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Pommes : le procès de l’arrêté du 12 septembre 2006

Accusés d’avoir enfreint l’arrêtédu 12 septembre 2006 en épandant des produits phytosanitaires dans leurs vergers par des vents supérieursà 19 km/h, Franck Besse, Clément Duviallard et Daniel Delagnes, trois pomiculteurs de Vigeois (Corrèze), ont comparu devant le tribunal correctionnel de Brive le 13 janvier 2011, dans une salle pleine à craquer. Les éléments à charge retenus à leur encontre sont très sérieux : deux d’entre eux auraient reconnu l’infraction lors de l’interrogatoire par les gendarmes– bien qu’ils se soient rétractés par la suite –, et un document de Météo France atteste la présence, au moment des faits – les 24 et 26 mars 2010 –, de vents mesurés entre 36 et 62 km/h à la station météo la plus proche.

« Une condamnation qui ait du sens »

Il n’en a pas fallu plus pour que le substitut du procureur de Brive, Éric Belfayol, demande « une condamnation qui [ait] du sens » afin de « se prémunir pour l’avenir ». « Les textes de loi sont clairs et les faits
également »
, a pour sa part martelé Me Stéphane Cottineau, l’avocat de
Cristina Sainte-Marie, une voisine à l’origine de la plainte, qui estime être « victime de nuisances agricoles depuis plus de dix ans ». C’est d’ailleurs à ce titre qu’elle a profité de la campagne « Victimes des pesticides » de l’association Générations Futures (ex-MDRGF) afin de prendre contact avec son patron, François Veillerette – d’ailleurs discrètement présent à l’audience. Ce dernier lui avait fourni toute l’aide juridique nécessaire, notamment son avocat. Espérant qu’une condamnation fera jurisprudence, le militant anti pesticides disposera, si c’est le cas, d’un atout essentiel pour lancer d’autres plaintes sur l’ensemble du territoire national. « Ce procès pourrait offrir l’opportunité de créer une jurisprudence favorable aux particuliers vivant à proximité de champs cultivés de manière intensive », a-t-il déclaré. François Veillerette estime que des milliers de personnes sont « potentiellement concernées par une telle situation ». En effet ! Les multiples campagnes contre les pesticides ont créé en France un tel climat anxiogène que les riverains prêts à porter plainte ne feraient sûrement pas défaut ! « Plutôt que de cultiver des Golden, les arboriculteurs n’ont qu’à choisir des pommes qui exigent moins de traitements, comme ça ils auront moins de problèmes », a déclaré le patron de GF à A&E, avouant par là que l’objectif réel de cette action n’est pas de régler un problème de voisinage, mais bien d’obtenir une modification en profondeur des pratiques agricoles. Dorénavant, l’arme judiciaire fait partie de l’arsenal que le militant compte utiliser. Tout comme France Nature Environnement (FNE), également partie civile, qui ne cache pas ses motivations réelles. « La culture intensive de pommes Golden en Limousin passe par plus de 50 traitements par saison. C’est le principe de cette culture intensive polluante que nous dénonçons en nous constituant à nouveau partie civile », a indiqué FNE dans un communiqué de presse publié le jour même du procès. L’association écologiste annonce d’ores et déjà la prochaine étape : « rétablir la vérité sur l’AOC Pommes du Limousin, qui ne labellise que les Golden intensives traitées aux pesticides ».

Une affaire évidente ?

Dans une affaire qui, considérée superficiellement, pourrait d’emblée paraître acquise à la partie civile, les magistrats du tribunal de Brive devront bien mesurer la portée de leur décision, qui est attendue pour le 10 mars 2011. Ils devront déterminer si le procureur ou l’avocat de l’accusation ont bel et bien apporté la preuve matérielle du délit ; à savoir si, au moment des traitements, la vitesse du vent était bien supérieure à 19 km/h dans les vergers. En apparence, la réponse à cette question est positive, puisque la pièce sur laquelle repose l’acte d’accusation est un certificat d’intempérie de Météo France qui indique des mesures de vents bien supérieures à 20 km/h. D’ailleurs, hormi s quelques digressions sur le rôle toxique des pesticides, l’essentiel de la plaidoirie de Me Cot t pineau s’est basé sur cette affirmation. « On ne va pas nous expliquer que le vent s’arrête à la parcelle, comme un certain nuage de Tchernobyl », a pour sa part ironisé le procureur Éric Belfayol, qui s’appuie sur le certificat d’intempérie obtenu suite à une réquisition judiciaire.

« Un temps doux avec des vents modérés »

Or, qu’indique exactement le document ? Pour la commune de Vigeois, lieu des parcelles mises en cause, l’auteur de la note de Météo France relève en date du 24 mars « un temps doux avec un ciel peu nuageux, et des vents de sud et sud-est modérés avec des rafales ». « Au cours de la nuit du 25 au 26 mars, le temps se dégrade avec un abondant passage pluvieux, mais des vents faibles », ajoute-t-il. Pour la journée du 26 mars, il mentionne « des averses en matinée et des éclaircies l’après-midi, avec des vents modérés avec rafales ». Interrogé par A&E sur la signification exacte de « vents modérés », l’auteur du certificat précise qu’il s’agit de vents soufflant « de 14 à 29 km/h ». Rien à voir avec les vitesses beaucoup plus élevées relevées 14 kilomètres plus loin ! « C’est normal », explique le spécialiste de Météo France, « on m’a demandé de fournir les vitesses instantanées des vents. C’està- dire la vitesse des rafales. Ce sont donc des vitesses maximales. Si la vitesse moyenne des vents avait été celle indiquée par les relevés, je n’aurais pas écrit “vents modérés” mais “vents forts ou violents” ».

La lecture attentive du document est éclairante. Aucune indication de vitesse du vent pour la commune de Vigeois n’y figure ! Les données inscrites sont celles de la station météo la plus proche, située à 14 kilomètres. Or, cette station, qui est dégagée de tout obstacle, est installée à 420 m d’altitude, sur un autre plateau que celui abritant les deux parcelles – les deux plateaux étant de surcroît séparés par une vallée. De plus, toute la région est composée de bois et de parcelles, chacune étant séparée des autres par diverses haies, notamment autour des vergers. « Les vitesses maximales de vents indiquées par un relevé d’intempérie sur une station météo ne suffisent pas pour déterminer la vitesse moyenne d’un vent, même à 14 kilomètres. Il faut tout d’abord connaître la situation météorologique : la masse d’air est-elle stable ou instable ? Dans ce dernier cas, la variation du vent d’un point à un autre peut être importante. En effet, il faut prendre en considération que nous prenons nos mesures dans des endroits dégagés, avec du matériel posé à 10 mètres d’altitude », a expliqué à A&E Frédéric Nathan, prévisionniste à Météo France. « Sans une véritable expertise, comme nous savons d’ailleurs parfaitement les réaliser, il est très difficile d’affirmer ou d’infirmer que la vitesse des vents était inférieure ou supérieure à 20 km/h dans cette parcelle », déclare-t-il. Certes, le certificat d’intempérie est très bien fourni en données concernant la station météo de l’Escurotte. Certes, il comporte une description plus élaborée pour la commune de Vigeois. Mais aucune donnée chiffrée relative aux vents soufflant sur les parcelles n’y figure.

« Un certificat d’intempérie n’est pas une expertise », souligne le responsable local de Météo France, qui se garde bien d’avancer une vitesse quelconque pour la parcelle. « Si j’avais été interrogé par le juge, je lui aurais répondu ne pas pouvoir me prononcer sans au préalable avoir été sur les lieux pour prendre en considération les conditions exactes de la parcelle. Surtout lorsqu’il y a des rafales, car non seulement les rafales durent quelques secondes, mais il peut y avoir une rafale à un endroit et rien dix mètres plus loin ». Voilà un expert bien moins affirmatif que ne le sont le procureur et l’avocat de M. Veillerette ! « Si les mesures de Météo France ne sont pas des éléments suffisants de preuve, alors rien ne permet de vérifier le respect de l’arrêté du 12 septembre 2006 », déplore François Veillerette. Il a entièrement raison ! L’arrêté a bel et bien été mis en place sans réflexion préalable sur les moyens de vérifier son respect…

Un arrêté inapplicable

Reste « l’aveu » des pomiculteurs. À la question des gendarmes qui souhaitaient savoir si, pour sauver leur récolte, ils seraient prêts à enfreindre l’arrêté du 12 septembre 2006, deux d’entre eux ont répondu par l’affirmative. Mais là encore, rien n’est simple. Cet arrêté pose en effet de très sérieux problèmes à la profession – qui le conteste d’ailleurs ouvertement. Comme en témoignent les conclusions des essais sur vergers présentées le 29 septembre 2008 à des parlementaires réunis à Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), son application à la lettre entraîne de considérables dégâts, quand ce n’est pas la perte de la production entière. Charles Benedetti, l’arboriculteur qui a prêté son verger lors des essais, avait alors expliqué aux responsables politiques que « la réglementation découlant de l’arrêté du 12 septembre 2006, limitant notamment les traitements en fonction de la vitesse du vent, enraye complètement les protocoles de lutte contre les parasites ».

Dès la publication de ces résultats, qui confirmaient les constatations déjà établies en 2007 par l’observatoire conjointement mis en place par la profession et le ministère de l’Agriculture, les arboriculteurs avaient demandé un moratoire « jusqu’à la révision de l’arrêté du 12 septembre 2006 ». Alors que le ministère de l’Agriculture disposait de tous les éléments prouvant l’inapplicabilité de la réglementation, cette demande n’a jamais été suivie d’effet. En outre, la France s’est une fois de plus montrée plus royaliste que le roi, puisqu’aucun pays limitrophe n’a imposé de telles contraintes à ses producteurs ! Lorsque Daniel Delagnes et Franck Besse ont déclaré aux gendarmes qu’il existait des cas où l’on « passe outre la législation en vigueur », ils ne faisaient que relayer ce que tout le monde dit dans la profession : il est impossible de suivre l’arrêté à la lettre. Seule la Coordination rurale est officiellement venue au secours des trois arboriculteurs, rappelant à l’issue du procès « avoir toujours démontré l’iniquité et l’inapplicabilité de l’arrêté du 12 septembre 2006, [qui] rend impossible le travail des arboriculteurs, ce qui a été prouvé par un essai sous contrôle d’huissier. » Peut-on déduire des propos tenus par deux des accusés que le vent était nécessairement supérieur à 20 km/h dans les vergers de Vigeois, les après-midi des 24 et 26 mars 2010 ? Leurs déclarations ne suggèrent-elles pas tout simplement qu’à une occasion ou une autre, ils auraient, effectivement, enfreint l’arrêté ? Quoi qu’il en soit, la loi ne permet pas de condamner un automobiliste qui roule à 90 km/h sur une autoroute, au motif qu’une autre fois il aurait dépassé les limites autorisées…

L’absence du seul témoin

Enfin, aucun média n’a relevé la grande absence à l’audience d’un témoin pourtant capital. En effet, selon la déposition de Clément Duviallard, un gendarme avait fait le déplacement suite à un appel téléphonique de Cristina Sainte-Marie, le 26 mars dans l’après-midi, alors qu’il traitait ses vergers. « Si j’ai poursuivi mes traitements, c’est bien parce que nous avons constaté qu’il n’y avait pas de vent car le feuillage ne frémissait pas. Sans quoi j’aurais arrêté », a expliqué Clément Duviallard. Ce déplacement de la gendarmerie a nécessairement fait l’objet d’un « compte rendu de fin de mission », comme après toute patrouille. À défaut de pouvoir entendre à l’audience le gendarme, fonctionnaire public, ce rapport aurait dû être produit. En effet, il est le seul document qui aurait pu apporter une évaluation indépendante de l’état exact du vent sur la parcelle ! Le procureur a-t-il voulu éviter une pièce qui aurait mis à mal sa stratégie, et par conséquent attesté une fois encore de l’impossibilité de vérifier le respect de l’arrêté avec les seules mesures de Météo France ?

Au final, ce procès n’est pas celui de trois arboriculteurs, mais bien de l’arrêté du 12 septembre 2006, qui a été établi sans considération de la réalité du terrain. Quelle que soit son issue, elle sera cruciale. Car si les magistrats donnent raison à la partie civile, ils ouvriront la porte à la multiplication des plaintes de riverains sur l’ensemble du territoire national, exposant les pouvoirs publics à d’interminables procédures en justice, qui finiront par déstabiliser en priorité les petits arboriculteurs, dont les exploitations sont proches des zones urbaines. En revanche, s’ils rendent un non-lieu, ils confirmeront qu’il n’est pas possible de vérifier le respect de l’arrêté, dont
les termes sont trop imprécis.

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