Crise de la filière porcine : en marge de l’assemblée générale de la Fédération nationale porcine du 10 juin à Bourg-en-Bresse, Thierry Coué, vice-président de la FNSEA et président de la commission environnement, livre son analyse en exclusivité pour A&E.
La filière porcine traverse aujourd’hui une crise qui semble être systémique. Comment l’expliquez-vous ?
Pour comprendre la situation actuelle de la filière, il faut remonter au début des années 1990, lorsque la politique agricole de l’Union européenne, et celle de la France en particulier, se sont progressivement éloignées des objectifs de performances économiques, fixés à l’origine par la politique agricole commune. Cette bifurcation dans les objectifs a petit à petit fermé les vannes de l’exportation.
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À cette époque, pourtant, notre filière était parfaitement en phase avec le modèle d’autres pays européens comme le Danemark ou l’Espagne. On retrouvait alors une spécialisation de la production animale dans le Grand Ouest (Bretagne et Normandie), avec tout un environnement économique déployé autour du secteur de la production, notamment grâce à des entreprises de conseil performantes, et un secteur de recherche tant dans la génétique que dans les techniques du bâtiment et de la nutrition. Cette concentration a provoqué une spécialisation des outils porcins sous des formes qui, tout en restant à base de capitaux familiaux, ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, en termes de productivité à la ferme, la production de l’élevage français est l’une des plus compétitives au monde. Nos outils sont en effet très automatisés, principalement en ce qui concerne l’alimentation et la surveillance réalisée grâce à l’informatique.
Finalement, le rôle de l’éleveur consiste surtout à observer puis à intervenir selon les data qu’il récolte. Ainsi, son effort peut davantage se porter sur le suivi de l’animal, sur sa santé et son comportement, et du nettoyage.
Mais, parallèlement, le prix payé aux éleveurs n’a jamais été aussi faible. Ce qui explique que la rentabilité n’est plus au rendez-vous. Même en étant les meilleurs du point de vue technique dans les élevages, à la sortie de l’abattoir une grande partie de la valeur ajoutée et de la compétitivité s’est envolée. La compétitivité de l’élevage se heurte en effet à un surcoût relatif aux secteurs de l’abattage, de la découpe, de la transformation et de la distribution, mais sans remonter à l’éleveur.
Cette excellence historique de la filière porcine est-elle aujourd’hui en péril ?
Absolument. Nous assistons, depuis une petit vingtaine d’années, à une perte de cette excellence en raison de notre incapacité à maintenir nos investissements. C’est principalement dû aux blocages administratifs liés aux contraintes environnementales, qui débouchent sur des refus d’autorisation de construction ou de modernisation des bâtiments. En conséquence, alors qu’il faut compter entre 6 et 12 mois maximum en Allemagne pour construire, par exemple, une unité de méthanisation, on doit attendre en France de 3 à 5 ans, quand ce n’est pas 10 ans dès lors qu’il y aa une contestation locales organisée.
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Ces contraintes ont provoqué une perte d’attractivité pour les jeunes qui arrivent dans le métier. À cela s’ajoutent bien entendu les campagnes récentes des mouvements végans, dont la force de frappe devient de plus en plus considérable depuis que de nombreuses vedettes médiatiques s’y sont mises. Ces campagnes médiatiques véhiculent une réalité qui n’est pas celle du terrain, comme le démontre le fait que, aux endroits où les élevages sont le plus présents, comme c’est le cas en Bretagne, c’est là où il y a le moins de soucis avec le voisinage.
Pourquoi ne sommes-nous plus compétitifs par rapport à nos concurrents ?
En Espagne ou au Danemark, qui sont nos principaux concurrents, les coûts due main-d’œuvre hors exploitation, c’est-à-dire tout ce qui concerne le travail d’abattage, de découpe et de transformation de la viande de porc, sont moins élevés. Cela s’explique notamment par le fait qu’en France, l’abattage, et plus encore la découpe, représentent un véritable travail d’orfèvre, en raison de la diversité des produits finis, obtenus à partir d’une carcasse. N’oublions pas que 80% de la carcasse de porc sont utilisés contre seulement 50% pour la volaille, les chèvres et le bovin. Ce qui fait de la viande de porc l’une des plus intéressantes du point de vue environnemental.
Une consommation de porc saisonnière et diversifiée selon les pays
La consommations de porc est également saisonnière : depuis les grillades, lorsque la météo s’y prête, aux saucisses, pâtés ou rôtis pour des consommations hors été. Les possibilités sont multiples de cuisiner la viande de porc en font un produit d’une offre très large, ce qui se traduit par un travail de découpe très complexe, variant selon les pays et les habitudes des consommateurs qui sont très différentes entre le sud et le nord de l’Europe. L’Espagne privilégiée par exemple la charcuterie sèche, tandis qu’en Allemagne on préfère la charcuterie et la préparation fraîche. Et en France, c’est la jambon qui est majoritairement consommé au point que, idéalement, il faudrait un port à six pattes arrière pour faire six jambons… Enfin pour les oreilles, la queue ou les pattes, le marché se trouve plutôt en Asie. La production du porc est donc soumise à des formes de culture culinaire qui varient selon les saisons et les lieux. Tout cela explique que la filière porcine française ait autant besoin de pouvoir exporter que de pouvoir importer.
Pourtant, au regard du contexte réglementaire, la filière a déjà relevé beaucoup de défis qui se sont déclinés en termes d’économie circulaire, avec la valorisation de ce qui était jadis considéré comme des déchets, et qu’on a vu devenir des matières nobles et utiles. C’est le cas du lisier comme de la graisse du porc. Grâce à la qualité de la recherche française et européenne, la filière porcine a connu un fort développement dans le domaine de la génétique, dans l’isolation des bâtiments, les techniques de ventilation, d’échangeur d’air, ou encore dans les techniques de valorisation de l’alimentation et de la nutrition animale.
Malheureusement, ces techniques, qui constituaient précisément notre valeur ajoutée, ont ensuite été exportées en Asie, et ailleurs entraînant une fragilisation de l’équilibre de notre filière française. Puis, le manque de perspective a provoqué un recul dans notre production. On a ainsi chuté d’une production annuelle d’environ 25 millions de porcs au tout début des années 1990 à 23,5 millions aujourd’hui, alors que pour la même période, l’Espagne, qui n’a cessé d’investir, est passée de 20 millions à 58 millions de porc envoyés à l’battoir en 2021, et un taux d’auto-approvisionnement de 200%…
À moins de lever certaines de ces contraintes, notamment en ce qui concerne les freins pour la modernisation et la création d’un élevage, les perspectives pour la filière sont plutôt sombres. Un choix évident se pose donc désormais aux politiques : veut-on conserver notre outil de production, et notre souveraineté alimentaire, ou voulons-nous le laisser périr à petit feu ?