Entretien avec Gurjeet Singh Mann :
Propriétaire d’une exploitation agricole d’environ 35 ha située dans le village de Patti Kirpal (Haryana), au nord de l’Inde, Gurjeet Singh Mann cultive principalement du blé, du coton et du riz basmati. Dans son pays, il est l’un des mis au point par la société Monsanto. Rencontré lors de la remise du Prix Borlaug 2014 à Des Moines (Iowa), l’agriculteur explique les raisons de son choix à A&E.
Quelle est la situation des biotechnologies végétales en Inde ?
Gurjeet Singh Mann : Pour l’instant, il n’existe qu’une seule variété d’OGM autorisée à la culture en Inde. Il s’agit d’un coton Bt qui produit un insecticide permettant de lutter contre le ver de la capsule. Mise au point par la société Monsanto, cette variété a été autorisée en 2003, et elle a littéralement permis de sauver la production indienne de coton ! En effet, au début des années 2000, notre production de coton représentait à peine 10 % de ce que nous récoltions dans les années 1970 et 1980. Nous ne disposions alors que de quelques insecticides pour protéger nos cultures. Mais au fil des années, ces produits sont devenus inefficaces. Afin de sauver nos productions, nous avons tout essayé. Y compris, dans certains cas, des produits qui n’étaient pas autorisés. Ce fut un désastre !
Mise au point par la société Monsanto, cette variété a été autorisée en 2003, et elle a littéralement permis de sauver la production indienne de coton !
Bien entendu, nous avons aussi tenté les méthodes alternatives qui nous ont été recommandées, comme les techniques de lutte intégrée (IPM Technique), ou la lutte biologique, qui consiste à utiliser des insectes auxiliaires censés manger les œufs des coléoptères. Malheureusement, là aussi, ce fut un échec. Or, dans de nombreuses régions de l’Inde, l’eau n’est pas suffisamment abondante pour cultiver du riz ou autre chose que du coton. Beaucoup de paysans n’avaient donc pas d’autre choix que de continuer à produire du coton. Pendant environ sept à huit années, à partir des années 1990, cultiver du coton était aussi périlleux que jouer à la roulette russe ! Et la situation financière des paysans n’a fait que s’aggraver. C’est à cette époque que l’on a assisté à une explosion des suicides d’agriculteurs indiens. Selon les données officielles, on serait passé de 13 600 suicides en 1997 à 18000 en 2002, le pic ayant été atteint en 2004. Heureusement, le nombre de suicides a considérablement diminué depuis. Il serait inférieur à celui enregistré avant 1997. Toutefois, cela reste encore un vrai problème dans certaines régions.
C’est donc dans ce contexte qu’est arrivé le coton Bt. Et c’est bien entendu ce qui explique son énorme succès. Aujourd’hui, 95% du coton cultivé en Inde est transgénique. Quelle que soit la surface de leur propriété, ou la région dans laquelle ils résident, l’immense majorité, voire la quasi-totalité des paysans indiens cultivent donc du coton transgénique. Cela représente un nombre considérable ! D’une part, l’introduction du coton Bt a permis aux paysans de préserver leur culture et donc d’échapper à la misère, et d’autre part, l’Inde est ainsi redevenue l’un des principaux pays producteurs de coton.
Il faut également ajouter que l’usage d’insecticides en Inde, comme d’ailleurs dans de nombreux pays, exige beaucoup de travail manuel très pénible. Et nous n’avons pas le genre de protection sanitaire, en termes d’équipements, que celui dont vous disposez en Europe. Cela peut rapidement devenir un véritable problème de santé publique pour les paysans. Bien entendu, le coton Bt n’est pas la solution à tous nos problèmes, et nous sommes obligés de continuer à utiliser des pesticides.
Vous avez été l’un des premiers agriculteurs à avoir cultivé des variétés de coton transgénique. Pensez-vous que l’Inde pourrait profiter d’autres types d’OGM ?
En ce qui concerne le coton Bt, il s’agit incontestablement d’une grande avancée pour les paysans. Le fait de pouvoir intégrer à la semence une solution à un problème agronomique est probablement la façon la plus simple, la plus élégante et certainement la plus abordable –avec le téléphone portable– pour réaliser une nouvelle révolution verte en Inde et sortir les paysans de leur état de pauvreté.
C’est pourquoi notre pays investit beaucoup dans la recherche sur les biotechnologies végétales. Certains projets sont très avancés, avec des essais en plein champ. En effet, l’Inde dispose de toutes les techniques indispensables pour évaluer correctement la sécurité sanitaire des plantes transgéniques potentiellement mises sur le marché.
C’est le cas de l’aubergine Brinjal Bt, développée par le semencier indien Mahyto [détenu à 26 % par Monsanto], et approuvée par toutes les instances nationales de sécurité sanitaire, y compris le Comité d’autorité du génie génétique (GEAC). Or, pour l’instant, l’autorisation de mise en culture n’a pas été accordée en raison d’une vaste campagne organisée par des ONG hostiles aux biotechnologies.
Bien que le gouvernement ait admis que d’un point de vue scientifique, rien ne justifiait l’interdiction de Brinjal Bt, il a estimé qu’il devait prendre en compte les réticences de l’opinion publique. Il a donc adopté un moratoire au motif que des études scientifiques complémentaires seraient encore nécessaires. Le comble, c’est que nous utilisons régulièrement l’huile de coton Bt dans l’alimentation, sans que cela soulève le moindre problème !