Selon l’Agence bio, 94% des achats bio sont fondés sur la croyance que ces produits sont meilleurs pour la santé. Un postulat qui ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique.
Le 31 janvier dernier, l’heure était à la fête à l’Agence Bio. L’agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique, qui présentait la quatrième édition de son « Baromètre sur le comportement des consommateurs face aux produits bio », a en effet annoncé que le marché des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique se portait bien. « En croissance de près de 10 % par an » depuis 1999, ce marché s’élevait à plus de 1,6 milliard d’euros en 2005. Si cela ne représente qu’à peine 1 % du marché de l’ensemble des produits alimentaires – « ce qui est encore peu », relativise l’agence de presse ActuAgri -, c’est assez pour que la grande distribution s’y intéresse. C’est en effet grâce à elle que de nombreux consommateurs jugent aujourd’hui que « les produits bio sont faciles à trouver ».
Pour la majorité des Français, l’agriculture bio évoque spontanément une « image positive ». Les produits bio sont considérés comme « plus naturels car cultivés sans produits chimiques ». 82 % des personnes interrogées pensent même qu’il sont « meilleurs pour la santé ». Pour l’Agence Bio, c’est la première raison qui motive les acheteurs de ces produits. 94 % d’entre eux le font en effet « pour préserver leur santé », soit un taux en légère augmentation par rapport au sondage de 2003 (91 %). Ce chiffre témoigne de l’extraordinaire réussite de la communication de la filière bio, centrée sur une hypothétique relation entre santé et produits bio. La multiplication des campagnes anti-pesticides aidant, presque 100 % de la population sont aujourd’hui convaincus que la nourriture bio serait meilleure pour la santé. Elisabeth Mercier, directrice de l’Agence Bio, estime donc que « le bio est une tendance de fond, non une mode, un secteur en phase avec la société », celle-ci étant très sensible aux questions sanitaires. Or, cette tendance de fond ne repose-t-elle pas sur des postulats fallacieux ?
Le cas des produits chimiques
Comme l’a rappelé le Pr Lee M. Silver de l’Université de Princeton, dans une tribune du Wall Street Journal du 29 janvier dernier, « en réalité, l’agriculture bio est parfaitement libre d’utiliser de nombreux produits chimiques, dont la pyréthrine (C21H28O3) ou la roténone (C23H22O6). En outre, les agriculteurs bio pulvérisent couramment leurs cultures avec des mélanges à base de Bacillus thuringiensis, qui contiennent des toxines Bt, et ils utilisent des contaminants durables du sol comme le soufre ou le cuivre ». En laissant croire au consommateur que les substances produites par des organismes vivants – comme la roténone – ne sont pas des produits « chimiques », et qu’elles sont donc inoffensives, on entretient chez lui la confusion. « L’illusion que la ligne de démarcation entre toxique et non toxique serait la même qu’entre “chimique” et “non chimique” est un leurre, habilement entretenu par de nombreux protagonistes de l’agriculture bio », affirme le Dr Alain Pelfrène, membre du comité sur les additifs alimentaires à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa). Le soja, très en vogue dans le milieu écolo-alternatif, peut représenter un risque avéré pour la santé, comme le souligne le rapport « Sécurité et bénéfices des phytoestrogènes apportés par l’alimentation », rédigé en mars 2005 par les experts de l’Afssa, et qui conclut que le soja peut être dangereux pour l’homme en raison de son contenu en isoflavones. Paradoxalement, les écologistes, qui sont habituellement les premiers à demander l’application du principe de précaution, semblent nier ces risques dès lors qu’il s’agit de soja bio. « Pour le Pr Jean-François Narbonne, toxicologue à l’Université Bordeaux I, ces conclusions sont tout simplement exagérées », écrit Aline Perrault, dans la revue EchoBio de janvier-février 2007. Selon Hervé Berbille, ingénieur agroalimentaire et « spécialiste du soja dans l’alimentation », ces campagnes de dénigrement seraient même organisées par le lobby du soja ! « C’est bien sûr dans l’autre sens qu’il agit », explique-t-il, dans la même revue. « L’essentiel du soja produit dans le monde sert à nourrir les animaux pour la production de lait et de viande. […] C’est beaucoup moins intéressant économiquement de nourrir les humains avec du soja qu’avec de la viande. »
Toxines naturelles
Plus sérieusement, l’Institute of Food Technologists (IFT) a publié en septembre 2006 une synthèse de l’état des connaissances concernant la nourriture bio. Ses deux auteurs, Carl K. Winter et Sarah F. Davis, rappellent notamment l’importance du danger des toxines naturelles présentes dans l’agriculture biologique. Il s’agit principalement des furanocoumarins, toxines probablement cancérigènes développées dans des conditions de stress par les céleris, et des aflatoxines, toxines mutagènes, carcinogènes et tératogènes, fréquemment détectées dans le blé ou les arachides. Certaines mycotoxines, comme les fumonisines ou les deoxynivalenoles, représentent aussi des risques non négligeables pour la santé, estiment les auteurs. Or, dans certains cas, l’utilisation de fongicides de synthèse peut réduire ce risque. En outre, l’agriculture bio n’est pas à l’abri de dérapages, comme cela a été récemment le cas aux Etats-Unis, où une gamme d’épinards bio contaminée par la redoutable bactérie Escherichia Coli de sérotype 0157:H7 a été à l’origine d’un décès, de 23 cas d’insuffisance rénale et de plus de 150 hospitalisations. Certes, il s’agit d’un cas isolé, mais Carl K. Winter et Sarah F. Davis rappellent que « l’utilisation de compost d’origine animale comme engrais présente un risque microbiologique potentiel si ce compost n’a pas été correctement préparé ». Un avertissement qui souligne l’étendue du problème.
Le bio plus nutritif ?
L’alimentation bio ne serait-elle pas en revanche plus riche d’un point de vue nutritif ? C’est en tout cas ce qu’affirme EchoBio, qui cite en exemple une récente étude réalisée pour la Commission européenne. Ses auteurs ont comparé du lait bio et du lait classique. Ils ont noté que les niveaux d’acides gras bénéfiques (comme l’oméga-3) étaient 60 % plus élevés dans le lait bio, et que celui-ci contenait 20 % de plus d’antioxydants et de vitamines. Mais si quelques études ont effectivement conclu que les méthodes de culture biologique conduisaient à une augmentation de certains éléments nutritifs (en particulier des acides organiques et des composés polyphénoliques), d’autres ont abouti à des conclusions différentes. Carl K. Winter et Sarah F. Davis mentionnent la méta-analyse réalisée en 1997 par une équipe de chercheurs américains dirigée par Carl Woese.
Ces travaux, qui ont regroupé plus de 150 études publiées entre 1926 et 1994, portant sur la qualité de la nourriture produite selon différentes méthodes, ont conclu que « dans certains cas, aucune différence majeure n’a été observée, tandis que dans d’autres, les résultats sont contradictoires, ne permettant pas de conclure définitivement ». Et lorsque des différences ont été observées, elles ont été attribuées essentiellement aux changements de variétés, la sélection s’effectuant plus en fonction des caractéristiques agronomiques (résistance, croissance, etc.) que de l’apport nutritif. D’autres hypothèses ont été émises, comme le fait que la pression environnementale sur les plantes peut favoriser des réactions de stress, qui entraînent à leur tour la production de toxines, mais aussi d’antioxydants (Asami et al., 2003). Par ailleurs, le fait que grâce aux engrais synthétiques, l’agriculture conventionnelle utilise l’azote de façon plus efficace que l’agriculture biologique entraînerait une orientation prioritaire des ressources des plantes vers la croissance, au détriment des métabolites secondaires comme les acides organiques, les polyphenoles, la chlorophylle ou les acides aminés. « Bien que de nombreuses études démontrent les différences de qualité entre les nourritures bio et conventionnelle, il est prématuré de conclure que l’un des deux systèmes de production soit supérieur à l’autre en ce qui concerne le respect de la santé ou de la composition nutritive », concluent Carl K. Winter et Sarah F. Davis. Ce décalage entre prudence de la part des experts et certitude de celle de plus de 95 % de la population laisse perplexe. Il témoigne du fait que dans la majorité des cas, l’achat bio s’appuie sur de fausses croyances.
C’est sûrement ce qui a conduit le ministre britannique de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales, David Miliband, à affirmer au quotidien Sunday Times qu’« il n’y a aucune preuve que les aliments bio soient meilleurs pour la santé que ceux cultivés traditionnellement ». Ce qui a créé un véritable tollé outre-Manche ! « Le bio ne représente que 4 % du marché des produits alimentaires, pas 40 %, et je ne voudrais pas que l’on dise que 96 % de notre production est de second choix parce qu’elle n’est pas biologique », a ajouté le ministre.
Paradoxalement, ce sont les grands groupes de l’agroalimentaire et de la distribution, symboles de ce consumérisme tant décrié par les associations écologistes, qui s’accaparent actuellement le marché du bio. C’est que depuis quelques années, l’agro-industrie communique habilement sur la santé et le bien-être. Grâce aux seuls produits bio, la grande distribution réalise aujourd’hui en France un chiffre d’affaires de plus de 620 millions d’euros. Elle en assure 39,6 % des ventes, un pourcentage qui la place juste derrière la distribution spécialisée et traditionnelle (42,2 %). La vente directe, elle, représente moins de 20 %, ce qui est d’autant plus regrettable que c’est généralement à travers cette filière que l’on peut trouver des produits bio d’agriculteurs particulièrement attentifs à la qualité gustative et à la conservation de la biodiversité végétale ou animale.
Comme le commente le critique culinaire du quotidien The Guardian en référence aux propos de David Miliband, « il y a de bons produits bio… et de moins bons ! » Comme partout…