Entretien avec Grégory Bordes, producteur de noisettes dans le Lot-et-Garonne, membre du conseil d’administration et secrétaire de la coopérative Unicoque, le leader français des fruits à coque
Lors du dernier Salon de l’agriculture,Thierry Descazeaux, président d’Unicoque, tirait la sonnette d’alarme sur les difficultés que rencontrent les producteurs de noisettes. Où en est-on aujourd’hui ?
En effet, en février dernier, nous avons une nouvelle fois alerté les pouvoirs publics sur les problèmes de baisse de rendement qui affectent notre production depuis l’interdiction totale des néonicotinoïdes issue de la loi « biodiversité », votée en 2016 et entrée en vigueur en 2018. Depuis lors, les ministres de l’Agriculture qui affichent la défense de la souveraineté alimentaire se succèdent et sont à notre écoute. Pour autant, concrètement, rien ne se passe. Certes, au printemps dernier, il y a eu la mise en place du si bien nommé « comité des solutions », mais celui-ci n’a apporté aucune réponse techniquement faisable et économiquement viable à court terme, notamment pour gérer la campagne 2024. Pendant ce temps-là, comptage à l’appui, les punaises ont pullulé dans nos vergers, et ce qui devait arriver arriva…
Réalisée non sans mal à cause d’une météo capricieuse, mais déjà connue par le passé, la récolte 2024 est donc venue confirmer nos craintes et les alertes qui avaient été lancées. Ainsi, à la baisse de rendement – seulement 6 500 tonnes récoltées sur un potentiel de 13 000 tonnes – due au ravageur historique de la noisette, le balanin, sont venus s’ajouter des dégâts qualitatifs considérables (environ 30 % des tonnages, soit 2 000 tonnes non commercialisables) dus à la punaise diabolique Halyomorpha halys, un ravageur émergent et invasif. Ces deux insectes prospèrent aujourd’hui à des niveaux inédits, le balanin détruisant tout sur son passage tandis que la punaise diabolique perfore les coques des noisettes pour piquer l’amandon, tout en libérant des enzymes très amères. Quoiqu’intacte en apparence, la noisette devient impropre à la consommation. Déjà, en 2023, le taux de noisettes piquées atteignait des records, mais les volumes honorables alors collectés avaient cependant permis de diluer les dégâts. Ce n’est pas le cas cette année, où le cumul pluie, faible tonnage et prolifération des punaises a multiplié par deux les dégâts par rapport à 2023, et par quatre par rapport à 2020, dernière année d’utilisation de l’acétamipride dans nos vergers.
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Dans une attestation en date du 8 octobre, la filière est classée en situation d’urgence phytosanitaire, reconnue comme « exceptionnelle et hors norme » par la Draaf Nouvelle-Aquitaine. Exceptionnelle, certes, et hors norme également, mais surtout totalement prévisible comme en attestent les nombreux courriers, dossiers, sollicitations, etc. adressés par les responsables de la filière au président de la République, aux Premiers ministres et aux différents ministres de l’Agriculture, entre 2016 et aujourd’hui.
Que faut-il donc faire ?
Une partie de la solution est connue des pouvoirs publics : il s’agit de mettre fin aux distorsions de concurrence intra-européennes concernant l’homologation des produits phytosanitaires, et plus particulièrement de revenir sur l’interdiction de l’usage de la matière active acétamipride, autorisée dans l’Union européenne jusqu’en 2033 mais interdite en France depuis 2020. L’Italie et l’Espagne parviennent ainsi à mieux maîtriser les ravageurs, qui sont pourtant bien présents sur leur territoire.
Au même titre que nos voisins italiens et espagnols, cette réautorisation nous permettrait de lutter de manière efficace contre les deux ravageurs de la noisette. Si certains voyaient dans cette interdiction un moyen de sauver les abeilles, faut-il rappeler qu’on sait désormais que la toxicité de cette molécule sur les abeilles est inférieure à un grand nombre de substances encore autorisées, dont certaines en agriculture bio ?
En parallèle, l’Efsa a rendu en mai 2024 un avis sur l’acétamipride « proposant de ne pas interdire la substance au niveau européen tout en fixant des limites de résidus plus drastiques », qui sont encore largement acceptables pour la noisette grâce à la coque qui protège l’amandon. Tout ceci est d’autant plus désolant que le marché des noisettes de qualité est bien vivant.
Alors que la France est le quatrième consommateur de noisettes au monde, nous importons 24000 tonnes de noisettes décortiquées, pour des exportations quasi nulles
Depuis quarante-cinq ans, la coopérative Unicoque, qui représente 300 producteurs, a développé une filière reconnue pour ses standards de qualité d’excellence qui lui permettent d’être leader européen en noisette coque de table et également d’approvisionner le marché français du décortiqué (amandon issu du cassage de la coquille), grâce à des partenariats avec des industriels connus du grand public pour partager les mêmes exigences qualitatives. Alors que la France est le quatrième consommateur de noisettes au monde, nous importons 24 000 tonnes de noisettes décortiquées, pour des exportations quasi nulles. Il y a donc un beau challenge de souveraineté alimentaire à relever !
Dans six mois débutera la campagne culturale 2025, et les punaises et les balanins seront encore présents au rendez-vous. D’ici là, bon sens et courage politique seraient bien nécessaires pour une évolution positive du cadre réglementaire franco-français, afin que les 300 producteurs concernés continuent eux aussi d’être au rendez-vous dans leurs vergers. En revanche, si l’État – que nous n’avons pas attendu pour réaliser la montée en gamme – n’accède pas à nos demandes, la descente en gamme et aux enfers d’une filière agricole d’excellence française se poursuivra. C’est donc l’avenir tout entier de notre filière qui est en jeu, alors que, paradoxalement, la demande est présente et le commerce se porte bien.