Contrairement à ce que suggèrent çà et là certaines réactions, en validant plus de trois quarts des articles de la loi d’orientation agricole, le Conseil constitutionnel apporte une légitimité aux nouvelles perspectives de l’agriculture française votées par le Parlement
Le 20 mars, le Conseil constitutionnel a rendu public son avis concernant la loi d’orientation agricole (LOA), estimant que 18 de ses 58 articles étaient non conformes à la Constitution, dont 7 pour des motifs de fond et 11 de procédure. Cette censure a immédiatement été saluée par la nébuleuse écolo-décroissante comme « une victoire partielle ». Ainsi, pour Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), cette décision est « rassurante », tandis que pour Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement, le Conseil constitutionnel s’est montré « très sévère » pour l’exécutif.
Le groupe LFI, quant à lui, s’est empressé de proclamer une « victoire pour la santé, le vivant et l’agriculture familiale », non sans souligner qu’« il reste malheureusement de graves dispositions au sein de ce texte ». Même constat de la part des écologistes : « Nous n’allons pas bouder notre plaisir, mais nous n’allons pas non plus crier à la victoire. Ce n’est pas parce qu’il y a eu censure que l’on tient le bon cap », commente le sénateur écologiste d’Ille-et-Vilaine Daniel Salmon.

recevez notre newsletter pour ne pas manquer nos infos, analyses et décryptages
À l’inverse, la Coordination rurale fustige les conclusions du Conseil constitutionnel, affirmant que ce dernier aurait « déclaré la guerre aux agriculteurs ». La présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floc’h, s’est dite « atterrée, mais pas surprise » par cette censure. « La constitutionnalisation du respect de l’environnement en 2005 a ouvert une boîte de Pandore aux conséquences terribles pour les agriculteurs », cingle la présidente, estimant que ce jour marque « un jeudi noir pour l’agriculture française, un pas de plus vers l’agricide ».
Au total, 44 articles, dont de nombreuses mesures opérationnelles vont en effet entrer en vigueur dans les jours prochains —ce qui correspond à plus de 75% du texte adopté par le parlement
Une opinion que ne partage cependant pas le sénateur LR de la Haute-Loire Laurent Duplomb, qui a largement œuvré avec ses collègues du Sénat pour amender le texte initial : « À l’annonce de la décision du Conseil constitutionnel, j’ai d’abord été inquiet au regard du si grand nombre de dispositions retoquées », confie-t-il à A&E. « Mais une lecture plus attentive m’a soulagé, car, en réalité, le travail effectué par le Sénat a été très largement préservé, notamment tout ce qui va impacter le quotidien de nos agriculteurs et qui est resté dans le texte », analyse-t-il. Et il a raison. Au total, 44 articles, dont de nombreuses mesures opérationnelles, vont en effet entrer en vigueur dans les jours prochains – ce qui correspond à plus de 75 % du texte adopté par le Parlement, après avoir été considérablement enrichi lors de la navette parlementaire.
Inverser la logique de la décroissance
Un parcours attentif du texte confirme que, quoi qu’en pensent les représentants de la nébuleuse écologiste décroissante, les parlementaires ont réellement renversé la table. Notamment en supprimant du texte initial toutes les références au terme d’« agroécologie ». « Le Conseil constitutionnel n’a rien pu y faire, car, comme il ne disposait que d’une gomme, et pas d’un crayon, il lui était donc impossible de revenir sur ce que nous avions déjà supprimé », s’amuse Laurent Duplomb, en soulignant que ce texte « représente la première étape pour inverser la logique de la décroissance et arrêter d’opposer environnement et agriculture ».
Même constat de la part de Vincent Louault, sénateur Horizons d’Indre-et-Loire : « Les censures du Conseil constitutionnel ne sont pas de nature à remettre en cause la philosophie et le nouveau cadre global que nous avons pu apporter dans ce texte. »
De fait, la longue liste des articles retoqués met surtout en évidence la portée limitée du texte initial, présenté par l’ancien ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, qui était bien loin d’une loi d’orientation agricole digne de ce nom. Il était donc tout à fait prévisible que, parmi le nombre important d’articles proposés par le Parlement afin de donner au texte davantage de chair, certains soient considérés comme des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire des articles sans lien direct ou indirect avec le texte d’origine. « Cependant, l’exclusion de ces articles montre aussi la volonté du Conseil constitutionnel de restituer l’unité de la loi autour de l’essentiel, à savoir la souveraineté alimentaire mais aussi le renouvellement des générations en agriculture », souligne pour sa part la juriste Carole Hernandez-Zakine.
Même constat de la part de Vincent Louault, sénateur Horizons d’Indre-et-Loire : « Les censures du Conseil constitutionnel ne sont pas de nature à remettre en cause la philosophie et le nouveau cadre global que nous avons pu apporter dans ce texte »
« Malgré les articles jugés non conformes, l’essentiel du texte, avec ses 40 articles, forme désormais une LOA, qui pose de nouvelles règles du jeu en matière de souveraineté alimentaire, de formation et d’innovation et d’installation. Ainsi, il modifie le droit rural pour considérer l’agriculture dans sa dimension économique, sans, bien entendu, oublier les transitions climatiques et environnementales », poursuit-elle.
Trois exemples significatifs
Trois exemples concrets soulignent ce changement radical, apporté par le Sénat et validé par le Conseil constitutionnel. Ils découlent naturellement de la reconnaissance de la protection et du développement de l’agriculture et de la pêche comme étant d’intérêt général majeur en raison de leur contribution à la souveraineté alimentaire. Ils constituent un intérêt fondamental de la Nation en tant qu’éléments essentiels de son potentiel économique. L’article 1er du Code rural est modifié en conséquence, tout comme le Code pénal.
Il s’agit tout d’abord de la modification de l’article L.1 14°, afin d’inscrire le maintien d’un haut niveau de protection des cultures. Dans sa nouvelle version, l’article insiste sur le fait que la diminution de l’usage des produits phytopharmaceutiques implique de trouver des solutions « économiquement viables, techniquement efficaces et compatibles avec le développement durable », et que, faute d’avoir de telles solutions, le législateur doit « s’abstenir d’interdire les usages de produits phytopharmaceutiques autorisés par l’Union européenne ». Ce concept, que le monde agricole a exprimé avec ses mots en scandant la formule « pas d’interdiction sans solution », est bel et bien conforme à la Constitution.
« Cette modification donnera aux juristes des moyens supplémentaires pour casser toutes interdictions de produits imposées par l’Anses, comme encore récemment celle du Pledge, car une telle décision sera désormais contraire à la loi », précise l’avocat Sylvain Pelletreau
« Le Conseil constitutionnel précise que le législateur a seulement entendu fixer comme objectif à la politique en faveur de la souveraineté alimentaire que les autorités nationales compétentes n’interdisent pas l’utilisation de substances approuvées au niveau européen », note Carole Hernandez-Zakine. Et l’avocat en droit de l’environnement Sylvain Pelletreau de préciser : « Cette modification donnera aux juristes des moyens supplémentaires pour casser toutes interdictions de produits imposées par l’Anses, comme encore récemment celle du Pledge, car une telle décision sera désormais contraire à la loi. »
— lire aussi : Quand les contentieux dictent leur loi
Le second exemple concerne l’eau. En validant l’article 45, le Conseil constitutionnel confirme que la modification de la nomenclature relative aux retenues collinaires – consistant à soumettre certains petits ouvrages à une déclaration administrative plutôt qu’à une demande d’autorisation, qui est plus contraignante –, ne s’oppose pas au principe de non-régression environnementale, défini au 9° du paragraphe II de l’article L.110-1 du Code de l’environnement. Cela devrait ainsi faciliter la création de certains ouvrages de retenues collinaires.
Enfin, l’article 1er instaure le principe des « conférences de la souveraineté alimentaire » qui définiront « une stratégie assortie notamment d’objectifs de production, à horizon dix ans, en vue de l’amélioration de la souveraineté alimentaire de la Nation ou, tout du moins, d’assurer sa non-régression ». Autrement dit, il permet de fixer, filière par filière, des objectifs de production, et par voie de conséquence, de définir et soutenir les mesures nécessaires pour y arriver. Ce qui, en réalité, correspond implicitement à l’inscription du principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire », qui, lui, a été recalé « pour méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs ». « En effet, comment voulez-vous défendre une activité d’intérêt général si vous amoindrissez son socle, à savoir la production agricole ? », interroge la juriste, et elle ajoute : « Le point essentiel à retenir, c’est qu’en ne considérant pas que l’article 1er de la LOA serait contraire à l’article 1er de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel considère que l’intérêt général de l’agriculture – donc l’activité agricole en tant que telle – ne va pas à l’encontre du droit de vivre dans un environnement protégé. »
« Bien que l’article 1er des lois agricoles est traditionnellement un article dit introductif et qu’il n’a pas de portée juridique au sens normatif du terme, il détermine néanmoins le contenu de la LOA, et permet de guider les décisions et les politiques publiques à venir, notamment à travers les futurs textes législatifs et réglementaires qui apporteront une portée juridique à ces objectifs programmatoires », souligne encore Carole Hernandez-Zakine, qui conclut : « Cette LOA est donc un pied dans la porte pour permettre de construire d’autres politiques publiques, d’autres textes, mais aussi d’autres jurisprudences. » Enfin, il faut signaler l’importance majeure de l’article 58, qui autorise désormais le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, « les mesures relevant du domaine de la loi visant à assurer la cohérence des textes avec les dispositions de la présente loi et à abroger les dispositions devenues sans objet ». C’est-à-dire à procéder à un nettoyage radical des textes et lois qui ne sont pas utiles à l’objectif de la souveraineté alimentaire.
Bref, bien qu’indispensable, la nouvelle version de la LOA ne donnera sa pleine mesure que si elle est suivie d’autres initiatives parlementaires.