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Séparation de la vente et du conseil : le bilan d’une « fausse bonne idée »

Un rapport rédigé par les députés Stéphane Travert et Dominique Potier présente le bilan de la mise en place de la séparation de la vente et du conseil, estimant que le statu quo n’est pas possible

Dans leur rapport du 12 juillet dernier, les députés Stéphane Travert (Renaissance) et Dominique Potier (PS) dressent un constat sévère du bilan de la réforme sur la séparation de la vente et du conseil des produits phytopharmaceutiques, une absurdité instaurée par ordonnance en vertu de la loi Egalim du 30 octobre 2018.

On se souvient qu’afin de plaire aux électeurs émanant de la nébuleuse écologiste, le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à mettre en place cette « fausse bonne idée », pour reprendre les propos du député socialiste, même si, à l’époque, son application était déjà vivement contestée par la profession.

En effet, le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) s’était alors prononcé en sa défaveur, la jugeant « à la fois coûteuse et peu efficace ». Ce que confirment les députés dans leur rapport d’information. Faute d’avoir su anticiper ce qui allait se passer dans la « vraie vie » – c’est-à-dire loin des bureaux parisiens où s’élabore ce genre de réformes –, le gouvernement a mis en place une mécanique infernale qui a provoqué une série d’« effets contre-productifs ». Aussi les rapporteurs considèrent-ils que « le statu quo n’est pas une solution envisageable ».

La séparation capitalistique des structures

La première erreur commise concerne la séparation capitalistique des structures. Alors que les fonctionnaires en charge de la rédaction du projet prévoyaient que les grands groupes coopératifs « choisiraient probablement de garder le conseil, laissant à des groupements d’achats ou à des plates-formes spécialisées le soin de mettre à disposition les produits », c’est précisément l’inverse qui s’est produit. « Seules deux coopératives ont choisi le conseil plutôt que la vente de produits phytopharmaceutiques », déplore ainsi Stéphane Travert. De même, la totalité des négociants indépendants ont privilégié la vente.

Étonnant ? Pas vraiment. Il fallait être bien naïf pour s’imaginer un seul instant que ces structures, dont le chiffre d’affaires repose pour une partie considérable sur les approvisionnements, allaient se passer de cette activité. D’autant que rien ne les empêche de prodiguer des conseils… dès lors qu’il n’y en a aucune trace écrite. Et c’est précisément ce qui se pratique sur le terrain !

Faute d’avoir su anticiper ce qui allait se passer dans la «vraie vie», le gouvernement a mis en place une mécanique infernale qui a provoqué une série d’«effets contre-productifs »

« De fait, le négociant ou la coopérative font souvent figure d’interlocuteur naturel vers qui l’agriculteur se tourne en cas de problème ponctuel », observent les deux rapporteurs, qui semblent s’étonner que le lien de proximité établi de longue date entre les agriculteurs et les coopératives ou négociants soit resté en vigueur. « Cette situation est connue de l’administration », note ensuite le rapport, qui souligne la difficulté de contrôler ces comportements : « L’absence de documents écrits ne permet pas aux organismes de certification ou aux inspecteurs des Draaf de relever ce type de manquements à la réglementation. » Tiens donc !

En revanche, cette situation a engendré une insécurité juridique qui n’existait pas auparavant. En effet, en cas de mauvais conseil, il devient désormais impossible pour l’agriculteur de se retourner contre le vendeur des produits, ce dernier n’étant d’ailleurs plus couvert par son assurance, puisque le conseil délivré n’a pas d’existence juridique. Et l’agriculteur peut difficilement avoir recours à la justice, le fondement du conseil étant oral et illégal. « Les coopératives agricoles dénoncent cette insécurité juridique, qu’elles imputent aussi à la difficulté de distinguer le conseil spécifique, interdit au vendeur, du devoir d’information, qui lui incombe », poursuivent les députés. Or, cette « fragilité juridique » avait bel et bien été envisagée par le rapport mentionné du CGAAER. Un avertissement que le gouvernement avait préféré ignorer.

Et ce n’est pas tout ! « Le passage d’un conseil formalisé formulé par les vendeurs, à une absence de conseil ou à un conseil oral et informel, paraît avoir diminué la qualité du conseil délivré », constatent amèrement les deux députés.

Pire encore, un certain nombre d’agriculteurs seraient même devenus « orphelins », c’est-à-dire privés de tout conseil ! « Comme évoqué au cours des auditions, un “système débrouille” s’est mis en place, certains se fondant ainsi sur les indications trouvées sur Internet et dans les bases de données BSV et Herbalis, ou sur les pratiques des années précédentes », poursuit le rapport, qui remarque que « les agriculteurs semblent s’être assez peu tournés vers le conseil spécifique fourni par le conseil indépendant ». La faute en revient notamment à son coût, estimé par le ministère de 500 à 1500 euros pour un suivi annuel. Les chambres d’agriculture auraient ainsi réalisé moins de 8 500 conseils spécifiques en 2021 pour un total de 235 000 exploitations potentiellement concernées.

En cas de mauvais conseil, il devient désormais impossible pour l’agriculteur de se retourner contre le vendeur des produits

En résumé, rien n’a changé dans les pratiques, sauf pour ceux et celles qui ne bénéficient plus désormais d’aucun conseil ! Ainsi, la création escomptée d’un secteur important de conseils indépendants, censés conduire les agriculteurs vers un usage plus faible des intrants, n’aura finalement été qu’un mirage. Tout comme l’impact de cette mesure sur la diminution de l’usage des intrants. En réalité, les deux députés établissent plutôt que « la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques paraît avant tout être le fait des mesures d’interdiction prises au niveau européen et par l’Anses ».

Le comble est que, paradoxalement, cette réforme a de facto éloigné les coopératives et le négoce de la possibilité d’apporter des conseils aux agriculteurs pour des pratiques plus respectueuses de l’environnement, alors que ces structures prétendent « jouer un rôle de conseil à travers une méthode d’approche globale, sur l’assolement, le choix de variété, sur les outils alternatifs aux phyto (binage, biocontrôle quand ils existent, etc.), sur les transitions envi- ronnementales, avec des bilans bas carbone ».

Les remèdes à l’échec

Faut-il dès lors s’étonner que « la réforme ne semble pas s’être traduite par une baisse du coût des produits phytopharmaceutiques vendus », comme le regrettent les deux rapporteurs ? Faire la supposition qu’en éloignant les agriculteurs des conseillers payés par des structures vendant des produits phytosanitaires, il en résulterait mécaniquement une réduction de leur usage, relevait d’un raisonnement bien simpliste… Dès son élaboration, la Coordination rurale avait pourtant souligné avec raison que « ce projet [était] basé sur une hypothèse erronée ».

Et dès janvier 2018, A&E avait également mis en garde le gouvernement en rappelant que nos voisins anglais avaient déjà tenté l’expérience, « avec comme résultat une hausse de la consommation des produits phytosanitaires de l’ordre de 15 % pour les agriculteurs suivis par des conseillers indépendants par rapport à ceux suivis par les distributeurs ».

Lire aussi : Pesticides : séparation du conseil et de la vente des phytos : retour sur une idée ubuesque

On ne peut donc que relayer l’appel de Stéphane Travert et de Dominique Potier, qui tracent les grandes lignes nécessaires pour faire évoluer le dispositif afin de « construire un conseil efficace et effectif ». Il convient tout d’abord de revenir sur la séparation capitalistique de la vente et du conseil. Afin de maintenir une séparation opérationnelle, les deux députés proposent la création d’une filiale dédiée – en s’assurant, pour le cas de la coopérative, de la représentation des associés coopérateurs –, la séparation des facturations « pour garantir la transparence des tarifs et permettre à l’agriculteur de choisir entre le conseil spécifique proposé par son vendeur ou un autre conseil indépendant », et enfin la garantie que le vendeur et le conseiller soient deux personnes physiques distinctes, sauf pour les très petites structures.

En contrepartie, ils demandent qu’une telle évolution soit accompagnée d’une montée en puissance des certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), ces fameuses actions censées concourir à diminuer le recours à ces produits par les agriculteurs. Inspirés des certificats d’économie d’énergie, les CEPP sont le fruit de l’imagination d’une énarque, Hélène Pelosse, ancienne directrice adjointe du cabinet du ministre de l’Écologie Jean-Louis Borloo. Ce dispositif repose sur une centaine de fiches décrivant des actions pouvant réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques. Sauf que, même si certaines de ces actions demeurent pertinentes, dans la pratique le résultat n’est pas probant, comme en témoigne le bilan publié à l’issue de la première période d’obligation (2021), qui conclut qu’à peine 30 % des objectifs ont été atteints.

Paradoxalement, cette réforme a de facto éloigné les coopératives et le négoce de la possibilité d’apporter des conseils aux agriculteurs pour des pratiques plus respectueuses de l’environnement

Quitte à réintroduire un peu de raison dans la réforme, ne vaudrait-il pas mieux revenir aux fondamentaux de l’agronomie ? À savoir élargir la palette d’outils efficaces pour contrôler les ravageurs des plantes sans vouloir à tout prix se priver des solutions chimiques. Car ce sont bien les anomalies climatiques qui dictent les quantités de produits qu’utilisent les agriculteurs. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la prolifération inédite du mildiou cet été, avec ses conséquences catastrophiques pour les vignerons du Sud-Ouest de la France, privés de toute protection adaptée à la virulence de l’attaque.

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