Rendu public en décembre, le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’usage des pesticides constate l’échec des différents plans Écophyto. Il propose notamment d’abandonner l’indicateur de fréquence de traitements (IFT) pour le remplacer par l’indicateur européen harmonisé, le HRI
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Après avoir auditionné plus d’une centaine de responsables agricoles, les députés Frédéric Descrozaille (Renaissance) et Dominique Potier (PS) ont présenté le 14 décembre les conclusions de leurs travaux, censés mettre en lumière les causes des échecs successifs des différents plans de réduction des pesticides instaurés depuis 2008.
Lancée en juillet dernier à l’initiative du groupe Socialistes et apparentés, et présidée par le député de la majorité Frédéric Descrozaille, la commission d’enquête arrive à la conclusion qu’Écophyto, « c’est une décennie (presque) perdue ». « On avait dit qu’on réduirait de 50 % l’utilisation des pesticides sous dix ans ; aujourd’hui, on repousse cet objectif à 2030. On a pris douze ans de retard. Cet immense gâchis de politique publique a des coûts colossaux en matière de santé publique et d’environnement », déplore ainsi dans Libération le député socialiste Dominique Potier.
Le poids des lobbies
En cause, au premier chef, « une incurie de l’action publique ». « Le programme Écophyto, c’est comme une voiture sans pilote, sans radar, avec un GPS incohérent et dont la destination du trajet est l’objet d’une controverse entre les passagers », image-t-il dans un entretien accordé à La Vie. Et pourtant, si aucun des plans Écophyto n’a fonctionné, ce n’est pas faute d’y avoir consacré de l’argent, puisque qu’on estime à quelque 643 millions d’euros le montant total alloué à la réduction des pesticides, rien que pour l’année de référence 2019 ! Autrement dit, beaucoup d’argent public investi en pure perte, comme le suggère le rapport.
N’hésitant pas à pointer du doigt la responsabilité « des intérêts économiques contraires au plan Écophyto dans la pétrochimie et l’agroalimentaire », le député socialiste avance que ces « intérêts économiques » constitueraient un « système de blocage très influent au ministère de l’Agriculture », notamment grâce à la « puissance de lobbying » qui influencerait certains décideurs politiques.
Il reconnaît cependant que « les déterminants économiques pour l’agriculteur sont en contradiction avec les injonctions d’Écophyto ». Forcé d’admettre que « les solutions phytopharmaceutiques sont économiques, rentables et faciles à utiliser, alors que les solutions alternatives supposent de mobiliser plus de temps de travail, peuvent être plus coûteuses et avoir un impact sur le rendement », le député socialiste consent qu’« à système égal, il n’y a pas d’évidence à changer de système ». D’autant que, avec les aides publiques qui ne poussent pas à ce changement de système et la politique agricole commune qui favorise les agrandissements de structures, on développe plutôt, selon lui, « une dépendance à la phytopharmacie ».
Bien plus, « un certain nombre de cahiers des charges de l’agroalimentaire contraignent quasiment à l’usage de phytopharmacie », note le député, qui cite le cas de la pomme de terre, où les caractéristiques exigées (formats et rendements) conditionnent l’usage de pesticides.
L’urgence sanitaire
Or, clame Dominique Potier, il y aurait urgence à agir, car tous les signaux sont « au rouge en ce qui concerne la qualité de l’eau, la pollution de l’air, la biodiversité, la santé ». « À l’origine de cette commission, il y a d’abord plusieurs alertes environnementales et sanitaires », rappelle-t-il, insistant sur l’étude de l’Inserm de 2021, selon laquelle la prévalence de maladies neurodégénératives serait en lien avec les pesticides. Par ailleurs, la commission mentionne « l’étude du Proceedings of the National Academy of Sciences [qui] révèle la disparition de 60 % des oiseaux des milieux agricoles depuis quarante ans », avant de mentionner « divers rapports et publications – notamment de l’IGEDD [Inspection générale de l’environnement et du développement durable] – qui ont récemment alerté sur la dégradation de la qualité des eaux superficielles et des nappes phréatiques ».
Face à ce tableau alarmant, Dominique Potier aurait souhaité rien de moins qu’une radicale « reconception des systèmes agricoles vers l’agroécologie » qui passerait par « une réallocation des aides publiques et une révolution de l’agroalimentaire et de nos assiettes ». Cependant, les rapporteurs ont préféré s’aligner sur les objectifs de réduction quantitative inscrits dans Écophyto 2030 : « On fait près d’une trentaine de propositions qui vont notamment de la mise en place d’un mécanisme de régulation de concurrence déloyale, de la réallocation des aides publiques, à la réorientation du pilotage public, la sanctuarisation des captages d’eau potable. »
Toujours les mêmes objectifs
Et c’est là tout le problème ! À aucun moment, en effet, la commission ne questionne vraiment la stratégie des différents plans Écophyto, dont les objectifs successifs n’ont pas changé puisqu’il s’agit toujours d’atteindre une réduction quantitative de l’usage des pesticides, comme si cette réduction induisait automatiquement une réduction des effets indésirables sur l’environnement et la santé. Un raisonnement qui, même s’il a toutes les apparences de la logique, se révèle être faux, comme en témoignent de nombreux exemples de terrain. Paradoxalement, le rapporteur reconnaît pourtant les « limites des indicateurs actuellement utilisés pour suivre les usages de produits phytopharmaceutiques : QSA, Nodu, IFT ». S’affirmant « convaincu qu’il n’existe pas d’indicateur parfait », il estime « néanmoins que des améliorations pourraient être apportées pour prendre en compte des critiques revenues fréquemment lors des auditions conduites par la commission d’enquête ».
Ainsi, selon lui, « il apparaît souhaitable d’établir un indicateur qui soit commun à tous les pays de l’UE et permette d’apprécier le risque attaché aux produits utilisés ». Et, « sans délai », il juge « souhaitable de chercher à reprendre l’indicateur européen harmonisé HRI [Harmonised risk indicator for pesticides] », qui sert de boussole pour « observer les tendances en matière de risques associés à l’utilisation des pesticides », mais dont la méthodologie fait débat, au point que la Commission a déjà promis de le faire évoluer (voir « Le diable caché dans les articles de Foucart, journaliste au Monde »).
Plusieurs pays, dont la Suisse, le Danemark ou encore la Grande-Bretagne, qui ont clairement un train d’avance sur l’UE, ont d’ailleurs déjà mis en place d’autres indicateurs, bien plus pertinents. Prenant acte que, en raison d’un « GPS incohérent », la trajectoire d’Écophyto fait l’objet d’une controverse, on ne peut donc que soutenir la recommandation faite par les députés de changer son indicateur actuel afin de relancer le plan sur de bons rails. Ce qui sera d’autant plus aisé que d’autres indicateurs ont déjà fait leurs preuves et qu’il existe un fort consensus à ce sujet dans le monde agricole.