Faut-il définitivement abandonner l’épandage aérien ? Cette question, qui semble tranchée, mérite néanmoins quelques observations. Décryptage d’une technique contestée.
Cette année, le feuilleton estival a porté sur l’épineuse question des traitements aériens, autorisés exceptionnellement par dérogation, comme le prévoit le Grenelle de l’environnement. Les premières salves ont été lancées par le député socialiste de Haute-Garonne Gérard Bapt, porte-parole officieux de Générations Futures, de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf), de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) et d’Agir pour l’environnement. Selon ces quatre associations, les dérogations accordées aux agriculteurs se seraient multipliées à un point tel que «l’exception devient la règle».
Puis l’artillerie lourde a été sortie par les différents responsables d’EELV. «C’est un coup de Napalm sur la biodiversité », a renchéri Gérard Onesta, vice-président EELV du conseil régional de Midi-Pyrénées. Pour son collègue José Bové, ces dérogations sont « inacceptables», car les épandages ont un effet très négatif. «Ils ne se limitent pas à la parcelle traitée », explique l’eurodéputé écologiste, qui mentionne pêle-mêle les conséquences pour la biodiversité, pour les cultures bio potentiellement touchées, mais aussi les risques directs pour la santé humaine. Même discours alarmiste de la part de Générations Futures, qui affirme sans apporter le début d’une preuve que « ce mode d’application présente des risques sanitaires réels pour les riverains. Les produits susceptibles d’être utilisés comportent des matières actives cancérigènes, des perturbateurs endocriniens ou des substances entraînant un risque d’effets néfastes pour le développement prénatal de l’enfant. Et dans la majorité des cas, la distance de sécurité de 50 m n’est pas de nature à rendre ces risques acceptables. »
Le ministre se positionne
Dès le 23 juillet, Stéphane Le Foll a donc été forcé de se positionner. «L’objectif, c’est de ne plus avoir recours à l’épandage [aérien] du tout. […] Les dérogations, il y en a de moins en moins. Mais moi, je veux à terme qu’il n’y en ait plus du tout», a déclaré le tout nouveau ministre de l’Agriculture.
Il est vrai que cette pratique n’a pas vraiment bonne presse. Surtout depuis le fameux film d’Alfred Hitchcock La mort aux trousses, où l’on voit Cary Grant poursuivi par un avion larguant des produits chimiques sur un champ de maïs… Aujourd’hui, les accusations sont si lourdes que ceux qui osent encore défendre en public l’épandage aérien se font plutôt rares…
Peut-on pour autant se passer de ces traitements, comme l’affirment les ONG écologistes ? Ce n’est pas la conclusion de la mission diligentée conjointement par le ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche et par le ministère de l’Écologie. Confiée le 15 mai 2009 à Yves-Marie Allain et Gilbert Grivault, elle a réalisé des entretiens avec non moins de 70 représentants des filières concernées, ainsi qu’avec quelques représentants de la société civile, notamment Jean-Claude Bévillard, secrétaire national de France Nature Environnement (FNE).
Or, ses conclusions sont sans ambiguité: il est «prématuré d’interdire la possibilité du recours à l’aéronef », et ceci, «compte-tenu des cultures et des techniques agronomiques employées, des matériels terrestres disponibles et des bio-agresseurs concernés ». La mission confirme ainsi ce qu’avait anticipé le Grenelle de l’environnement, à savoir qu’il est nécessaire d’autoriser le traitement aérien en dernier recours. Pour ses responsables, « une interdiction totale n’aurait de sens que si, parallèlement, des dispositions étaient prévues pour éviter la substitution des traitements aériens par des pulvérisations pouvant présenter plus de risques pour la santé humaine et l’environnement ». Ce qui est loin d’être le cas.
Une pratique efficace
Quoi qu’en disent les associations antipesticides, les interventions par aéronef peuvent effectivement présenter des avantages significatifs par rapport aux alternatives proposées. Ceux-ci sont parfaitement résumés dans le rapport de la mission, qui rappelle notamment que la rapidité d’intervention sur des surfaces importantes constitue un de leurs atouts majeurs.
« En moyenne, pendant le même temps, un avion est en mesure de traiter deux fois plus de superficie qu’un hélicoptère, dix à vingt fois plus qu’un tracteur, et cinquante à cent fois plus qu’un appareil à dos », souligne le rapport. Or, les périodes optimales de traitement sont parfois très courtes, avec une efficacité réduite si le traitement n’est pas réalisé au bon moment. Par conséquent, l’alternative aux épandages aériens peut se résumer à des traitements renouvelés, de surcroît avec des produits ayant un profil écotoxicologique moins favorable. «C’est le cas, par exemple, des traitements contre la pyrale du maïs, le mildiou de la vigne, la cercosporiose jaune de la banane ou du désherbage du riz en prélevée», indiquent les auteurs.
Un traitement vital pour la banane
La situation des plantations de bananes de Guadeloupe et de Martinique est probablement la plus sensible vis-à-vis du traitement aérien. Comme l’indique Sébastien Zanoletti, directeur Innovation et développement durable à l’Union des groupements de planteurs de banane, « l’apparition récente de la cercosporiose noire, plus virulente que sa variante jaune, ne nous laisse aucun répit. Un arrêt brutal du traitement aérien conduirait à une disparition de la bananeraie en quelques mois. » Les avions et les hélicoptères présentent en effet l’avantage de pouvoir traiter les zones très escarpées et surtout de traiter suffisamment rapidement la bananeraie pour éviter toute flambée irréversible de la maladie.
Dans un territoire fortement urbanisé, les planteurs de banane ont mis en place un contrôle du traitement par GPS sur les aéronefs afin de garantir le respect des zones interdites de traitement aérien du fait de la présence de cours d’eaux et d’habitations. Ce strict respect de la réglementation a permis d’éliminer les plaintes, mais il ne règle pas le problème d’une population particulièrement sensible au sujet: aux Antilles, les plantations sont visibles depuis les zones urbaines et sont traitées en moyenne huit fois par an.
Comme l’indique Sébastien Zanoletti, « les planteurs travaillent activement à des solutions alternatives, notamment les traitements terrestres et les variétés résistantes, mais elles ne sont pas prêtes aujourd’hui ». Les canons sont l’une des pistes explorées. Cependant, ils nécessitent aujourd’hui d’augmenter les doses à l’hectare, et ils n’ont pas d’engins porteurs adaptés à la topographie locale.
Grenello-compatible ?
Le rapport de la mission souligne par ailleurs l’importance d’une intervention coordonnée et collective dans la lutte contre la propagation d’un organisme nuisible. Ceci est d’autant plus vrai lorsque le vignoble est morcelé, avec des structures atomisées. Ainsi, en Champagne, plus de la moitié des vignerons exploitent moins d’un hectare et n’ont pas de matériel adapté, n’étant pas viticulteurs à plein temps. Dans ce cas, les traitements aériens sont donc particulièrement adéquats. Ils permettent une meilleure synchronisation des interventions sur les foyers, alors que l’utilisation de moyens terrestres difficiles à coordonner constitue une prise de risques. « Il est plus aisé de réussir ces luttes avec quelques aéronefs qu’avec une multitude de machines terrestres», notent les auteurs.
Contrairement aux propos de certains militants non spécialistes de ces questions – comme Gérard Onesta, qui dénonce l’usage de « produits de grande toxicité » –, les traitements aériens, réalisés par des entreprises professionnelles spécialisées, sont plutôt grenello-compatibles! Ainsi, la qualité de la pulvérisation entraîne jusqu’à 30 % de réduction des doses de matière active épandues par rapport aux applications terrestres. Une donnée non négligeable au regard des exigences de diminution des doses de pesticides formulées par le Grenelle! En outre, cette pratique permet de protéger les vignerons, notamment ceux qui utilisent des chenillards, sortes de motoculteurs sur chenilles portant un pulvérisateur. Comme le note la mission, l’exemple de la Champagne est particulièrement intéressant: «Dans les coteaux s’est développée depuis plusieurs années l’utilisation de petits chenillards conduits manuellement par une personne qui marche derrière sa machine; les utilisateurs de ces machines sont particulièrement exposés au brouillard de pulvérisation ainsi qu’aux risques d’accidents ». Aujourd’hui, une mission de l’inspection du travail de la Marne étudie les effets articulaires causés par les vibrations de ce type d’appareils en cas d’utilisation répétée.
Enfin, en termes de bilan carbone, la comparaison entre les traitements aériens et les applications terrestres mériterait une étude sérieuse. Selon la filière maïs, à surfaces traitées égales, l’emploi de l’hélicoptère permet de réduire de près de deux-tiers les émissions de CO2 par rapport à l’enjambeur, seule alternative utilisable lorsque le maïs dépasse une certaine hauteur. Des chiffres qui restent toutefois à confirmer.
En revanche, contrairement aux affirmations répétées des pourfendeurs de l’épandage aérien, de nombreux rapports démontrent que la dérive du produit constatée en traitements aériens est proche, voire inférieure, à celle enregistrée lors de traitements par voie terrestre. « Les méthodes utilisées ont largement évolué ces dernières années. On est très loin des images d’Épinal encore présentes dans certains esprits », rappelle Cédric Poeydomenge, responsable du dossier pour l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). En effet, sur maïs, les traitements sont de haute précision. Ils se font en « vol rasant », c’est-à-dire à une hauteur d’1 mètre environ au-dessus des cultures, avec des volumes de bouillie qui peuvent aller de 4 à 5 l/ha (en fonction des produits utilisés), la moitié étant constituée d’une huile permettant d’alourdir le mélange et de réduire l’évaporation.
Des enjeux économiques non négligeables
Le rapport de la mission note également le problème socio-économique soulevé par le passage au « tout terrestre », sous réserve qu’il soit techniquement possible. Ce qui n’est pas toujours le cas.
« En l’état actuel des choix de cultures, il engendrerait des surcoûts pour la profession agricole (investissements dans de nouvelles machines, dégâts causés par le passage de celles-ci), et pourrait fragiliser fortement des filières dans une conjoncture déjà très concurrentielle avec les autres pays producteurs », indiquent les auteurs. « La survie économique de la filière riz est ainsi étroitement dépendante de la possibilité de recourir aux aéronefs, en l’absence d’alternatives viables. Ceci est d’autant plus crucial en Guyane que l’avion permet également les semis et la fertilisation des rizières», ajoutent-ils.
Pour le maïs doux, la filière estime ce surcoût à 30%, sachant qu’il serait nécessaire de doubler le parc actuel d’enjambeurs. Pour le maïs grain, la solution est à portée de main: il suffit de lever l’absurde moratoire sur le maïs MON 810, parfaitement résistant à la pyrale… Comme le note avec une certaine ironie Nicolas Jaquet, responsable de la Coordination rurale, la position radicale de certains écologistes face à l’épandage pourrait constituer « une aubaine pour les lobbies partisans des organismes génétiquements modifiés (OGM)». Il n’a pas tort…
Un risque pour la santé ?
Reste le problème sanitaire. Pour François Veillerette, le patron de Générations Futures, la « dangerosité des substances actives » des sept pesticides autorisés serait telle qu’une interdiction s’imposerait.
«Risque pour la faune et la flore», « classées comme cancérigènes possibles par l’Agence de protection de l’environnement des USA (US-EPA) », « produits contenant des molécules reconnues comme perturbateurs endocriniens »… bref, à en croire François Veillerette, les produits utilisés seraient particulièrement dangereux. Or, aucune de ces molécules n’a été classée au niveau de l’Union européenne comme cancérogène, mutagène ou tératogène. Elles sont non seulement toutes autorisées en traitement terrestre, mais elles ont fait l’objet d’une évaluation spécifique des risques, réalisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pour leur usage en traitement aérien. Le militant antipes- ticides serait-il plus compétent que le comité des experts qui a donné son aval à ces traitements ? Ou bien a-t-il trouvé un nouvel angle pour sa campagne contre les pesticides en général? François Veillerette et ses amis élus d’EELV omettent en outre de préciser que sur les 4000 hectares de maïs traités cette année par hélicoptère, la moitié l’a été par trichogramme, un agent de lutte utilisé en agriculture biologique…