Présenté à l’Assemblée nationale, le projet de Loi Agricole déçoit et donne l’impression que le gouvernement n’a toujours pas pris à sa juste mesure la gravité de la crise économique que traverse le monde agricole.
Le projet de loi et d’orientation de l’avenir agricole a enfin été présenté à l’Assemblée nationale. A ce stade des débats, force est de constater qu’il contient des éléments particulièrement contradictoires. Alors que le Premier ministre, Gabriel Attal, avait promis, dans son discourt du 26 janvier 2024 d’ écrire un « nouveau chapitre pour l’agriculture française », la version qu’il a soumise à l’Assemblée nationale confirme au contraire que le gouvernement n’a aucune intention de rompre avec la trajectoire qui a conduit au mécontentement des agriculteurs.
Certes, à première vue, ce texte semble s’écarter du texte du projet de décroissance tellement cher à la nébuleuse écologiste. Mais comme toujours le diable se trouve dans les détails. C’est-à-dire dans les termes employés tout au long du texte et qui confirme que le gouvernement ne veut pas prendre en considération la réalité de la crise économique. Comme l’a d’ailleurs clairement indiqué Marc Fesneau, ce texte s’inscrit dans les politiques publiques mises en œuvre depuis 2017, et poursuivies depuis 2022. Eh bien, c’est justement le problème.
Par exemple, l’article 1 contient des dizaines d’alinéas aux contenus hétéroclites, rendant insaisissables les concepts de « production » et de « souveraineté alimentaire ». La « souveraineté alimentaire » se voit en effet définie comme à la fois l’approvisionnement alimentaire, l’anticipation, l’adaptation aux conséquences du changement climatique, la contribution à la décarbonation de l’économie, l’amélioration du revenu agricole, la capacité à assurer le renouvellement des générations, le maintien du modèle d’exploitation familiale, la lutte contre la décapitalisation de l’élevage ou encore le développement des labels de production. Bref, une sorte de longue liste à la Prévert censée faire plaisir à tout le monde. Pire, dans les articles suivants, qui traitent de tout et de rien, on voit se développer une forme d’écolo-économie mise sous la tutelle des transitions agroécologiques et climatiques. C’est-à-dire toujours une économie du « moins » : moins de phytos , moins d’eau, moins d’engrais, moins de production et au final inévitablement… moins de revenus pour les agriculteurs.
Enfin, dans le texte original, il y avait toutes les omissions. On y trouvait aucun objectif chiffré de production, et aucune mesure n’a été proposée pour revenir sur les distorsions de concurrence qui frappent de plein fouet la production agricole. Rien pour permettre aux agriculteurs de regagner des parts de marché, notamment sur les produits transformés, dont la valeur ajoutée échappe de plus en plus aux acteurs économiques du secteur. Même vide sidéral pour la problématique de l’exportation et donc du rôle stratégique et diplomatique de l’arme alimentaire à un moment où celle-ci est pleinement utilisée par la Russie et les Etats-Unis. Tout cela comme si le gouvernement n’avait pas pris à sa juste mesure la gravité de la crise économique que traverse le monde agricole.
On comprend donc la déception des syndicats, unanimement déçus par le texte d’origine. « Il faut reprendre le travail sénatorial sur le choc de compétitivité de la ferme France », a indiqué Véronique Le Floch’, la patronne de la Coordination rurale. Pour sa part Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, estime avec raison que : « on est loin de la loi Pisani », ce texte signé en 1962 et qui a jeté la base de la puissance agricole française. Il n’a pas tort. Heureusement qu’une petit correction a été apportée le vendredi 17 mai, grâce à des amendements de la majorité présidentielle et des Républicains. Ils ont rajouté à l’article 1 l’idée d’une programmation pluriannuelle de l’agriculture avec des objectifs nationaux de production par filière qui doivent tendre à être a minima, et c’est très important, excédentaire par rapport aux consommations nationales.
Espérons que le passage du texte au Sénat apportera une clarification définitive. L’agriculture doit avoir pour objectif de produire pour nous nourrir.