Inédit : l’annulation d’un arrêté préfectoral concernant la régulation de l’usage de l’eau en Vendée a provoqué l’incompréhension chez plus de 800 irrigants, qui ont décidé de riposter
Une fois n’est pas coutume, c’est aujourd’hui le monde agricole qui a décidé de se saisir de l’arme judiciaire ! En cause : l’annulation par le tribunal administratif de Poitiers d’un arrêté préfectoral d’autorisation de prélèvement d’eau pour la période 2021 à 2026, sous le motif qu’il ne permettrait pas « la mise en œuvre du principe de gestion équilibrée et durable de la ressource ».
« Les magistrats n’ont visiblement pas pris à sa juste mesure la portée de leur jugement, rendu public le 9 juillet », s’indigne Éric Coutand, président de la Chambre d’agriculture de Vendée, à l’origine d’une inédite mobilisation silencieuse qui a vu le jour au début du mois d’août.
Les éléments techniques ignorés
Éric Coutand estime en effet que cet arrêt a été décidé « sans prendre en considération tous les éléments techniques de maintien du milieu, et à l’encontre de tout le travail réalisé depuis plus de vingt ans en partenariat avec tous les acteurs du territoire », lequel a obtenu d’excellents résultats. « Comme le constatent tous les observateurs aujourd’hui – y compris certaines associations de préservation de la nature –, la création de nos réserves de substitution a permis de relever le niveau de la nappe phréatique en été, de maintenir le niveau du marais, d’avoir un excellent état de biodiversité tout en permettant aux agriculteurs d’avoir accès à l’eau », précise Éric Coutand, qui rappelle que cette année 4 milliards de mètres cubes d’eau de pluie tombés en Vendée sont partis à la mer, alors que l’ensemble de l’usage agricole pour cette même région est de l’ordre de 70 millions de mètres cubes. « On a l’impression que c’est de l’acharnement », se désole pour sa part Charles-Henri Naulleau, agriculteur à Petosse (Vendée), spécialisé dans la culture de semences de betterave et de maïs, des cultures spécialisées qui nécessitent une régularité dans l’usage de l’eau. « Si ce jugement se confirme, cela veut dire baisser mes surfaces irriguées et peut-être lâcher certaines cultures spécialisées », note également Simon Berland, cultivateur bio au Langon (Vendée).
« On a l’impression que c’est de l’acharnement », se désole Charles-Henri Naulleau, agriculteur à Petosse
Mais impossible pour eux, et pour leurs collègues, de faire appel de ce jugement, puisqu’il s’agit en l’occurrence de l’annulation d’un arrêté préfectoral. « N’étant pas convoqués à l’audience, nous n’avons pas pu apporter la contradiction aux arguments présentés par la section départementale de France Nature Environnement (FNE 17) sur lesquels ce jugement a été émis, puisque les agriculteurs concernés par la décision n’étaient ni présents ni représentés », déplore ainsi Éric Coutand.
Lire aussi : Deux arrêtés préfectoraux sur la construction de retenues d’eau annulés
Un recours sous forme d’une tierce opposition
D’où la nécessité de trouver un moyen de reprendre la main sur ce dossier. Aussi le syndicat mixte Vendée Sèvre Autizes, propriétaire d’une partie des 25 réserves de substitution en Vendée, a-t-il missionné des juristes dès la mi-juillet « en vue d’engager les démarches nécessaires pour dénoncer et corriger les erreurs et incohérences de ce jugement ».
La solution trouvée consiste à déposer un recours collectif. « 830 agriculteurs, dont 554 de Vendée, estiment que ce jugement va sévèrement impacter leur situation, mettant même en péril certaines exploitations », explique l’avocat Laurent Verdier, spécialisé dans les affaires environnementales. « Or, la seule mesure juridique dont ils disposent, c’est un recours sous forme d’une tierce opposition, puisque non seulement ils ont été écartés des débats et sont les seuls à subir la décision rendue, mais encore ils n’ont pas le droit de faire appel puisqu’ils n’étaient pas présents ni représentés lors de l’instance », précise l’avocat. Relativement peu employée, cette procédure permet en effet de faire rejuger une affaire, lorsqu’un jugement porte atteinte aux droits d’une personne et que cette personne n’a pas été appelée à la procédure pour se défendre. Ce qui est clairement le cas.
Et l’avocat d’ajouter : « L’enjeu est tel pour les agriculteurs qu’ils ne peuvent se permettre d’espérer que l’État fasse appel de ce jugement. Refusant de la subir en tant que spectateurs, ils ont donc décidé de devenir acteurs de la procédure en allant ensemble devant les juges du tribunal administratif de Poitiers pour leur demander de rétracter leur décision et de rejuger l’affaire en leur présence. Autrement dit, d’avoir ni plus ni moins que le droit à un procès équitable. »
Les 830 agriculteurs concernés ont donc déposé le 23 août une tierce opposition, et il appartient désormais au tribunal administratif de Poitiers de se prononcer sur sa recevabilité. Dans l’affirmative, le jugement du 9 juillet sera déclaré nul et non avenu et l’instruction de l’affaire recommencera, en présence cette fois des agriculteurs.