À l’occasion d’un déplacement dans son département, la Sarthe, Stéphane Le Foll a dévoilé les grandes lignes de son nouveau Plan apiculture. Un plan qu’il a qualifié «d’ambitieux». «Nous devons être capables d’assurer notre propre consommation de miel», a déclaré le ministre de l’Agriculture. La France, qui consomme 40 000 tonnes de miel par an, n’en produit en effet que 18000.
C’est pourquoi Stéphane Le Foll a décidé de faire de la France «l’un des grands pays apicoles de l’Union européenne». Preuve de sa détermination, il a promis une enveloppe de 40 millions d’euros, étalés sur les trois prochaines années.
«Ce plan propose des objectifs pragmatiques et raisonnables qui peuvent être atteints dans un délai de trois ans», estime François Gerster, le nouveau monsieur Abeille du ministre. Or, arriver à structurer une filière connue pour son anarchie et ses luttes intestines infernales dans un tel laps de temps relève du miracle !
Alors que 60% de la production de miel reposent sur moins de 1700 apiculteurs professionnels, la filière dispose de non moins de quatre syndicats (UNAF, SNA, SFM et SPMF) et de trois sections apicoles (celles de la Confédération paysanne, de la Coordination rurale et de la FNSEA), qui ne cessent de se livrer des guerres fratricides. S’y ajoutent trois fédérations professionnelles, une fédération des organisations sanitaires et un institut technique. Chacune de ces structures ayant ses propres revendications, son propre agenda et sa propre philosophie –souvent à l’opposé de celle des autres–, la filière miel n’a jamais été en mesure de proposer aux pouvoirs publics un projet apicole qui réponde aux spécificités françaises. Au contraire, toute initiative a été immédiatement bloquée par un subtil jeu de forces à sommes nulles. «Les différends récurrents entre ces diverses familles d’apiculteurs sont légion et ont gêné une action coordonnée de développement de lafilière»,reconnaît François Gerster.
Une liste à la Prévert
Afin de ne pas trop bousculer ces nombreuses structures, François Gerster a recensé de manière exhaustive les problèmes liés à l’apiculture en faisant attention à n’oublier aucune des revendications sectorielles. Résultat : non moins de 17 axes de travail ont été définis, dont la recherche, les produits de l’élevage, l’organisation de la production, l’installation, la santé des abeilles, la formation, la biodiversité et la pollinisation par les colonies d’abeilles. Bref, tout y figure, mais sans aucune cohérence ni hiérarchisation. Le volet sanitaire nage ainsi dans des généralités ou des banalités, tandis que l’organisation économique de la filière repose sur des sables mouvants. Une liste à la Prévert n’a jamais constitué un projet économique…
Ceci est d’autant plus dommage que les indicateurs économiques et sanitaires du secteur apicole sont particulièrement imprécis. Le nombre exact des apiculteurs reste un mystère, tout comme celui des ruches. Pourtant, depuis le 1er janvier 2010, la déclaration des ruchers a été rendue obligatoire. Mais cette nouvelle réglementation «n’a pas eu d’effet immédiat, singulièrement chez beaucoup d’apiculteurs amateurs», admet François Gerster. La télé-déclaration annuelle constituerait «une procédure complexe», que les apiculteurs ne maîtriseraient pas, peut-on lire dans le Plan. Bigre !
De fait, l’apiculture reste le seul secteur agricole où règne un tel laxisme. Personne ne connaît avec certitude le nombre d’apiculteurs, et encore moins celui des ruches, dont la géolocalisation s’avère aussi diffi- cile que celle des chèvres en Corse…
Inutile de préciser que la traçabilité du miel –dont le commerce est assuré pour moitié par des amateurs– est totalement inexistante, ce qui ouvre la porte à tout et n’importe quoi. Notamment à la vente de miel frelaté chinois.
Une différence de trois cent mille ruches !
Ainsi, les données économiques de base de l’apiculture se succèdent et ne se ressemblent pas. Lors des journées ouvertes du SPMF en janvier 2013, François Gerster a annoncé que la France comptait 75 000 apiculteurs (dont 70000 amateurs), alors que l’audit réalisé par FranceAgriMer avance le chiffre de 45000 !
Même discordance pour le nombre de ruches. Selon l’organisme public, il en existerait 1 million, alors que M.Gerster en recense 1,3 million. Ce qui fait tout de même une différence de 300 000 ruches ! Même le nombre de ruches gérées par les apiculteurs professionnels –qui devraient faire l’objet d’un suivi sanitaire– diffère selon les sources: environ 1 million pour M.Gerster, contre 780000 pour FranceAgriMer. Aucune autre branche professionnelle ne fait état de tels écarts dans des documents émanant de différentes sources officielles !
Enfin, impossible de retrouver dans le Plan apiculture les chutes de 40% du nombre d’apiculteurs et de 20% du nombre de ruches annoncées par FranceAgriMer. Au contraire, François Gerster note pour la période 2005 à 2012 «une stabilisation du nombre de ruches à un million chez les professionnels» et –un comble !– une augmentation de 50% chez les amateurs (300 000 en 2012, contre 200000 en 2005). À croire le monsieur Abeille du ministère, le nombre officiel de ruches n’aurait pas varié d’un iota depuis trente ans. En effet, on dénombrait déjà 1,3 million de ruches en 1984 !
Comment peut-on prétendre bâtir un projet économique sérieux alors que tous les indicateurs de base sont aussi flous ? D’autant plus que cette inébranlable stabilité du nombre de ruches fait très mauvais ménage avec le discours catastrophiste sur le déclin des abeilles… À partir de ces chiffres, comment peut-on affirmer que «la filière se porte mal» ? Que des millions d’abeilles sont exterminées par les produits phytosanitaires ? Que la pollinisation est en danger ? En revanche, en maintenant le nombre de ruches à 1,3 million, la France s’assure le niveau d’aide qu’elle reçoit de l’Union européenne au titre de l’apiculture. Le montant remboursé par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) à chaque pays n’est-il pas précisément déterminé… en fonction du nombre de ruches déclarées par chaque État-membre ?
Décryptage des 40 millions
Or, restriction budgétaire oblige, le ministère peut difficilement se passer de la manne de l’Union européenne. Surtout lorsqu’il s’agit de débloquer une somme aussi considérable que les 40 millions d’euros annoncés en grande pompe par le ministre. Là non plus, aucun média n’a soulevé le lièvre. Car cette somme promise par Stéphane Le Foll provient pour sa totalité des différents montants déjà alloués à l’apiculture. À savoir 8,5 millions du Programme apicole européen (cofinancé à moitié par Bruxelles), 3,5 millions attribués au titre de mesures agroenvironnementales et 2 millions relatifs au programme de suivi des ruchers. Soit un total de 14 millions par an et 42 millions sur 3 ans !
C’est donc sur la base de faux chiffres et sans financement supplé- mentaire que M. Gerster devra mettre en œuvre les 115 actions du « projet ambitieux » du ministre. Rendez-vous pour un bilan dans trois ans…