« Il y a un nombre d’incohérences dans les chiffres, de déclarations non vérifiables et de déductions hâtives que je trouve hallucinant. » déclare Christian Marescaux dans un entretien aux Dernières Nouvelles d’Alsace
Professeur en neurologie aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Christian Marescaux critique ouvertement la récente étude sur les effets cancérigènes des OGM sur des rats (DNA du 20/9), de son mode opératoire à son interprétation.
En quoi vous sentez-vous concerné par le sujet ?
Ancien responsable d’une unité de recherche Inserm, aujourd’hui à la tête d’un service hospitalier neurovasculaire, je suis très en demande d’éléments scientifiques sur les interactions entre alimentation, environnement et accidents vasculaires. Le premier point frappant, en examinant l’étude dans le détail, c’est qu’elle est illisible en tant que telle. Je m’attendais à voir des résultats très clairs et très caractéristiques. Pas du tout. Les schémas de mortalité notamment sont incompréhensibles. Les données sont présentées par exemple en nombre d’animaux par groupe décédés avant l’âge moyen de décès chez le groupe contrôle. Personne n’utilise de tels paramètres. En plus, toutes les études ont été faites en comparaison avec un seul et unique groupe témoin. C’est peu…
Avez-vous été surpris de certains résultats ?
Le plus étonnant, c’est qu’en y regardant de près, le groupe contrôle de mâles (non traité) affiche une mortalité plus élevée que ceux ayant pris des OGM, et une mortalité plus élevée que ceux ayant eu des herbicides. À 700 jours, 90 % des rats mâles non traités sont morts, mais seulement 50 % de ceux ayant eu la dose maximale de maïs OGM et seulement 50 % de ceux ayant absorbé des doses très élevées d’herbicide. Donc, plus ils sont traités, moins ils meurent ?
Ne serait-ce pas un effet de la taille des groupes ?
Les auteurs admettent que si l’étude avait ciblé les tumeurs, il aurait fallu au minimum 50 rats par groupe. Mais au prétexte qu’on n’était pas censé s’attendre à un effet cancérigène (or, tout le papier dit le contraire), les groupes par sexe ont été réduits à chaque fois à dix rats. C’est un chiffre ridicule qui ouvre la voie au hasard pur.
Les dosages sont-ils en cause ?
Pour l’herbicide, on va d’une dose homéopathique à une dose 45 millions de fois plus forte ! Or, la dose la plus faible s’avère la plus toxique chez les mâles et l’effet délétère s’atténue en augmentant les concentrations ! C’est du jamais vu en toxicité : plus vous absorbez un toxique, moins vous mourez ! Je trouve même fascinant qu’en deux ans il n’y ait pas eu plus de décès parmi les rats buvant de telles doses d’herbicides, même si on nous dit que les animaux finissent bourrés de pathologies et qu’il s’agit de survivants malades…
N’est-ce pas pour autant un travail révélateur ?
L’étude ne démontre rien. Il n’y a aucune démonstration, aucune affirmation n’a été validée par un test statistique. J’ai fait faire les calculs statistiques, aucun résultat n’est pertinent. Du coup, les présentations des données sont opaques. Elles recourent à des modes de figuration que les auteurs n’utilisent pas dans d’autres études plus conformes aux standards habituellement utilisés. J’ai consulté d’autres collègues qui m’ont confirmé que des analyses dites multivariées ne se présentent jamais de la manière utilisée ici.
« Encore une fois, il n’est pas possible d’en tirer des conclusions significatives.»
Du coup, vous évoquez des incohérences entre le propos et les chiffres ?
Quand on dit que des animaux traités meurent deux à trois fois plus que des non traités et plus rapidement, ce qui est contredit par les résultats montrant que les mâles traités meurent moins que les mâles non traités. Sur les tumeurs elles-mêmes, les auteurs prétendent que toutes les études sur cette souche de rats aboutissent à des taux de tumeurs bien inférieurs à ce qui a été observé sur les animaux traités ici. Mais les taux de cancers spontanés sur cette variété varient entre 70 et 95 % selon le sexe des rats et les études ! Comment dès lors aboutir à des conclusions d’effets cancérigènes sur des groupes de taille aussi réduite ? Une recherche sur internet montre que 427 publications scientifiques évoquent les tumeurs spontanées sur cette souche de rats. C’est la variété la plus sensible aux tumeurs et c’est connu depuis les années 60.
Sont-elles de la taille montrée sur les photos ?
Ah, les photos ! Les sites vétérinaires regorgent de photos de tumeurs comme celles dévoilées par cette étude. Au fait, pourquoi avoir laissé se développer des tumeurs aussi grandes : tout chercheur se demandera dans quel but, si ce n’est à des fins d’impact sur l’opinion. Je croyais que les règles applicables à l’expérimentation animale enjoignaient de ne pas faire souffrir inutilement… Et pourquoi n’a-t-on pas montré la taille des tumeurs sur les rats-contrôle, non traités ?
La taille est une chose, la gravité une autre, non ?
Parlons-en. Les tumeurs décrites ne sont pas de grade, ou si vous préférez de gravité, élevés. Ce sont surtout des adénomes ou des fibroadénomes qui ont posé problème en raison de leur taille, moins en raison de leur sévérité. Les tumeurs métastasées ont touché un nombre de rats ridiculement bas. Encore une fois, il n’est pas possible d’en tirer des conclusions significatives. Il aurait fallu pour cela un nombre beaucoup plus important d’animaux ! Il n’y a là aucune étude statistique sur le développement des tumeurs, ni sur la mortalité. Sur quels critères d’ailleurs, lorsque l’on voit que des animaux ont été euthanasiés pour « prostration »… Je pense que c’est pourquoi la très sérieuse revue The Lancet a décidé de réétudier les données.
Pensez-vous que cela remette en cause la validité même de l’étude ?
Il y a un nombre d’incohérences dans les chiffres, de déclarations non vérifiables et de déductions hâtives que je trouve hallucinant. Tout est illogique, jusque dans la façon dont les animaux sont nourris, avec un accès libre à la nourriture et à l’eau. Or, la façon de diminuer les cancers chez ce rat, c’est de le mettre à la diète. Chez un animal qui développe des tumeurs en fonction de l’alimentation, le taux en lui-même de maïs, qu’il soit transgénique ou pas, peut influer !
En quoi ce travail sert-il ou dessert-il les OGM ?
D’abord, je pense qu’une telle étude va bloquer durablement les recherches sur le sujet en Europe. Elle décrédibilise d’avance tous les travaux à visées écologistes pour longtemps. D’ailleurs Monsanto n’a pas à y répondre et ne le fera sans doute pas. La firme a tout intérêt à laisser les auteurs s’enferrer dans leur démonstration. Je suis d’autant plus amer que je vois poindre d’avance les critiques sur la recherche française, qui a produit une telle étude…
Cet entretien est paru dans Dernières Nouvelles d’Alsace
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