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Peut-on diminuer l’usage des pesticides tout en maintenant un excédent commercial agricole ?

Dans sa thèse, le doctorant Romain Nandillon tente de répondre à la question de savoir si une réduction considérable de l’usage des pesticides reste compatible avec la rentabilité de la Ferme France. La réponse est cependant bien moins convaincante que ne le suggère une brève parue dans la presse agricole

Dans une brève en date du 14 janvier, Agrafil, le bulletin quotidien d’informations sur l’agriculture, rapporte qu’une thèse, soutenue le 27 novembre dernier par un jeune doctorant de l’Inrae, Romain Nandillon, suggère qu’« une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides à l’échelle de la France est compatible avec le maintien d’une balance commerciale agricole française excédentaire ». « Romain Nandillon tire cette conclusion à l’issue d’une étude de 1000 fermes commerciales du réseau Dephy », explique Agrafil. Toujours selon Agrafil, la thèse conclut que l’ensemble des systèmes de culture « pourraient atteindre un niveau moyen de réduction de l’utilisation des pesticides supérieur à la barre des 50 %, sans dégradation de la marge semi-nette moyenne ». Les performances économiques « seraient même conservées pour la majorité, voire substantiellement améliorées », grâce à différents leviers, dont la diversification des cultures, la réduction de la fertilisation, le « régime » de travail du sol, le désherbage mécanique et l’amélioration des processus décisionnels déclenchant les traitements (réduction des doses, arrêt des traitements inutiles).

Loin de l’objectif de 50 %

Or, une lecture approfondie de ce travail long de plus de 250 pages modère nettement ces affirmations. Car, en réalité, l’auteur y démontre plutôt l’inefficacité de l’injonction centralisée et très jacobine qui consiste à vouloir imposer une réduction globale de 50% de l’usage des pesticides.

Alors qu’il n’a étudié qu’un seul système de culture par exploitation agricole et retenu que les systèmes de culture des filières des grandes cultures et de la polyculture-élevage (ceux de la vigne, de l’arbo et des légumes n’étant pas pris en compte), le tout uniquement dans le cadre du réseau des fermes Dephy, il ne trouve parmi 913 systèmes de culture que 566 dans lesquels l’IFT (indice de fréquence de traitement) moyen sur trois ans (entre le point initial et le point final de l’étude) a été réduit. Et cette réduction moyenne d’IFT sur les grandes cultures, par exemple, n’est que de 18 %. On est donc très loin de l’objectif des 50%.

Romain Nandillon démontre plutôt l’inefficacité de l’injonction centralisée et très jacobine qui consiste à vouloir imposer une réduction globale de 50% de l’usage des pesticides

« Ces réductions varient beaucoup selon les cultures. Ainsi, si l’IFT blé dur est réduit de plus de 30%, celui sur maïs ne change pratiquement pas et sur betteraves, il augmente », décrypte André Fougeroux, président de l’association Végéphyl, la plate-forme d’échanges professionnels sur la santé des végétaux. Le spécialiste note que « dans son étude, la diversification des cultures est mentionnée comme le principal facteur possible de diminution de l’IFT. Or, beaucoup d’agriculteurs ont déjà des systèmes diversifiés, ce que l’auteur admet volontiers puisqu’il constate qu’au cours de ses travaux ”la proportion des cultures appartenant au groupe ‘autres’ a augmenté dans quasiment toutes les régions”».

Paradoxalement, cette évolution pourrait justement être la conséquence des difficultés à maintenir certaines cultures en raison du manque de solutions de protection. Le cas du colza dans l’est et le centre de la France en est une parfaite illustration. En outre, la diversification des cultures est d’autant moins une solution à généraliser qu’elle n’apporte pas toujours de réduction d’IFT. Par exemple, remplacer une monoculture de maïs, qui est une culture à faible IFT, en introduisant dans la rotation de nouvelles productions, entraîne inévitablement une augmentation de l’IFT. Et ce n’est pas tout. Alors que la thèse se donne comme objectif de répondre à la question de savoir s’il existe un antagonisme entre réduction de l’utilisation des pesticides et performances économiques, elle suggère qu’en grandes cultures, par exemple, cette réduction amène généralement (sauf en cultures industrielles) une réduction de productivité, et, dans cinq types de production sur huit, une réduction de rentabilité.

La diversification des cultures est d’autant moins une solution à généraliser qu’elle n’apporte pas toujours de réduction d’IFT

De manière plus générale, Romain Nandillon conclut que, pour les 66 % des exploitations qui ont diminué leur IFT, la moitié d’entre elles a vu sa rentabilité augmenter quand l’autre moitié a constaté une rentabilité à la baisse. De même, pour les 33% d’exploitations où l’IFT a augmenté, la moitié d’entre elles a connu une augmentation de la rentabilité, et l’autre a subi une baisse. « Autrement dit : cette étude montre qu’en baissant les IFT (66% des cas étudiés), il y a une chance sur deux de perdre en rentabilité et qu’en augmentant les IFT, on a également une chance sur deux d’augmenter sa rentabilité. On peut donc conclure à un match nul », commente André Fougeroux.

Un réseau de parcelles non représentatif

En outre, il est à noter que ces résultats sont obtenus dans le cadre d’un réseau de fermes qui bénéficient de l’accompagnement d’un ingénieur agronome (pour 10 à 15 fermes) et qu’il s’agit souvent de parcelles et non d’exploitations entières. Or, raisonner à la parcelle ne suit pas nécessairement la même logique que sur l’ensemble d’une exploitation. D’autant que, sur ces parcelles, les rendements des principales cultures ont diminué au fil du temps : une moyenne de 0,90 t/ha pour le maïs, 0,39 t/ha pour le blé tendre, 0,52 t/ha pour le colza, 0,48 t/ha pour l’orge, 0,31 t/ha pour le tournesol et 7,9 t/ha pour la betterave sucrière. Sachant que ces réductions, si elles se généralisaient, pourraient mettre en péril les outils de transformation (moulins, sucreries…), on peut se demander quelle est la pertinence d’une telle prise de risque pour une baisse moyenne de 18 % de l’IFT. Enfin, comme l’auteur admet qu’une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides n’a pas été atteinte dans les fermes Dephy, il semble difficile de prétendre qu’une telle réduction serait possible sans impact sur la rentabilité des exploitations ni sur la balance commerciale agricole.

En réalité, Romain Nandillon est contraint d’admettre qu’il n’existe pas de levier technique convaincant pour atteindre l’objectif de 50% de réduction de l’IFT

En tout cas, rien dans sa thèse ne le démontre, les hypothèses prises et les calculs effectués étant purement théoriques suivant des modèles mathématiques, et certains des résultats obtenus ont même curieuse- ment étonné l’auteur !

En réalité, comme Romain Nandillon est contraint d’admettre qu’il n’existe pas de levier technique convaincant pour atteindre l’objectif de 50% de réduction de l’IFT, il en est réduit à remettre en cause le « système agricole » en reprenant à son compte ce que d’autres ont affirmé. « Comme souligné par Jacquet et al., 2011, une réduction de 50 % de l’utilisation des pesticides en France aurait nécessité une reconception profonde de l’ensemble du système agricole français », note ainsi le jeune doctorant.

La conclusion s’impose avec évidence : non, il n’est pas possible aujourd’hui de diminuer l’usage des pesticides tout en maintenant un excédent commercial agricole!

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