Outre Le Lierre, d’autres structures sont engagées dans un lobbying au sein de la fonction publique pour imposer la « transition écologique », avec souvent des personnalités de la gauche antiproductiviste à la manœuvre
Depuis plusieurs années, on observe que des membres de l’administration française s’organisent en réseau d’influence, au sein de structures ou de façon informelle, afin de mobiliser les fonctionnaires pour diverses causes, dont la mise en œuvre de politiques franchement écolo-décroissantes.
C’est le cas de l’association Le Lierre, affirmant rassembler « plus de 1 700 fonctionnaires, agents publics, contractuels, experts, consultants, acteurs et actrices des politiques publiques », qui est proche du parti Les Écologistes (ex-EÉLV), comme le révélait l’enquête que nous avons publiée en mars dernier dans A&E sous le titre « Le Lierre entend verdir la fonction publique ».
Ainsi, Le Lierre n’hésite pas à s’immiscer dans le débat politique, ainsi que le montrait la publication, en juin, de son dernier rapport Analyse des mesures environnementales dans les programmes des principaux candidats, qui proposait « d’éclairer les grandes tendances qui s’opposent ou se rejoignent en réponse à la crise climatique et environnementale ». L’association gratifie d’un smiley rouge grimaçant les « méchants », à savoir tous les partis en « opposition à la “décroissance verte” », et d’un smiley vert souriant les « gentils », à savoir tous ceux qui placent « la sobriété en priorité ». Dans cette « analyse », les trois partis qui apparaissent comme les plus vertueux sont, sans surprise,… Les Écologistes, suivis par La France insoumise et le PS-Place publique.
Une semaine auparavant, Le Lierre avait signé dans Le Monde une tribune dénonçant comme dommageable à la transition écologique « une série de décisions prises pour répondre aux revendications des agriculteurs », pointant notamment « l’abandon de différentes taxes sur les pesticides ou sur le carburant agricole ». Parmi les signataires, figuraient également trois autres structures, plus modestes, à savoir Sens du service public, Nos Services publics, ainsi que l’association Une Fonction publique pour la transition écologique (FPTE).
Des structures au service de la gauche « antiproductiviste »
Comme dans l’organigramme du Lierre, on y retrouve tout naturellement diverses personnalités de la nébuleuse écologiste et de la gauche dite « antiproductiviste ».
Ainsi, Prune Helfter-Noah, une des porte-parole du collectif Nos services publics, qui affirme réunir « 600 agents des services publics, fonctionnaires ou contractuel·le·s », est une élue EÉLV de Marseille, tandis qu’Émilie Agnoux, ancienne coprésidente de Place publique, fait partie des fondateurs de Sens du service public. Sans être exhaustif, loin s’en faut, on pourra encore mentionner François Thomazeau, le rédacteur du projet EÉLV sur les sujets économiques et fiscaux, et Vincent Dubail, membre du conseil fédéral d’EÉLV, ou encore Johan Theuret, militant au sein du Parti radical de gauche, qui font tous également partie des membres actifs de Sens du service public.
Toutes ces structures partagent un même objectif, parfaitement résumé sur la page Facebook du collectif Nos Services publics : influencer les décisions politiques au travers d’actions dans la fonction publique. « Nous avons un rôle à jouer pour redonner du sens au service public ! Pour nous rassembler, réfléchir et changer les choses au quotidien. Pour intervenir dans le débat public, faire entendre une voix “de l’intérieur” et défendre une autre idée du service public. »
Certaines de ces structures se sont spécialisées dans la transition écologique. C’est bien entendu le cas du Lierre, mais également de la FPTE, qui se veut non partisane et dont le lancement remonte à 2019. Elle revendique ainsi « la mise en œuvre de la transition écologique », un objectif qui fait écho à celui du Lierre. Pourquoi, alors, avoir deux structures distinctes ? Sa présidente Alessia Lefébure, également membre du Lierre et par ailleurs directrice d’Agrocampus Ouest, s’en explique en ces termes : « Certains collègues, qui sont des fonctionnaires, ont voulu qu’on crée un autre collectif de peur que Le Lierre soit identifié, peut-être, comme un collectif un peu trop militant écologiste. » Or, poursuit-elle, « pour quelques fonctionnaires, surtout des hauts fonctionnaires, ça peut être plus rassurant d’afficher une appartenance à un collectif qui s’appelle Une fonction publique pour la transition écologique ». Une façon subtile « d’assurer la légitimité des fonctionnaires engagés dans la transition environnementale en tant qu’experts et non comme “militants” de la cause environnementale ».
Sensibilisation et formation
Organisée autour de deux groupes de travail – « adaptation » et formation » –, la FPTE œuvre pour « sensibiliser les administrations publiques à l’absolue nécessité d’intégrer la réalité du changement climatique dans la gestion publique en complément des actions déjà menées de développement durable et d’atténuation du changement climatique » et pour « proposer des outils et/ou des pistes de réflexion pour améliorer la résilience des systèmes administratifs au changement climatique » et pour « proposer des outils et/ou des pistes de réflexion pour améliorer la résilience des systèmes administratifs au changement climatique ». À l’instar du Lierre, l’association publie des propositions sur la « formation des agents la transition écologique », notamment par la mise en ligne, en janvier 2023, d’un « kit d’autoformation » qui a « pour objet de fournir des informations concrètes à tous les agents publics qui le souhaitent sur les nombreux sujets qui contribuent à la transition écologique ».
Toutes ces structures partagent un même objectif, à savoir influencer les décisions politiques au travers d’actions dans la fonction publique
Dans un entretien accordé à Reporterre, Marc Abadie, son vice-président, un inspecteur général de l’administration en fin de carrière, qui fut jusqu’en janvier 2023 le président de la branche « biodiversité » de la Caisse des dépôts, explique que « l’idée était d’établir un lieu d’échanges et de bonnes pratiques afin que les gens ne se sentent plus désespérés ». « Comme ça, ils ne sont plus seuls à se dire “Ah, c’est la catastrophe : mon préfet est nul ! Une fois de plus, on a cédé aux lobbies” », a confirmé au média écologiste un autre haut fonctionnaire qui a préféré garder l’anonymat.
En réalité, tous ces collectifs s’alignent sur le même agenda politique écologiste, comme le reconnaît Alessia Lefébure : « À quoi ça sert d’avoir plusieurs collectifs ? Comme on se connaît quasiment tous et qu’on veut tous la même chose, avec des moyens différents, en fait, on se soutient mutuellement. » Et l’intérêt d’avoir une myriade de collectifs devient évident lors de la publication de tribunes : « C’est plus puissant, par rapport au pouvoir public, de dire qu’il y a dix collectifs de fonctionnaires qui se sont mobilisés pour signer cette tribune, alors qu’en fait c’est un peu les mêmes personnes. Mais on est plus forts. »