Le 17 décembre, Générations Futures a publié un nouveau rapport « sur la fréquence et la dangerosité des résidus détectés en 2022 » dans l’alimentation non bio consommée en France. Libération, Le Figaro, RTL, CNews, L’Humanité, Marie Claire et beaucoup d’autres médias ont repris mot pour mot les conclusions anxiogènes de l’association antipesticides, en titrant sur la « dangerosité inquiétante » de ces résidus. Décryptage d’un exemple classique de fabrique de la peur
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C’est devenu un véritable marronnier ! Environ deux fois l’an, Générations Futures (GF) ressort son traditionnel dossier sur les résidus de pesticides dans l’alimentation. Sans rien de très original ni sur la forme ni sur le fond. Sur la forme, cela fait plus de trente ans que l’association américaine Environmental Working Group (EWG) a initié ce genre de campagnes aux États-Unis, en publiant notamment chaque année la liste des douze fruits et légumes qui contiennent le plus de résidus de pesticides. EWG a en effet constaté depuis belle lurette que, lorsqu’elle distillait des messages alarmistes liant pesticides et santé humaine, les médias se précipitaient pour relayer ces informations inquiétantes. Et la formule valable outreAtlantique s’est également vérifiée en France.
Ainsi, en 2001, GF s’est inspirée de la réussite d’EWG pour effectuer un premier test sur cette méthode de propagande antipesticides. Usant d’une dialectique devenue aujourd’hui familière, GF dénonçait alors le fait que « la moitié des fruits, légumes et céréales consommés en France présentent des résidus de pesticides » et demandait « que soient retirés au plus vite du marché “ces pesticides particulièrement dangereux” ». Et sans surprise, le succès était déjà au rendez-vous : « Dans le calme médiatique de ce mois d’août, l’info fit l’effet d’une petite bombe ! », s’est félicitée GF, reconnaissant que les renforts de la presse « ont permis d’accroître la notoriété de notre mouvement ». Forte de cette réussite, GF a poursuivi cette stratégie de communication fondée sur un seul et unique ressort.
Affoler sur le danger
Le piège tendu par GF, dans lequel tombent de nombreux médias, est simple et se résume en ces quelques mots : entretenir la confusion entre risque et danger.
Alors que l’association assure que son dossier « ne prétend pas évaluer les risques éventuellement posés par ces résidus », et qu’elle n’affirme nulle part que les niveaux de ces résidus « vont forcément déclencher des pathologies », elle met en revanche systématiquement l’accent sur le caractère « dangereux » de ces substances.
Or, si le danger est une cause possible de dommage, le risque est, quant à lui, la probabilité qu’il y ait un dommage en fonction de l’exposition à ce danger. Par exemple, si la noix de muscade contient naturellement des substances toxiques, donc dangereuses, elle ne présente toutefois, aux doses auxquelles on y est exposé dans les plats cuisinés, aucun risque pour celui qui l’ingère.
Sans jamais prendre en compte ces nuances, GF insiste invariablement sur le terme « danger » (ou « dangereux »), mentionné à vingt-quatre reprises dans son dernier rapport. Et pour éviter de traiter la question des risques, l’association a trouvé une astuce toute simple : ne jamais mentionner les quantités infimes de résidus trouvés dans les aliments.
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En revanche, elle met toujours en avant le nombre de résidus détectés, en précisant que « 62 % présentent au moins 1 résidu de pesticide détecté (pour information 54 % présentent au moins 1 résidu de pesticide quantifié) ». Or, qu’il s’agisse de ces résidus « quantifiés », à savoir des quantités infinitésimales – de l’ordre de millionièmes ou milliardièmes de gramme –, ou ceux simplement « détectés », et dont la présence est si faible qu’on n’arrive même pas à les quantifier avec les méthodes les plus sophistiquées d’analyse, le risque pour le consommateur est toujours nul ! D’autant plus que les données publiées concernent des analyses faites sur des fruits et légumes entiers non épluchés. Ainsi, pour un certain nombre d’aliments, comme les citrons verts, les mandarines, les noix, les melons ou les potirons, ces analyses ne reflètent pas une exposition « alimentaire » à ces résidus, mais une présence dans des parties qui iront à la poubelle.
Manger bio !
Se pose ensuite la question des conflits d’intérêts, qui n’est malheureusement presque jamais abordée dans les médias. Or, les liens consubstantiels entre GF et le lobby de l’agriculture bio ont largement été documentés. Il est de notoriété publique que Maria Pelletier, la présidente de GF, est également administratrice du Synabio, le syndicat national des entreprises bio agroalimentaires, tandis que nombre d’entreprises sponsors de GF sont par ailleurs aussi membres du Synabio, comme Biocoop, Léa Nature, Ekibio ou encore Ecotone.
On ne peut que s’étonner de la crédulité et de la légèreté dont font preuve certains médias qui, sans procéder à la moindre analyse critique du dossier de GF, en diffusent les conclusions
C’est ce qui explique que les dossiers anxiogènes de GF aboutissent toujours aux mêmes conclusions : pour parer les dangers de l’alimentation, l’association propose de manger… bio ! « Il faut donc que le nouveau gouvernement mette en place des mesures de soutien fortes à la consommation d’aliments bio (et notamment en restauration collective) », indique GF dans ce dernier document. Un refrain repris à l’unisson par les médias, qui auraient été bien mieux inspirés de regarder les conclusions, autrement plus sérieuses, des agences sanitaires en charge de la sécurité alimentaire. Car, comme le rappelle sur X Denis Beauchamp, responsable céréales d’une coopérative de l’Allier, les chiffres sur les résidus ne sont pas du tout un scoop, puisqu’ils sont publiés chaque année par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), et en accès libre. Avec un nombre d’échantillons bien plus grand – 110 829 contre 1996 dans le rapport de GF –, l’Efsa fait état de 98,4 % d’entre eux présentant des traces de pesticides conformes au cadre réglementaire. Et 59 % sont même en dessous des niveaux quantifiables. Comme le résume Denis Beauchamp, « on a trouvé des traces de pesticides, mais à des concentrations tellement faibles qu’elles ne présentent absolument aucun risque pour la santé ».
L’Efsa arrivait déjà à cette conclusion, avec une évaluation probabiliste des risques chroniques, dans son rapport de 2022 : « Il est confirmé que, sur la base des enquêtes utilisées et de leur taille, la probabilité estimée de dépasser la dose journalière admissible (DJA) est de 0 % pour 197 des 199 substances actives. Pour les deux substances restantes, la probabilité estimée pour les consommateurs de dépasser la DJA est comprise entre 0 et 0,15 % (soit 15 individus sur 10 000). Toutefois, ces estimations sont basées sur la consommation élevée de jus d’orange concentré d’un consommateur extrême dans le cadre d’une enquête, et ne sont donc pas représentatives de l’ensemble des consommateurs de l’UE.»
Et l’Anses formulait les mêmes conclusions dans son Étude de l’alimentation totale française de 2011, qui visait à évaluer les risques liés à l’exposition par voie alimentaire aux produits phytosanitaires de la population française. Dans ce rapport, l’agence écartait tout risque pour 244 substances, ne signalant une alerte que pour un seul pesticide, le diméthoate, interdit depuis plusieurs années en France.
Bref, on ne peut que s’étonner de la crédulité et de la légèreté dont font preuve certains médias qui, sans procéder à la moindre analyse critique du dossier de GF, en diffusent les conclusions.