Que cache la médiatique controverse de l’ours ?
Médiateur de justice et des conflits organisationnels, David Chétrit livre une passionnante analyse de la réintroduction ratée de l’ours dans les Pyrénées, dans son ouvrage La réintroduction de l’ours, l’histoire d’une manipulation [[La réintroduction de l’ours, l’histoire d’une manipulation, David Chétrit, Éditions Privat, avril 2012.]].
Les causes d’un déclin
C’est la première fois qu’un auteur décrypte les enjeux de ce conflit qui exacerbe les Pyrénées depuis quatre décennies. David Chétrit
révèle ainsi comment quelques associations environnementalistes ont fabriqué de toutes pièces le concept d’ « espèce en danger » pour caractériser l’ours dit des Pyrénées. « L’ours brun est en réalité une espèce représentée actuellement en Europe par près de 50 000 individus, et dans le monde par près de 250000 spécimens», rappelle l’auteur. Ce qui explique qu’il ne figure pas dans le classement international de la liste rouge des espèces en voie d’extinction de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). En revanche, l’ours brun a bel et bien subi une régression initiée il y a près de dix mille ans, avec une accélération à partir du Moyen Âge. «En France, l’ours brun a disparu au cours des cinq siècles derniers… de la région parisienne, de l’arrière-pays marseillais, des campagnes lyonnaises, du piémont toulousain, de l’arrière-pays niçois, du pays nantais, des plaines stras- bourgeoises et du plat pays lillois», explique David Chétrit. Et s’il a subsisté en montagne, c’est parce qu’il a été épargné d’une éradication systématique par les peuples montagnards. En clair, les montagnes pyrénéennes ne constituent pas son habitat naturel, mais tout simplement son dernier refuge géographique, qui lui a permis jusqu’à récemment de se maintenir en vie sur le territoire national. Les ours bruns ne sont donc pas plus spécifiquement « chez eux» dans les Pyrénées que sur les Champs-Élysées…
Des pro et des anti
À partir de ce constat, l’auteur montre comment les montagnards ont été injustement désignés comme responsables du déclin de l’ours. Le comportement répressif univoque de l’homme pyrénéen vis-à-vis de l’ours est la cause principale de sa disparition, assènent les participants au grand colloque co-organisé par l’Université de Pau et le Fonds d’intervention écopastoral (FIEP) en mai 1976. Le clivage entre les gentils «pro-ours» et les méchants «anti-ours» prend forme, permettant une simplification à outrance du débat. «Ceux qui s’attachent fal- lacieusement eux-mêmes à s’auto- qualifier de ”pro-ours” ont installé, entretenu et largement bénéficié d’un débat qu’ils ont opportunément main- tenu à hauteur des pâquerettes en le résumant à un simple et commode antagonisme entre “pro“ éclairés et obscurs ”anti”», conclut l’auteur. Tout au long de son ouvrage, David Chétrit s’interroge sur l’instrumentalisation de l’opinion publique par l’usage répété d’informations volontairement tronquées, de contrevérités copieusement médiatisées et d’interprétations erronées. Une stratégie qui fonctionne d’autant mieux que la désignation d’un coupable permet de ne pas assumer la responsabilité collective de la société concernant le déclin de l’ours!
L’opinion publique trompée
En levant le voile sur ces innombrables manipulations, David Chétrit rend un immense service à la cause de la démocratie. En effet, c’est en connaissance de cause que le citoyen doit pouvoir se prononcer. Or, «la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées, bien habillée dans sa belle tenue du dimanche, ne répond en réalité à aucun des objectifs qu’elle prétend remplir, et se fonde depuis quarante ans sur l’agonie planifiée d’une minorité sociale fustigée, isolée et laissée pour compte, sous couvert d’une opinion publique trompée et fabriquée de toute pièce», s’insurge l’auteur, qui conclut: «Les réintroductions furent tantôt le moyen de masquer les plus graves blessures que l’on puisse infliger à la nature, et tantôt le moyen de les commettre».
Sans conteste, La réintroduction de l’ours, l’histoire d’une manipulation est un livre à lire et à faire lire.