Dans le cadre de la clause de sauvegarde sur le maïs OGM MON 810, la France a remis à l’Efsa le 16 juin 2008 un bien curieux document, signé du Pr Le Maho. Censé convaincre le Panel OGM de l’agence européenne, ce texte – officiel ou officieux ? – relève plus de la prose militante que du rapport scientifique…
Qu’en est-il de la clause de sauvegarde française sur le maïs OGM MON 810 ? Pourquoi rien ne s’est-il encore passé, alors que Catherine Geslain-Lanéelle, directrice de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa/Aesa), estimait dans un courrier du 11 mars 2008 que l’Efsa « [devait] certainement donner un avis scientifique pour la
fin d’avril 2008 » ? Encore aurait-il fallu pour cela que le dossier français soit complet. Or, la France a attendu le 12 juin, soit six mois après la remise de sa demande à la Commission européenne, pour apporter « l’argumentation manquante de la position française suite au document présenté par Monsanto le 30 janvier 2008 ». Ce texte lui avait pourtant été réclamé par l’Efsa dès le 11 mars 2008. Rédigée par Yvon Le Maho, directeur de recherches au CNRS et membre du Comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM, la réponse française [[Réponse à l’analyse réalisée le 30 janvier 2008 par la Société Monsanto de l’avis de la dissémination du MON 810 sur le territoire français, Yvon Le Maho, document non daté !]] est accompagnée d’une curieuse Note des autorités françaises à l’Aesa de deux pages… non signées ! Celles-ci ont-elles été rédigées par le ministère de l’Agriculture ? par un représentant du ministère de l’Environnement ? ou s’agit-il d’une missive émanant de l’Elysée ou de Matignon ? Mystère…
Après un rappel des raisons qui ont conduit la France à suspendre la mise en culture du MON 810, la note précise qu’Yvon Le Maho a bien été désigné par la France pour « faire le lien avec l’Aesa afin de régler les éventuelles divergences d’avis », et qu’il « a préparé à la demande des autorités françaises un document commentant l’analyse faite le 30 janvier 2008 par la société Monsanto ». A première vue, le rapport Le Maho serait donc bien la réponse officielle de la France à la firme Monsanto. Or, trois lignes plus loin, la note précise que « les autorités françaises attirent l’attention [de l’Aesa] sur le fait que [ce document] ne saurait engager ni le Comité de préfiguration, ni a fortiori les autorités françaises » ! En clair, il n’engage que son auteur. Des propos confirmés par Olivier Prunaux, du bureau bruxellois de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, qui a indiqué à A&E que « ce texte n’est pas une réponse des autorités françaises ». Dans ces conditions, quelle attention le Panel OGM doit-il y porter ? D’autant plus que la neutralité de l’auteur est loin d’être évidente…
Un chercheur libre ?
Inutile de préciser que M. Le Maho n’est pas sous influence du « lobby pro OGM », dont il a d’ailleurs publiquement dénoncé « les incroyables pressions ».En revanche, il est membre du Comité de veille écologique de la Fondation Nicolas Hulot (FNH) et a été administrateur des Amis du WWF [[Rapport d’activité du WWF 2007]] , deux piliers du « lobby anti-OGM ». Or, peut-on être un chercheur libre si l’on appartient à des organisations anti-OGM ? Non, à en croire M. Le Maho lui-même, qui estime à l’inverse qu’« un chercheur appartenant à une organisation “pro-OGM” n’est pas libre » [[Les « Mardis de l’AIGREF », 4 mars 2008 : débat avec la salle]]…
En outre, Yvon Le Maho n’a pas hésité à accoler son nom à ceux de deux autres membres de la FNH (Pierre-Henri Gouyon et Marc Dufumier), au bas d’une tribune clairement hostile aux OGM publiée dans Le Monde du 16 février 2008. Depuis, il multiplie ses apparitions publiques : il interviendra prochainement à la grand-messe du « lobby vert » organisée les 3 et 4 octobre 2008 par le pape de l’agriculture bio, Philippe Desbrosses (également membre de la FNH), aux côtés de quelques militants anti-OGM notoires comme MM. Belpomme, Veillerette, Séralini, Jacquard ou Le Goff.
Des comptes à régler
Plus encore que sa sympathie envers la cause écologiste, M. Le Maho semble avoir des comptes à régler avec les biologistes moléculaires. Selon lui, ces derniers bénéficient depuis l’époque du gaullisme de crédits quasi illimités, alors que l’écologie est une « discipline insuffisamment développée faute de moyens, [qui] apparaît pour beaucoup comme la défense des petites fleurs et des petits oiseaux.» « Grisés par leur approche dominante, [les biologistes moléculaires] portent un regard scientiste et condescendant sur la biodiversité », s’insurgeait-il dans Le Républicain Lorrain du 8 juin 2008, en marge d’un colloque sur la biodiversité organisé par le militant anti-OGM Jean-Marie Pelt. « Parce qu’on est par exemple biologiste moléculaire, on ne peut pas avoir forcément une bonne compréhension du fonctionnement d’un écosystème ou d’un agrosystème », y affirmait-il. Certes. Mais alors, peut-on être spécialiste de l’observation des manchots aux îles Crozet et avoir une bonne compréhension de la toxicologie ou de la génétique ? Hors sujet, rétorquera celui qui n’hésite pas à donner dans sa « réponse à Monsanto » son opinion sur l’ensemble des disciplines que couvre l’évaluation d’un OGM (toxicologie, génétique, épidémiologie, statistiques, agronomie, économie, etc.). « Il y a un certain nombre de scientifiques qui s’expriment devant le grand public – on en connaît un certain nombre –, qui en fait sont certainement compétents dans leur discipline mais qui croient probablement avoir l’expertise pour connaître tous les sujets dans tous les domaines», déplore-t-il, avant de conclure : « Il faudrait peut-être un petit peu d’humilité et plus de responsabilité » [[Entretiens de la biodiversité, Nancy, 8 juin 2008.]] . On ne saurait dire mieux !
Prudence avec les sources !
En matière d’évaluation scientifique, l’humilité et la responsabilité conduisent à une certaine prudence, qui engage à asseoir l’évaluation sur des études ayant au minimum été relues par des pairs. Or, dans son document, M. Le Maho utilise des travaux qui n’ont jamais été publiés dans des revues à comité de lecture. Pire, il va jusqu’à citer les résultats d’une note rédigée par un trio d’apiculteurs, militants anti-pesticides et proches de Philippe de Villiers ! Pour rendre ses propos plus crédibles, il mentionne que cette note a été présentée à la Chambre d’agriculture d’Agen et à l’atelier OGM Grenelle 2007, tout en omettant de signaler qu’elle a été commanditée par le Collectif Aquitaine Avenir sans OGM ! Les protocoles de ces travaux – réalisés sous contrôle d’un huissier mais pas sous celui d’un comité scientifique – sont d’ailleurs très approximatifs. Sur la base de trois échantillonsseulement, l’étude « démontre » que lorsqu’on fait butiner du maïs transgénique par des abeilles, celles-ci rapportent leur récolte à la ruche. Quelle découverte !
Comme « les autorisations se basent à l’heure actuelle sur des tests réalisés sur des seuls rats et sur seulement 90 jours, cette limitation dans l’investigation est loin de faire l’unanimité dans la communauté scientifique », poursuit M. Le Maho – dont les propos semblent étrangement lui avoir été soufflés par le militant anti-OGM Gilles-Eric Séralini.Toutes les instances scientifiques internationales estiment pourtant que ces tests sont suffisants, en tout cas en ce qui concerne ce type d’OGM. En outre, dans leur refus de la clause de sauvegarde sur l’OGM MON 810 déposée par la Grèce, les experts de l’Efsa ont bien fait savoir que ce problème « avait déjà été excessivement étudié par le Panel OGM et commenté dans un avis ».
Reprenant à son compte l’argumentation du CRII-GEN, l’association anti OGM de Corinne Lepage (chapeautée par le même Séralini), Yvon Le Maho affirme que les scientifiques n’auraient pas accès aux données originelles sur les tests toxicologiques. Faux ! Toutes ces données sont bel et bien fournies à l’ensemble des experts chargés d’évaluer un OGM et membres des autorités internationales, comme M. Le Maho est d’ailleurs censé le savoir, en tant que membre de la Haute autorité !
Au final, son texte s’apparente à un réquisitoire à charge contre les OGM en général, qui traite pêle-mêle des questions de dissémination, de résistance vis à-vis des ravageurs, d’effets sur la faune non-cible, sur la santé humaine, le tout mélangé à des considérations socio-économiques. Selon la définition que l’auteur en donne lui-même, il s’agit d’un document « d’amateur ».
N’a-t-il pas en effet indiqué que « la différence entre l’expert et l’amateur, c’est que normalement l’expert connaît les limites de son expertise alors que l’amateur ne les connaît pas » ? L’amateur, c’est par exemple celui qui écrit Capella au lieu de Chapella, qui ne différencie pas flux pollinique et flux génique, qui mentionne l’étude de Zwahlen (2003) pour justifier les effets du MON 810 sur les lombrics sans préciser qu’elle ne concerne pas le MON 810 mais une lignée de Syngenta dénommée N4640Bt, qui omet d’indiquer que cette même étude conclut en se demandant si « la différence de poids observée est due à la toxine Bt ou bien à d’autres facteurs débattus dans l’étude »…
A force d’en faire trop…
Difficile de penser qu’un tel document puisse justifier l’application de la clause de sauvegarde. Comme l’a encore rappelé le Panel OGM dans son avis du 3 juillet 2008, cette clause ne peut en effet être évoquée que si l’Etat-membre « apporte des données scientifiques pertinentes, nouvelles et d’une qualité telle qu’elles peuvent faire l’objet d’un examen scientifique détaillé ». Il faut donc qu’un événement particulier, mis en lumière par une nouvelle étude, apporte des éléments non évalués lors de l’autorisation de l’OGM spécifique. A contrario, une liste d’affirmations à la Prévert, motivée par des raisons politiques, n’est pas du ressort de l’Efsa, puisque la mission de l’agence européenne n’est pas de statuer sur la pertinence des OGM en général, mais sur ceux soumis à son avis, au cas par cas. A force d’en faire trop, l’expert français affaiblit son dossier aux yeux de l’Efsa. Ce qui explique sûrement pourquoi ni le Comité de préfiguration ni les autorités françaises n’ont souhaité s’associer au texte bien trop militant de M. Le Maho.
Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi Paris a soumis ce document, et de surcroît si tardivement. S’agissait-il de gagner du temps ? La France n’ayant fourni aucun document officiel – avant celui de M. Le Maho, dont la nature n’est pas claire –, son dossier ne pouvait être traité, comme l’a indiqué Ian Palombi, du bureau de presse de l’Elsa, à A&E. Ses représentants n’avaient donc aucune raison d’être présents à la réunion informelle organisée le 11 juin 2008 par l’Efsa au sujet du moratoire sur cet OGM. « La France n’a pas été invitée à cette réunion», a confirmé Olivier Prunaux. Selon le secrétariat du Panel OGM à Parme, le dossier français suit une procédure particulière, dont la prochaine étape – fixée d’un commun accord entre Parme et Paris – sera la réunion ad hoc du 9 octobre 2008 entre l’Efsa et une délégation constituée a priori de Pierre-Henri Gouyon, Jean-Luc Darlix, Marc Lavielle et Denis Bourguet. Ces éminents scientifiques sauront-ils convaincre les membres du Panel OGM de la pertinence du dossier français ? S’ils restent sur le « rapport Le Maho », rien n’est moinssûr…
Télécharger :
Le rapport LeMaho
La note des autorités françaises à l’AESA