoncé Mme Aurore Bergé lors des manifestations organisées par la FNSEA aux Invalides le 8 février dernier. Or, on se retrouve avec une simple résolution, ce qui équivaut à une déclaration d’intention sans aucun poids législatif. Selon les informations dont nous disposons, ce serait le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau lui-même qui aurait fait changer la proposition de loi en proposition de résolution, au motif justement que le gouvernement ne se sentait pas capable de tenir cette promesse.
Nous avons bien entendu soutenu la résolution, car nous sommes d’accord avec le principe, mais nous restons très sceptiques quant à son application par ce gouvernement. Et même à supposer qu’on accorde aujourd’hui du crédit à cette intention exprimée par la majorité, quid des surtranspositions déjà en vigueur, sur lesquelles il faudrait avoir la capacité de revenir ? En vérité, c’est sur l’ensemble de ces lois qui impactent de façon négative nos filières qu’il faudrait revenir. Comme, par exemple, sur l’interdiction des néonicotinoïdes. Dès lors que tout le monde constate qu’il s’agit d’une erreur, il ne suffit pas de la reconnaître, encore faut-il se donner les moyens de la corriger. Et, de toute évidence, le gouvernement de Mme Borne ne semble pas avoir ce courage politique.
En vertu de la loi du 13 octobre 2014, entrée en vigueur le 1er juillet 2015, il revient à l’Anses d’accorder ou de retirer les autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires. Qu’en pensez-vous ?
Ma position est on ne peut plus claire : j’ai rédigé une proposition de loi (PPL) qui sera bientôt présentée, afin de revenir sur cette loi. Nous partons du principe que, dans une démocratie qui se respecte, ce genre de responsabilité incombe aux politiques. Il appartient aux agences comme l’Anses d’apporter l’expertise scientifique qui doit, bien évidemment, guider nos élus, mais dans ces dossiers, les éléments scientifiques ne sont pas les seuls critères utiles pour décider d’autoriser ou non une molécule. Il est donc indispensable de modifier la loi de 2014 afin de redonner au gouverne- ment, ou plutôt au ministre de l’Agriculture, cette charge.
Cette question va bien au-delà de ce simple transfert de pouvoir, car elle nous permet de comprendre pourquoi les gens s’éloignent des urnes lorsqu’ils découvrent l’impuissance du pouvoir politique.
Nous devons redonner leurs lettres de noblesse à nos élus, qui doivent reprendre le pouvoir décisionnaire, aujourd’hui usurpé par notre administration et par les fonctionnaires de l’Union européenne.