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« La réduction de l’usage des pesticides nécessite un changement d’approche », estime le député Nicolas Turquois

En exclusivité pour A&E, le député MoDem de la Vienne Nicolas Turquois livre ses réflexions sur l’agriculture, et plus particulièrement sur la stratégie à adopter concernant les produits phytosanitaires

En tant que membre de la Commission d’enquête recherchant les causes de l’incapacité à atteindre les objectifs des plans successifs sur les produits phytosanitaires, quelles sont vos premières conclusions ?

Je pense qu’il faut changer la façon dont nous abordons ce problème, en passant d’une approche produit par produit à une approche systémique.

Je m’explique : lors des auditions, trois questions ont été posées à la directrice de l’Anses. Il s’agissait de savoir, premièrement, à quel moment dans l’évaluation d’un produit son efficacité sous l’angle de sa fonction, et non pas seulement sa toxicité et les risques pour la santé et l’environnement, était abordée. Deuxièmement, si les questions du « mieux-disant » en termes d’efficacité et en termes d’environnement par rapport à ce qui existe faisaient partie de l’évaluation. Et troisièmement, si les conséquences de la suppression d’une autorisation, comme par exemple la mise en difficulté d’une filière qui se traduira par l’importation de produits « moins-disants », étaient prises en compte. Car, dans les faits, la suppression d’un produit de traitement peut amener l’usage plus important d’un autre produit, c’est-à-dire que l’approche produit par produit ne va pas automatiquement conduire à des résultats positifs sur la quantité globale de produits utilisés.

J’estime par conséquent qu’il serait plus pertinent d’avoir une approche par filière, pour voir ce qu’on peut mettre en œuvre afin d’obtenir une réduction globale. Ou alors, d’agir au niveau de l’exploitation qui peut modifier ses pratiques, notamment dans le choix de son assolement pour, en fin de compte, consommer moins au global, ou bien encore réfléchir au niveau d’un territoire de production. Voilà, selon moi, ce qui aurait du sens.

Mais je constate que l’approche strictement quantitative conduit plutôt à substituer des produits dont le litrage et le grammage sont importants par des produits moins pondéreux mais dont l’impact sur l’environne- ment est peut-être plus fort.

Prenons un exemple concret : les néonicotinoïdes employés pour la protection des betteraves. La suppression de ce traitement des semences s’est traduite par l’utilisation accrue de produits de la famille des pyréthrinoïdes en usage foliaire, ce qui est une aberration écologique et environnementale ! Mon père, producteur de maïs qui a été confronté à la pyrale, un insecte qui pond sous les feuilles lorsque le maïs est bien développé, faisait déjà le constat que, si les pyréthrinoïdes utilisés en mode liquide fonctionnaient très bien contre les larves et les chenilles, ils tuaient également les quelques coccinelles qui sont des prédateurs pour les pucerons, tandis que ceux-ci, cachés sous les feuilles, n’étaient pas atteints. Résultat : il ne restait que les pucerons, qui recouvraient les pieds de maïs par milliers et empêchaient la photosynthèse. En réglant le problème de la pyrale de cette manière, on avait ainsi créé un autre problème, à savoir celui des pucerons. Ce problème a heureusement été résolu grâce à la substitution du mode liquide des pyréthrinoïdes par un usage en micro-granulés, qui servaient de nourriture uniquement aux pyrales.

Pour en revenir à la betterave, qui a une feuille épaisse, où en est-on aujourd’hui, avec la suppression des néonicotinoïdes ? On traite désormais avec un insecticide foliaire – justement de la famille des pyréthrinoïdes – qui élimine finalement très peu de pucerons porteurs de la jaunisse, mais qui tue également les quelques coccinelles présentes. Ce qui augmente le risque de pucerons, même si certains sont en effet éliminés. Autrement dit, la suppression des néonicotinoïdes a accru l’usage des pyréthrinoïdes. Voilà pourquoi, tant qu’on restera sur une approche produit par produit, et non pas holistique, cela ne marchera pas. Toutefois, la sélection génétique a heureusement identifié des betteraves tolérantes à la jaunisse, qui devraient permettre de se passer entièrement ou en partie des insecticides !

« J’estime qu’il serait plus pertinent d’avoir une approche par filière, pour voir ce qu’on peut mettre en œuvre afin d’obtenir une réduction global »

Dans leur rapport sur la séparation de la vente et du conseil, les députés Stéphane Travert et Dominique Potier constatent les limites de la loi. Qu’en pensez-vous ?

C’est la première année que la séparation de la vente et du conseil est réellement entrée en vigueur, il est donc encore trop tôt pour en tirer des conclusions. Étant moi-même encore en activité en tant qu’agriculteur, je suis peut-être l’un des seuls députés à être détenteur du Certiphyto (Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques), que j’ai renouvelé au printemps. J’aurai donc mon premier conseil stratégique l’année prochaine seulement. Pour ce genre de loi, il y a un effet moyen et long terme nécessaire du fait surtout qu’il n’existe toujours quasiment pas de conseil indépendant.

— Lire aussi :
Séparation de la vente et du conseil : le bilan d’une « fausse bonne idée »

En effet, dans son quotidien, l’agriculteur échange avec le responsable de sa coopérative ou de son négoce. Ce qui explique pourquoi, hormis ce que proposaient les chambres d’agriculture, il n’y avait pratiquement pas d’offre de conseil indépendant. Cela ne peut pas se créer ex nihilo. En outre, dans un contexte économique compliqué, payer un conseil extérieur n’est pas entré dans les habitudes. Il faudra donc un certain temps avant que cela ne se mette en place.

Quoi qu’il en soit, la réalité du terrain montrant que ce sont les techniciens des coopératives et des négoces qui continuent à délivrer le conseil, il conviendrait de les former davantage, car les chambres d’agriculture n’ont pas suffisamment d’effectifs pour assumer correctement cette fonction. Je reste convaincu qu’on ne pourra jamais empêcher celui qui vend un produit de délivrer également, au moment de la vente, un conseil. Dans les coopératives, les structures capitalistiques du conseil n’existent pas car il n’y a pas de séparation physique : c’est celui qui vend les produits qui donne les conseils d’usage au quotidien. D’ailleurs, comment voulez-vous, concrètement, mettre en place cette séparation ?

Il est vrai qu’aujourd’hui, d’un point de vue formel, si je questionne mon technicien de coopérative sur un problème d’adventice, il n’est pas autorisé à m’indiquer par écrit quel est le produit adéquat et à quelle dose l’utiliser. Ce qui ne m’empêchera nullement de lui poser la question et d’obtenir de lui une réponse orale. Ce sera moins formalisé, sans trace sur le papier, mais cela se fera néanmoins. En clair, cette histoire de séparation entre la vente et le conseil suppose qu’il y ait, au sein des coopératives et du négoce, une séparation entre ceux qui s’occupent des ventes et ceux qui s’occupent du conseil. Or, cela n’existe tout simplement pas ! Prétendre vouloir séparer capitalistiquement la vente du conseil est donc une vue de l’esprit.

C’est pourquoi la séparation de la vente et du conseil se traduit aujourd’hui pour les coopératives par le fait qu’elles n’écrivent pas ce qui se dit oralement dans les transactions au quotidien, de la même façon que les échanges entre voisins ne font pas l’objet de comptes-rendus. Je comprends le côté d’insécurité juridique par rapport à cette loi, mais intellectuellement, je ne vois pas comment on peut instaurer sur le terrain qu’un technicien fasse du conseil et un autre de la vente, sauf à intimer aux vendeurs l’interdiction de parler!

Au final, si l’on veut progresser sur ce sujet, il faut renforcer le conseil indépendant, notamment au sein des chambres d’agriculture.

Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la perte de compétitivité de la Ferme France. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

La principale interrogation pour le futur de notre agriculture, et donc sa compétitivité, reste, à mon sens, la question du renouvellement des générations. Dois-je rappeler que plus de 160 000 exploitants agricoles vont quitter le métier d’ici dix ans ? Ce qui représente le tiers d’entre eux. Rien qu’en Centre-Val de Loire, dans vingt ans, 70 % des agriculteurs auront cessé leur activité. Or, mise à part la question du vaste champ de compétences qu’il faut acquérir pour s’installer à son compte, avec un savoir-faire en gestion financière, c’est la question du capital qui demeure à mes yeux la plus problématique.

Aujourd’hui, l’agriculture est similaire à une industrie lourde avec de très importants capitaux à investir. Il y a bien entendu le foncier, mais aussi les bâtiments, le matériel agricole, le cheptel pour les éleveurs ou la mise en culture pour les céréaliers. Aujourd’hui, un petit projet d’installation peut facilement coûter 600 000 euros, et un poulailler jusqu’à 1,5 million d’euros.

Il faut donc se poser la question de l’accessibilité au capital, car, si l’enjeu est d’avoir une agriculture performante, donc compétitive, tout en restant à taille humaine, cela implique que d’autres acteurs puissent apporter du capital. Cela pourrait être des coopératives ou des négoces, ou encore d’autres intervenants, qui viendraient en renfort accompagner de façon significative l’installation d’une personne, tout en prévoyant des clauses pour garantir qu’il s’agit au final d’une rétrocession et non pas d’une intégration.

Et pour l’accès au foncier, on pourrait envisager la mise en place de Sicav pour faire appel à des personnes prêtes à investir dans une agriculture familiale. Si ce problème d’installation, et donc d’accès au capital, n’est pas résolu, nous allons avoir beaucoup de difficultés à maintenir notre modèle agricole.

Quelle est votre position sur les nouvelles techniques de sélections variétales appelées « NBT » ?

Je suis très favorable à ces nouvelles techniques, car elles vont permettre d’obtenir plus rapidement des nouvelles variétés, alors qu’aujourd’hui le temps nécessaire pour mettre de nouvelles variétés sur le marché est de sept à huit années, voire trente ans pour des arbres à fruits, ce qui est un temps bien trop long par rapport aux défis, notamment climatiques, auxquels nous devons faire face.

En outre, avec les NBT, qui ne sont pas des OGM dans lesquels on introduit des segments d’ADN d’une autre espèce, on est en mesure d’identifier des caractéristiques intéressantes pour un ensemble de gènes, et donc de s’affranchir de l’approche qui conférait à une plante une résistance monogénique, trop facilement contournable, entre autres, par les maladies cryptogamiques. C’est pour- quoi, comme pour les trithérapies en médecine, mieux vaut avoir une résistance polygénique. C’est notamment ce que vont permettre les NBT.

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