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Le dépeuplement des ruches en Espagne : origine de l’ hypothèse Nosema ceranae

La détection de Nosema ceranae sur les colonies d’abeilles affectées de dépeuplement, réalisée par notre équipe d’investigation, n’a pas été un fait accidentel, mais le couronnement de six années de travail d’investigation et de l’analyse de plus de 8 000 échantillons d’abeilles provenant tant d’Espagne que de différents pays voisins.

M. Higes (a), R. Martin (a), M.E. Garrido-Bailon (a), J.L. Bernal (a), M.J. Nozal (c), R. Mayo (c), A. Sanz (a), P. Garcia-Palencia (b), A. Meana (b).

(a) Centre apicole régional. Direction générale de la production agricole et de l’élevage du conseil
de l’Agriculture. Assemblée des communautés de Castille-La Manche.
(b) Département de la santé animale. Faculté vétérinaire. Université Alcala de Henarès de Madrid.
(c) Département de chimie analytique. Faculté des sciences. Université de Valladolid.

Ce que nous connaissons actuellement sous le nom de « syndrome de dépeuplement des ruches » n’est pas un phénomène nouveau, bien qu’il se soit manifesté de manière plus évidente et plus généralisée au cours des deux dernières années sur tout le territoire national. Notre équipe de travail a identifié la présence d’un plus grand nombre d’abeilles présentant des spores de Nosema  de taille légèrement plus petite que d’ordinaire dans les premières années du nouveau siècle, au moment où, probablement, le parasite Nosema ceranae a pu arriver dans notre pays.

Durant les années 2003 et 2004, le syndrome de dépeuplement s’est manifesté de façon évidente en automne et en hiver, périodes où se produisent la majorité des pertes dans les ruches. Néanmoins, en 2005 et 2006, ce phénomène a été détecté tout au long de l’année, y compris en été, époque à laquelle le dépeuplement ne se manifeste pas dans le cadre de nosémoses dues à Nosema apis.

Le seul indice en relation avec la disparition des abeilles – sans que l’on retrouve celles-ci, mortes, autour des ruches – est une diminution progressive de la production du miel et du pollen, causée par la perte de population des abeilles. Il est moins fréquent de noter la mortalité des abeilles dans les ruches que de constater un net manque de vigueur. Au cours de ce processus, il est courant de voir apparaître des pathologies associées dans le couvain, comme la loque américaine et l’ascosphérose.

Notre équipe a entamé les recherches sur l’origine de ce syndrome à la fin de 1999. Mais ce n’est qu’à partir de 2003 que les investigations ont commencé à se porter sur les espèces de Nosema comme agents causals du dépeuplement, étant donné les évidences scientifiques que nous avions alors obtenues.

Première hypothèse de travail : l’action toxique de pesticides

La première ligne de recherche était en relation avec l’hypothèse soulevée par une grande partie du secteur (à peu près la majorité en France), selon laquelle la cause résiderait dans l’action toxique de pesticides agricoles bien déterminés. Actuellement, c’est la piste causale privilégiée par le secteur apicole, mais non par une grande partie du monde scientifique.

Durant les six dernières années, nous avons étudié l’action possible de certains pesticides à usage agricole comme l’imidaclopride (Gaucho) et le fipronil (Régent TS), qui sont utilisés dans le traitement des semences de tournesol, ainsi que leur relation avec le dépeuplement des ruches. A cet égard, les éclaircissements qui en ont résulté ont été exposés dans les données présentées lors de la Deuxième conférence européenne d’apidologie, qui s’est tenue à Prague en septembre 2006. Quelques-uns des travaux présentés à cette occasion confirment scientifiquement que l’utilisation, en conditions de champ de semences de tournesol avec un traitement standard d’imidaclopride, ne détermine pas un risque réel pour les abeilles. Dans d’autres conditions, ce produit est toxique pour les abeilles, mais pas dans la relation abeille-tournesol.

Quant au fipronil, le congrès de Prague a permis de présenter des travaux réalisés en conditions de laboratoire ou de semi-terrain. Ils concluent à un potentiel toxique élevé de cette molécule sur les abeilles, bien que cette toxicité n’ait pas été démontrée en conditions de terrain.

En Espagne, l’imidaclopride continue à ne pas être autorisé pour le traitement des semences de tournesol. Il est important de signaler que les analyses réalisées par notre équipe entre 1999 et 2001, tant sur des semences de tournesol que sur du pollen de tournesol, des abeilles et du miel provenant de ruches situées dans différentes plantations de tournesol de Castille-La Manche, n’ont pas mis en évidence cette molécule ou l’un de ses métabolites au-delà des limites de détection utilisées (de l’ordre du ppb).

En ce qui concerne le fipronil, la situation est différente. Cette substance, qui est autorisée aujourd’hui pour le traitement des semences de tournesol, a été utilisée pour la première fois en Espagne en 2004. Cette année-là, seuls 5 % du nombre d’hectares semés en tournesol, dans seulement trois de nos provinces, ont reçu des semences traitées au fipronil. En 2005 et 2006, la situation a été similaire. Si ce pesticide avait trouvé la possibilité d’affecter les abeilles par l’intermédiaire du tournesol, les problèmes se seraient localisés dans des zones plus concrètes ; ce qui n’est pas le cas. Pour cette raison, le fipronil ne peut être tenu pour responsable d’un problème généralisé à toute l’Espagne. Durant l’été 2005 et 2006, nous avons mené à bien une étude de terrain complète sur les répercussions possibles, sur les colonies d’abeilles, des cultures de tournesol issues de semences traitées au fipronil. Dans tous les ruchers étudiés, nous n’avons pas trouvé de problème toxicologique aigu, pas plus que nous n’avons détecté de fipronil (ou l’un de ses métabolites) dans les échantillons que nous avons analysés jusqu’à présent. En revanche, dans toutes les colonies d’abeilles, nous avons relevé un parasitisme majeur de Nosema ceranae.

Concernant la présence d’autres insecticides dans le pollen de réserve des ruches, nos données actuelles indiquent que ceux-ci ne sauraient non plus être rendus responsables d’un problème généralisé tel qu’il s’est produit dans nos ruches.

Seconde hypothèse de travail : agents infectieux ou parasites

Les données relatives à une plus grande importance des agents infectieux et des parasites diagnostiqués dans les échantillons remis au laboratoire écartent le rôle étiologique des virus, en raison du petit nombre d’abeilles ayant donné un résultat positif à ces agents. Même si on ne peut pas éliminer le rôle certain que joue la varroase
[[La varroase est une parasitose dévastatrice et très contagieuse due à un acarien, le varroa.]] dans le syndrome, celle-ci ne semble pas en être l’unique cause puisque le nombre des colonies affectées s’est maintenu au même niveau au fil des dernières années.

L’augmentation progressive de la détection des spores de Nosema chez les abeilles provenant des ruchers affectés par le syndrome de dépeuplement est parfaitement évidente. C’est dans cette perspective que se sont concentrées les études des dernières années.

En juillet 2005, nous avons détecté les premières séquences génétiques nous permettant de confirmer la présence de Nosema ceranae dans les abeilles mellifères espagnoles. En septembre de la même année, son ample diffusion sur le territoire national s’est confirmée. Ce qui indique qu’il ne s’agissait pas d’une trouvaille isolée, mais que tout le pays était bien affecté. On pouvait supposer que la diffusion de Nosema ceranae ne se limitait pas exclusivement à l’Espagne, mais qu’elle pouvait s’étendre à beaucoup d’autres pays, d’autant plus qu’elle est originaire du même hôte et de la même région géographique que Varroa destructor.

Pour conclure

Actuellement, nos travaux d’investigation appuient cette hypothèse, et nos conclusions sont les suivantes :

-(1) Notre équipe de travail a été la première en Europe à détecter la présence de Nosema ceranae parasitant l’abeille européenne (Apis mellifera) dans les ruches affectées par le dépeuplement.

-(2) Nous avons confirmé récemment que Nosema ceranae accomplit totalement son cycle de reproduction en moins de trois jours, et qu’il présente une plus grande capacité pathogène que Nosema apis pour les abeilles mellifères, tuant celles-ci en peu de jours sans aucun symptôme préalable.

– (3) Les méthodes de diagnostic traditionnellement utilisées pour détecter la nosémose dans les ruches (fondamentalement : observation et décompte des spores) donnent des résultats peu fiables et ne permettent pas d’évaluer l’état sanitaire réel de la colonie d’abeilles, pas plus que le niveau de l’infection ou la relation de celle-ci avec les manifestations cliniques.

-(4) Nous avons détecté Nosema ceranae dans les abeilles d’autres pays européens, ce qui confirme qu’il s’agit d’un problème généralisé, au moins à l’Union Européenne. Nos données semblent aussi indiquer que cette microsporidie est arrivée antérieurement dans les pays situés plus à l’Est, et qu’elle a fait beaucoup plus récemment son entrée en Espagne (probablement en 2000-2001).

– (5) Nosema ceranae présente chez Apis mellifera un tableau clinique caractéristique différent de celui présenté par Nosema apis. Sa principale manifestation est le dépeuplement, en l’absence d’autres symptômes comme, par exemple, la diarrhée. Nosema ceranae est capable de provoquer le dépeuplement d’une ruche à lui seul, en un temps variable (de quelques mois à plus d’une année) ; temps qui peut se réduire en cas d’association avec d’autres agents étiologiques.

– (6) Actuellement, Nosema ceranae affecterait 50 % ou plus des ruches d’Espagne. Dans quelques communautés autonomes, cette estimation est supérieure à 80 %, ce qui suppose un risque sanitaire de première importance, comparable au problème provoqué par la varroase dans ces zones.

– (7) Nous n’avons pas de données permettant à présent d’attribuer le dépeuplement à la présence d’agrotoxiques, étant donné que dans les échantillons analysés jusqu’à maintenant, ceux-ci ne sont pratiquement pas détectés.

Remerciements :
Les travaux d’investigation sur lesquels se basent les résultats ont été exposés lors d’une conférence tenue par Mariano Higes Pascual devant des responsables du ministère de l’Agriculture espagnol, le 14 décembre 2006. Ils ont été menés à bien grâce au financement de l’Union des communautés de Castille-La Manche (projet 05-280/PA47), de l’Institut des investigations agraires (Projet RTA 2005-00152) et du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation (Projet API06-009).

Ce document a été traduit par Raymond Borneck, président du Syndicat apicole du Jura.


Notes :

  • Le Nosema est un protozoaire qui attaque l’intestin des abeilles. Il en existe de nombreuses formes, dont Nosema apis et Nosema ceranae. Jusqu’à présent, seul Nosema apis avait été détecté en Europe.
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