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Le Maroc et la tomate cerise

Un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux au sujet des importations et exportations de tomates confirme l’échec de la politique de montée en gamme 

La publication du rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur les importations et exportations de tomates par la France en janvier 2025 n’a pas vraiment fait beaucoup de bruit dans les médias. Pourtant, ses deux auteurs, Hervé Deperrois et Claire Monné, y confirmaient, s’il était encore nécessaire, l’échec de la politique de « montée en gamme », impulsée par le président de la République dans son fameux discours de Rungis, en octobre 2017. Du moins, pour ce qui concerne les tomates cerises.

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Si, jusqu’en 2017, les volumes des exportations marocaines de tomates fraîches vers l’Union européenne, avec la France comme première destination, étaient restés stables, ils n’ont cessé par la suite d’augmenter pour atteindre en 2022 un nouveau seuil de 500 à 550 000 tonnes. Forts de cette constatation, les producteurs français de tomates, cédant aux encouragements des gouvernements successifs, ont réorienté leur production vers des segments à plus haute valeur ajoutée, notamment vers les tomates cerises. Cette stratégie, perçue comme « une solution pour échapper au différentiel de compétitivité », a entraîné un recul des surfaces en tomate ronde et in fine, l’abandon du marché de masse à des opérateurs étrangers, comme le met en évidence le rapport.

Lire aussi : La stratégie de la « montée en gamme » remise en cause dans un rapport parlementaire

Rapidement rattrapée par les producteurs de tomates marocains

Or, la filière tomate a rapidement été rattrapée par la montée en gamme des productions marocaines de tomates cerises, dont les exportations vers la France ont, elles aussi, considérablement augmenté, remarquent Hervé Deperrois et Claire Monné, soulignant que « les producteurs marocains ont réorienté depuis quelques années une partie de leurs surfaces consacrées à la tomate ronde vers des surfaces dédiées à la tomate cerise, mieux valorisée sur les marchés export ».

Des propos confirmés par Abir Lemseffer, la directrice générale du groupe Azura, dans un entretien publié en juillet 2024 par la revue Réussir fruits & légumes : « Les tomates cerises ont pris beaucoup d’importance ces dernières années par rapport aux tomates dites classiques. » Spécialisé en tomates cerises (allongées et mélangées), le groupe, qui dédie ses cultures presque exclusivement à ce segment depuis dix ans, exporte plus de 60 000 tonnes par an de tomates cerises vers la France. Après analyse des données de la plateforme Saint-Charles International et des douanes françaises, les auteurs du rapport confirment que la part des tomates cerises est en forte progression, « y compris en saison ». « On constate à partir de ces données que les importations de tomates cerises marocaines ont connu en valeur une croissance quasi exponentielle depuis 2015 et supplantent largement les autres catégories de tomates importées du Maroc depuis 2021 », notent-ils ainsi.

Il est vrai que, contrairement à celle des producteurs français, l’offre marocaine répond à la demande des grandes et moyennes surfaces (GMS), qui souhaitent disposer de tomates cerises toute l’année pour répondre à la demande des consommateurs. Et pour un prix bien plus bas que les tomates cerises françaises !

On constate à partir de ces données que les importations de tomates cerises marocaines ont connu en valeur une croissance quasi exponentielle depuis 2015

Les étals des GMS proposent ainsi une barquette de 250 grammes, origine Maroc, à 0,99 €, soit 3,96 € le kilogramme, alors que ces mêmes tomates cerises, mais françaises, sont vendues à des prix qui oscillent de 8 à 10 € le kilogramme, soit 2  à 2,5 fois plus, constate encore le rapport. Les responsables en sont les normes, certes, mais aussi et surtout le coût de la main-d’œuvre. « La France supporte des coûts de main-d’œuvre 14 fois supérieurs à ceux pratiqués au Maroc », relève le rapport, qui corrobore une étude menée par la fédération Légumes de France en 2023.

La stratégie Génération Green 2020-2030

Cette hausse des importations marocaines, qui s’est accrue sur les années 2022-23, pourrait se poursuivre dans les années qui viennent, eu égard à la stratégie Génération Green 2020-2030 qui a pris le relais du Plan Maroc Vert, lequel a surtout développé l’irrigation au goutte-à-goutte dont, paradoxalement, les effets se sont avérés plutôt néfastes pour les nappes phréatiques.

En revanche, la stratégie Génération Green 2020-2030, dont l’objectif est d’encourager l’agriculture marocaine, notamment dans les provinces du sud du pays, particulièrement pour ces produits à forte valeur ajoutée (tomates cerises, melons, myrtilles et autres fruits rouges), s’appuie sur une usine de dessalement de l’eau de mer d’une capacité de 37 millions de mètres cubes par an (100 000  m3/j), dont 7 millions de mètres cubes destinés à l’eau potable et 30 millions à l’irrigation. Cette usine sera fournie en énergie par un parc éolien de 40 MW par an d’électricité décarbonée. Lancé en 2021, ce projet permettra ainsi au Maroc de mettre en culture plus de 5 000 ha dans la commune de Bir Anzarane, à 130 km à l’est de Dakhla, ce qui représente davantage que la superficie totale française consacrée à la production de tomates.

« Le projet avance rapidement », note le rapport du CGAAER, puisque, du côté des infrastructures, l’unité de dessalement est achevée à 35 % et devrait être livrée d’ici juin prochain, tandis que le parc éolien est finalisé à 88 % et le réseau de canalisation d’irrigation à 70 %. « La mise en eau du périmètre est prévue au second semestre 2025, permettant une mise en culture pour la campagne agricole 2025/26 et des premières récoltes dès fin 2025 », précisent les deux auteurs.

Cette unité fait partie de la vingtaine de stations de dessalement de l’eau de mer prévues d’ici 2030 (12 sont d’ores et déjà en service) et qui devront donner au Maroc une capacité de 1,4 milliard de mètres cubes d’eau par an, destinés à différents usages. Un cubage qui correspond à la moitié des prélèvements annuels français pour les seules activités agricoles.

Cette hausse des importations marocaines, qui s’est accrue sur les années 2022-23, pourrait se poursuivre dans les années qui viennent, eu égard à la stratégie Génération Green 2020-2030

Pendant ce temps, sur la question de l’eau, élément vital pour nos cultures, le gouvernement français n’a rien trouvé de mieux que d’organiser une grande concertation pour son partage équitable, non sans promettre aux agriculteurs qu’ils auront la possibilité de la stocker lorsqu’elle est en excès…

On devine aisément la suite : d’une manière ou d’une autre, ces tomates cerises, et autres denrées à forte valeur ajoutée, nourries au soleil du Sahara marocain et fournies en eau de mer dessalée, finiront par déferler dans nos assiettes, au risque de saborder toute la production française !

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