Le principe d’une éco-taxe prélevée sur les 800 000 poids lourds de plus de 3,5 tonnes qui sillonneront les 15 000 km du périmètre concerné est un excellent exemple de «très mauvaise bonne idée». Votée à l’unanimité en 2009 lors de la Loi Grenelle –aucun député n’ayant alors eu l’audace de s’y opposer –, cette éco-taxe était censée entrer en vigueur en 2011. Maintes fois reportée pour diverses raisons, elle n’est toujours pas appliquée. Ce devrait être chose faite à compter du 1er janvier 2014.
Qui pourrait contester les nobles objectifs de cette taxe, qui consistent officiellement à réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises et à financer de nouvelles infrastructures nécessaires à la politique de développement intermodal des transports ? Le hic, c’est que cette «usine à gaz à la française», bien différente de ce qui se pratique en Allemagne ou en Suisse, provoquera l’effet inverse, c’est-à-dire une augmentation de l’émission de CO2, un déplacement du transport vers des routes secondaires moins bien équipées ou vers les autoroutes non soumises à la taxe et, au final, très peu d’argent pour les grands projets d’infrastructure, que de toute manière l’État refuse de financer, priorité ayant été donnée à l’entretien et à la rénovation du réseau ferroviaire et routier existants. Comble du ridicule, son coût de collecte est exorbitant : 230 millions d’euros par an pour 1,2 milliard de collecte, soit 20 % du total ! Un chiffre à comparer au 1,6 % de coût de la collecte des impôts. Plus absurde encore, cette rente ira dans les caisses d’une entreprise… italienne, Autostrade per l’Italia, la société mère d’Ecomouv’.
Une hausse de 4 à 6%
Si certaines entreprises n’auront aucune difficulté à répercuter le coût de ce nouvel impôt punitif sur le produit final –et donc sur les consommateurs–, tel n’est pas le cas pour nombre de secteurs, notamment l’agriculture. En effet, la grande distribution est claire : elle refuse catégoriquement de payer plus cher sa marchandise à ses fournisseurs du monde rural. La taxe sera donc prise en charge en amont par la production.
«Les coopératives consultées évaluent globalement entre 4 et 6% la hausse de leurs coûts de transport basés sur un barème de majoration 2013 avec de fortes disparités d’impact en fonction des régions», indique Emmanuel Ramfel, en charge des dossiers Supply Chain de Coop de France. Ainsi, une coopérative de la filière Bétail et Viande située en région Bretagne précise qu’elle réalise 6 à 7 flux de chaînes logistiques différents (trajet collecte, trajet transformation, trajet usine, trajet stockage, etc.). L’éco-taxe sera donc facturée 6 à 7 fois sur l’ensemble de ces trajets. Pour comparaison, des tourteaux de soja importés d’Amérique du Sud ne seront taxés au maximum qu’une seule fois : du port au client final !
«Imaginée pour favoriser les circuits courts et réduire l’empreinte carbone, cette taxe absurde va en réalité handicaper l’économie régionale et favoriser les importations», martèle Philippe Mangin, président de Coop de France. Il n’a pas tort. Alors qu’un transporteur espagnol de fruits et légumes pourra traverser la France afin d’effectuer sa livraison à Lille sans payer aucune taxe poids-lourds –s’il se sert du réseau autoroutier concédé–, les acteurs territoriaux lillois engagés dans une démarche locale seront obligés de majorer leurs coûts de transport de 6,7 %.
De multiples effets pervers
Au ministère, on rétorque que les acteurs «seront incités à préférer un mode de transport plus durable» et que «le réseau local qui sera soumis à l’éco-taxe poids lourds représente seulement 5000 km, soit 1,3% du réseau local départemental et 0,5 % du réseau local total […]. L’éco- taxe ne remet donc pas en cause le modèle de distribution locale.» Pas si sûr ! «Des communes craignant de voir se reporter sur leurs petites routes gratuites le trafic des nationales payantes s’empressent déjà de prendre des arrêtés interdisant la circulation des poids lourds. Or, les entreprises locales qui empruntaient ces routes vont devoir rallonger leur parcours, et donc leur émission de CO2», rétorque Rachel Blumel, directrice du département Chaîne alimentaire durable de Coop de France. Cette taxe ne fera donc pas diminuer le trafic. En outre, certains transporteurs pourraient privilégier des circuits plus longs sur des routes non imposées et garder les recettes de l’éco-taxe. En effet, celle-ci est refacturée sous la forme d’une majoration de la prestation de transport, même si le réseau emprunté n’est pas soumis à cette taxe poids-lourds.
Autre effet pervers : «Pour nos produits, qui présentent une très faible valeur ajoutée au kilo, l’impact de cette taxe sera très sensible. À tel point que certains acteurs, qui disposent de véhicules en compte propre sans possibilité de répercuter le coût de la taxe sur leurs clients, ont déjà décidé de la contourner. Certains grossistes investissent dans des camions de moins de 3,5 tonnes pour les livraisons finales, quand les producteurs vont investir dans des tracteurs agricoles pour les opérations de ramasse. Il risque donc d’y avoir davantage de trafic, avec des véhicules plus petits mais plus nombreux ou plus lents et plus polluants», avertit Josselin Saint-Raymond, chargé des relations filières de l’Association nationale pommes-poires. L’éco-taxe illustre donc parfaitement le non-sens économique et environnemental que représente l’écologie punitive. Si nous souhaitions réellement diminuer l’empreinte carbone de nos sociétés, nous pourrions utiliser des méthodes beaucoup plus raisonnables pour y parvenir !