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Gérald Bronner / Réenchanter le risque : une proposition audacieuse

La planète des hommes, réenchanter le risque, Gérald Bronner, Puf, septembre 2014

Spécialiste des phénomènes de cognitions sociales, le sociologue Gérald Bronner s’intéresse aux mécanismes qui conduisent les individus à endosser les croyances les plus extrêmes. Son dernier ouvrage, La Planète des hommes , est ainsi consacré à l’heuristique de la peur, une expression employée par le philosophe allemand Hans Jonas, « l’un des penseurs les plus influents de l’époque contemporaine », qui affirme que « la peur est la solution au problème posé par l’horizon technologique ».

L’auteur nous plonge tout d’abord dans une lecture passionnante des origines du concept de l’apocalypse, narration de la fin des temps partagée par l’essentiel des grandes croyances du monde, de l’hindouisme aux trois monothéismes, en passant par le zoroastrisme. « La plupart des récits apocalyptiques narrent une fin des temps bienfaitrice. Ce moment permettra, selon les croyances, de purifier un monde conçu comme globalement perverti. Le récit proposé est celui d’une apocalypse heureuse : l’histoire humaine se termine bien », analyse le sociologue.

Or, depuis les années 1950, marquées par le risque d’un conflit nucléaire entre les deux grandes puissances de l’Est et de l’Ouest, la version du récit de l’apocalypse s’est radicalement transformée : désormais, l’espèce humaine laissera derrière elle un champ de ruines. Vient ensuite ce que Bronner baptise « l’apocalypse écologique », l’homme étant décrit dans ces représentations comme étant responsable de sa propre chute.

Un deuxième élément est alors introduit : la fin du monde ne résulte plus d’un manque de responsabilité sociale (comme c’est le cas dans le récit biblique), mais d’une dérive technologique. Les deux versions de l’adaptation cinématographique du roman La Planète des singes témoignent de ce renversement de dogme. Sortie en 1972 dans le quatrième volet de la saga, la première explique comment les hommes, qui ont choisi les singes comme animaux de compagnie, ont été progressivement dépassés par leurs esclaves révoltés. « Il s’agit là d’un conte social, qui cherche à décrire le soulèvement d’un peuple contre ses oppresseurs », explique Bronner. Le dernier opus de la série, sorti en 2011, narre la survenue de cette apocalypse simiesque de manière bien différente : l’homme y est décrit comme un apprenti sorcier qui provoque sa propre chute en laissant se développer un virus qu’il a lui-même créé, tandis que des singes intellectuellement supérieurs survivent, cachés dans la forêt.

Principe de précaution contre riposte technologique

L’écologie politique n’a donc pas inventé l’heuristique de la peur. En revanche, elle a largement vulgarisé l’idée du rôle néfaste du développement technologique. D’où l’impérieuse nécessité de soumettre la technologie au règne du principe de précaution, dont Hans Jonas est le père intellectuel.

Or, Gérard Bronner renverse magistralement l’argument du philosophe allemand, qu’il prend même à son propre piège ! « Jonas considère que l’humanité, parce qu’elle est une espèce vivante, a une valeur inestimable et doit être préservée fermement des dangers qui pourraient la menacer », écrit le sociologue. « Jonas insiste en particulier sur la nécessité de renoncer à toute technologie qui comporterait des risques apocalyptiques », ajoute-t- il. Sauf que la science étant caractérisée par une incertitude intrinsèque, le théorème de Jonas implique de facto une abstention générale. « Face aux propositions du progrès, il nous conduit à dire : ”I would prefer not” », explique Bronner.

« Ce qui est fascinant, c’est que Hans Jonas ne paraît pas avoir pris au sérieux son principe responsabilité ; du moins s’est-il interrompu dans son raisonnement trop tôt », poursuit le sociologue, qui rappelle que « l’apocalypse n’est pas seulement posssible, elle est certaine » ! En effet, elle est inscrite dans le temps, puisque d’ici 1 à 2 milliards d’années, toute vie sur terre ne sera plus possible en raison de l’évolution du Soleil. « Si l’on excepte l’hypothèse d’un sauvetage par une aide providentielle, le respect de l’impératif moral de sauver l’espèce ne peut être évidemment que technologique », écrit Gérald Bronner. À l’injonction de Jonas « prends garde à ce que ton action ne prenne pas le risque de l’extinction de la vie sur Terre », il répond donc : « prends garde à ce que ton action ET ton inaction ne prennent le risque de l’extinction de la vie sur Terre » ! D’où son concept de « riposte technologique », seul capable d’éviter l’apocalypse solaire.

D’autres menaces plus imminentes existent (un astéroïde qui toucherait la Terre, l’évolution d’un nouveau virus, etc.), qui rendent la riposte technologique indispensable, alors même que l’écologie politique et son courant de penseurs technophobes veulent nous en priver.

Pour terminer, le sociologue se fait un plaisir d’écraser ce qu’il nomme « l’argument patrimonial », qui consiste à vouloir limiter nos actions en raison du besoin des générations futures. Celles-ci pourraient avoir besoin des matières premières rares, comme le pétrole que nous consommons, nous dicte l’écologie politique. « Les générations précédentes ont certes largement puisé dans les réserves, mais elles nous lèguent aussi un monde à la technologie améliorée », lui répond Bronner. C’est-à-dire « une arborescence technologique plus développée », dont nous tirons collectivement d’innombrables avantages. D’où sa conclusion sans appel : « En évitant l’indésirable, on s’abandonne au pire ». Bref, un livre plein de bon sens, qui mérite d’être lu et diffusé.

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