Par un arrêt rendu en mai dernier, la cour administrative d’appel de Bordeaux a invalidé la décision du tribunal administratif de Poitiers de février 2021, qui interdisait la création de vingt-deux réserves de substitution. Décryptage par Sylvain Pelletreau, spécialisé en droit de l’environnement
Comment expliquez-vous que la cour administrative d’appel de Bordeaux ait rendu un avis contraire à celui du tribunal administratif de Poitiers de février 2021, en autorisant finalement les vingt-deux ouvrages prévus sur le bassin de la Boutonne ?
La création de réserves de substitution fait l’objet d’un contentieux complexe combinant à la fois le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement. Aussi, il peut arriver que le juge valide l’autorisation d’urbanisme, mais censure l’autorisation environnementale, ou réciproquement. Auquel cas, le projet ne pourra pas être mené à bien, les deux autorisations étant nécessaires.
Cependant, une analyse des principaux jugements rendus ces dernières années permet de tirer plusieurs enseignements. J’attirerai tout d’abord votre attention sur la durée particulièrement longue de ces procédures. Ainsi, le dossier de demande d’autorisation des vingt-deux réserves de substitution a été déposé le 17 décembre 2016, soit il y a près de huit ans ! L’autorisation fut accordée en septembre 2018, puis annulée en février 2021, puis réautorisée cette année par la cour administrative d’appel de Bordeaux. Le caractère interminable de ce genre de procédure peut avoir comme conséquence malheureuse de décourager ses initiateurs. La durée de ces procédures devient alors une arme redoutable entre les mains des opposants à ces projets.
Ensuite, il ressort des différents jugements que, de toutes les conditions environnementales, la plus importante reste celle du respect des dispositions des SAGE (Schéma d’aménagement et de gestion de l’eau). Le code de l’environnement leur confère un caractère impératif et le juge sanctionne systématiquement leur non-respect. Si les autres aspects du droit de l’environnement sont évidemment fondamentaux, une attention toute particulière est toujours portée aux dispositions du SAGE.
C’est ainsi que le même tribunal administratif de Poitiers, dans une autre procédure ayant abouti à la régularisation des autorisations, les avait, dans un premier temps, censurées pour non-conformité au SAGE, tout en laissant l’opportunité au préfet de prendre un arrêté préfectoral modificatif afin de rendre compatible le projet avec les dispositions du SAGE. Constatant ensuite que le préfet avait bien revu sa copie et que les volumes d’eau attribués par le nouvel arrêté étaient conformes aux dispositions du SAGE, le tribunal a alors autorisé le projet. Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mai 2024.
Qu’en est-il, justement, des autorisations qui finalement ont été validées par l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, le 28 mai 2024 ?
Tout d’abord, il est à souligner que la cour a rendu un arrêt très motivé de quinze pages, rejetant ainsi l’ensemble des arguments retenus par le tribunal qui avait annulé l’autorisation du 26 septembre 2018. Il est vrai que celui-ci avait principalement retenu l’argumentation des opposants aux projets. Ce qui n’est pas le cas de la cour d’appel. C’est donc un spectaculaire renversement pour ces autorisations, passées de la roche Tarpéienne au Capitole, défiant ainsi la loi de la gravité chère à Newton ! Un « rebondissement inattendu », selon les propos des opposants.
Pour résumer les multiples points analysés, la cour a en effet considéré que le dossier de demande d’autorisation respectait le caractère suffisant de l’étude d’impact, la règlementation sur les espèces protégées, les tests de rabattement de nappe, l’évaluation des incidences sur la zone Natura 2000, et surtout, les conditions de remplissage des réserves, concluant « que c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur l’ensemble des motifs examinés précédemment pour annuler l’arrêté du 26 septembre 2018 ».
Si cet arrêt présente une solution classique de confrontation du projet avec les dispositions du SAGE, il vient cependant rappeler qu’une décision de première instance peut parfaitement être renversée en cour d’appel. Ce cinglant revers pour les premiers juges s’explique notamment par la complexité de ces projets, mais également par les écarts d’interprétation qui peuvent se creuser entre les magistrats, certainement en raison de leurs convictions personnelles. En clair, il confirme avec vigueur que la justice n’est pas une science exacte.a