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Le combat judiciaire contre la mutagénèse

Parallèlement aux opérations de destruction d’essais sur le terrain, les Faucheurs volontaires ont décidé de saisir le Conseil d’État afin d’obtenir l’interdiction des variétés issues de la mutagénèse.

Le 5 avril 2015, une parcelle d’essais de colza d’une superficie de 1,26 hectare a été saccagée par une soixantaine de faucheurs de science. La victime n’était pas l’une de ces multinationales américaines honnies des altermondialistes de tout bord, mais le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (Geves), l’organisme officiel et unique qui assure l’expertise des nouvelles variétés végétales pour les agriculteurs.

Les essais détruits étaient constitués de 120 variétés de colza. Pour certaines, les performances en rendement et en résistance aux maladies étaient en cours d’évaluation, tandis que pour d’autres, qui figurent déjà au catalogue officiel, il s’agissait de vérifier l’identité variétale. Rien de tout cela n’ayant de rapport proche ou lointain avec le débat sur les OGM, les militants-saccageurs issus de l’aile radicale du mouvement anti-OGM ont agi à l’aveugle, rasant et piétinant tout sur leur passage. « C’est bien de tout enlever pour dire qu’il n’y a pas de transparence, car on veut savoir ce qu’il y a dans nos assiettes et ce qu’on mange », clame l’un d’eux, faucheur à la retraite. Pourtant, depuis son installation en 2008 sur le domaine de l’Anjouère, près de La Pouëze (entre Angers et Segré), le Geves a toujours agi en toute transparence. Il est le garant de la qualité des semences et protège les agriculteurs, au nom de l’État, afin qu’ils disposent de variétés certifiées et surtout conformes à leur description. Toutes les agricultures – conventionnelle, raisonnée, productiviste, bio – profitent de ses services. Unique en son genre, un comité citoyen créé à l’initiative du maire de La Pouëze organise même des portes ouvertes en collaboration avec le Geves. Pourtant, dans leur égarement, ces Gardiens du bien affirment que le Geves constitue « l’un des maillons de la chaîne du blanchiment et d’acceptabilité des OGM en France » !

Pire, le Comité de soutien aux Faucheurs volontaires d’OGM du Maine-et-Loire justifie cette action de vandalisme en affirmant que les faucheurs ont « épuisé tous les recours légaux » contre ce qu’ils avaient d’abord baptisé « OGM clandestins », avant de choisir le terme plus politiquement correct d’« OGM cachés ». Le mensonge ne peut être plus gros ! Comme si ce groupuscule d’activistes, craignant le chômage technique depuis le moratoire sur le seul OGM autorisé à la culture en Europe, avait attendu l’épuisement des recours légaux pour organiser ses actions à vocation médiatique… Faut-il rappeler que la toute première opération contre des variétés de tournesol et de soja non OGM date du 24 juillet 2010, date à laquelle environ 200 faucheurs ont investi deux parcelles d’essais situées à Sorigny et à Saint-Branchs (37) ?

Trois mois plus tard, les mêmes s’en sont pris à une parcelle située à Saint-Léopardin d’Augy (03). Et depuis, l’histoire se répète chaque année : le 30 juillet 2011, les faucheurs agissent à Feyzin, le 28 août de la même année, à Saint-Martin-d’Août (26), le 7 septembre, à Ondes (31). Le 14 juillet 2012, ils sévissent à Au-berives-sur-Varèze (38). Le 2 avril 2014, ils détruisent des essais du Centre technique interprofessionnel des oléagineux et du chanvre (Cetiom) à Fontenoy-sur-Moselle. Les faucheurs agissent de jour, ou bien cachés, de nuit. Comme à Savary, près de Surgères, où une plateforme d’essais du Cetiom a été saccagée dans la nuit du 19 au 20 mai 2014. À chaque fois, les retombées médiatiques se limitent à quelques lignes dans la presse locale. Il est vrai que ni Jean-Luc Juthier – l’organisateur du vrai-faux fauchage de tournesols à Feyzin, organisé chez un ami de la Conf’–, ni l’artiste Thierry Baudry – le piétineur-citoyen d’un soir à Surgères –, n’ont l’appétence médiatique d’un José Bové. Ils ne font donc jamais la une du Figaro, ni encore moins celle du 20 heures de France 2. L’association anti-OGM Inf’OGM (dont la présidente et le vice-président sont tous deux des faucheurs) a beau tordre les faits en affirmant dans un article paru en avril dernier que « la mobilisation des Faucheurs s’intensifie », la réalité est bien différente. Lorsque José Bové était à la manœuvre, on recensait chaque année entre 10 et 20 actions qui suscitaient une couverture médiatique bien plus considérable ! Rien à voir avec les quelques actions de ces activistes intermittents, perdus dans leur folie destructrice…

Une députée sous influence

On peut d’ailleurs s’interroger sur l’utilité réelle de ces actions. S’agit-il d’intimider quelques coopératives qui, effrayées par la menace d’une « descente citoyenne » dans leurs locaux, oseraient à peine vendre des semences issues de la mutagénèse ? Ou bien de faire pression sur les pouvoirs publics ? Tel est en tout cas l’objectif d’un obscur collectif autobaptisé « l’Appel de Poitiers », qui a fourni l’« argumentaire » à la députée PS des Deux-Sèvres Geneviève Gaillard, afin qu’elle profite des débats parlementaires sur la loi biodiversité pour faire adopter un moratoire sur ces variétés, qu’elle qualifie de « fléaux ». « Vous connaissez la problématique. Le colza est une brassicacée, dont les pollens sont extrêmement légers et se répandent beaucoup. Les plantes de cette famille s’hybrident très facilement, ce qui multiplie les risques de contamination par le pollen. Les conséquences sont particulièrement graves sur les parcelles en agriculture conventionnelle. Ces plantes ne disent pas leur nom mais ce sont en fait des OGM », a-t-elle osé déclarer. « Il faut multiplier les doses d’herbicides pour se débarrasser des adventices parce que, qu’il s’agisse de cultures céréalières ou d’autres, elles deviennent elles aussi de plus en plus résistantes. C’est donc un cercle vicieux, la culture de telles semences oblige à utiliser de plus en plus de produits phytosanitaires », a renchéri la députée PS. Des propos sans fondement scientifique ! En effet, comme le confirme André Merrien, le directeur technique du Cetiom, l’objectif de ces variétés tolérantes aux herbicides est précisément d’éviter tout traitement préventif. C’est-à-dire avant la levée de la culture. Ainsi, l’agriculteur peut observer le développement des adventices et traiter sur mesure, à un stade précoce de la vie de la plante. « D’après nos expériences, l’utilisation de variétés VTH [tolérantes aux herbicides] peut entraîner des réductions de l’usage des herbicides d’un facteur de 10 (de 0,5 à 1 kilo de matière active par hectare à 40 grammes/ hectare) », témoigne André Merrien. On est donc clairement dans une démarche vertueuse conforme aux objectifs de réduction des produits phytosanitaires et actée par le Grenelle de l’environnement. Malheureusement, Geneviève Gaillard – certainement plus compétente en matière de gynogénèse chez l’amphibien Pleurodèles waltii michah qu’en ce qui concerne la culture du colza – n’a pas souhaité consulter l’avis du Cetiom sur cette question. Ni d’ailleurs la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, qui a exprimé son « accord sur le fond et sur l’analyse » avec sa collègue. Prudente, Mme Royal a toutefois préféré saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) « pour qu’elle nous fasse un point précis sur l’utilisation de ces semences, les éventuels risques associés, le ciblage des décisions opérationnelles à prendre ». Un rapport doit être présenté « avant la prochaine lecture de ce texte ». Voilà donc l’Anses saisie au sujet d’une technologie développée il y a maintenant presque un siècle et qui a fait ses preuves depuis une cinquantaine d’années, au simple motif qu’une horde de délinquants sévissent dans les campagnes françaises après avoir inventé le concept d’« OGM cachés »… Absurde !

Recours devant le Conseil d’État

Et ce n’est pas tout. Au nom d’un « collectif » de neuf associations anti-OGM, ce même Appel de Poitiers a engagé un recours devant le Conseil d’État au motif que ces variétés n’auraient pas été évaluées correctement. Preuve – s’il en fallait encore une ! – que toutes les voies juridiques n’ont toujours pas été épuisées, contrairement à ce que prétend l’un des faucheurs.

Derrière ce recours se dissimule un combat autrement plus dangereux que celui relatif aux seules variétés dites VrTH (variétés rendues tolérantes aux herbicides), habilement mises en avant dans le discours des opposants aux OGM. En effet, le point essentiel du recours, rédigé par Maître Guillaume Tumerelle – mais qui porte toutes les traces de la plume de Guy Kastler, le porte-parole radical du Réseau Semences Paysannes –, consiste à exiger l’abrogation de l’article D531-2 du Code de l’environnement. Bien que l’argument juridique soit technique, il mérite d’être analysé avec attention, car il permet de saisir la portée réelle de la guerre menée par Guy Kastler et ses amis contre l’industrie semencière. Pour le militant de la Conf’, nul besoin de grands ou de petits semenciers, car le paysan doit faire « le pari de l’autonomie ». C’est-à-dire baser sa production sur « l’utilisation de variétés de terroir ou paysannes, sélectionnées et multipliées dans ses champs ou dans des conditions semblables à celles de ses champs ». Autrement dit, il doit revenir à une forme modernisée – c’est-à-dire participative – de la sélection massale. Comme au début du siècle dernier !

Polémique sur l’article D531-2

En introduction, Maître Tumerelle rappelle dans son recours que le Code de l’environnement définit un OGM comme étant « un organisme dont le matériel génétique a été modifié autrement que par multiplication ou recombinaison naturelles » (D531-1). « Cette définition inclut tous les processus de modification génétique artificiels », note l’avocat. En effet, pris à la lettre, toutes les variétés qui ne seraient pas issues d’un croisement naturel seraient donc des OGM. D’où le terme d’« OGM caché ». Mais dans ce cas, la quasi-totalité de ce qui est aujourd’hui cultivé, y compris en agriculture biologique, est concerné ! Or, seules les variétés obtenues par transgénèse (l’introduction d’un gène étranger à la plante par un procédé artificiel) doivent subir les batteries de tests qu’exigent les autorités sanitaires internationales. Elles sont donc, selon la théorie de l’avocat, de très loin les variétés les mieux évaluées ! Mais au prix exorbitant de plusieurs millions d’euros par variété. Impossible d’imposer de telles contraintes aux variétés dites classiques. C’est la raison d’être de l’article D531-2 du Code de l’environnement, qui permet, par décret, d’exclure certaines techniques « qui ne sont pas considérées, de par leur caractère naturel, comme entraînant une modification génétique ou par celles qui ont fait l’objet d’une utilisation traditionnelle sans inconvénient avéré pour la santé publique ou l’environnement ». La mutagénèse en fait partie, de même que la fécondation in vitro, l’induction polyploïde, la fusion cellulaire, la fusion de protoplastes, l’autoclonage ou encore les processus naturels comme la conjugaison, la transduction, la transformation ou l’infection virale.

L’abrogation de l’article D531-2 aboutirait donc à exiger que toutes les variétés développées par ces méthodes soient évaluées avec la même lourdeur législative que celles issues de la transgénèse ! Car le cortège d’« OGM cachés » ne saurait s’arrêter à la mutagénèse… Une telle révolution signerait bien entendu la fin de l’industrie semencière et de l’agriculture moderne. Ce qui est l’objectif quasi-déclaré de Guy Kastler et de ses amis, comme en témoigne la tribune publiée dans Libération le 20 mars 2015 et signée notamment par José Bové, l’agronome altermondialiste Marc Dufumier et le militant écologiste anti-OGM Pierre-Henri Gouyon. « Ces OGM cachés, de quelque technologie dont ils sont issus [souligné par nous], correspondent à un modèle agricole à bout de souffle, dans lequel les manipulations génétiques et la chimie constituent les deux béquilles », peut-on y lire. Lors de sa création en juillet 2012, l’Appel de Poitiers était encore plus précis : « Le modèle agricole, aujourd’hui dominant, est à l’origine des multiples et trop lourdes atteintes à la biodiversité, qu’elle soit sauvage ou cultivée. OGM, pesticides, standardisation des plantes cultivées et espèces élevées, touchent directement les sols, les animaux pollinisateurs, les nappes phréatiques… Ce modèle exclut et menace les autres modes de production plus respectueux de l’environnement, et façonne la production mondiale en affamant les uns pour mal nourrir les autres ». Ainsi, ces « acteurs de la société civile [sic] […] s’engagent à se réapproprier leur rôle pour sortir de cette société productiviste et à respecter les Hommes et la nature ». Sortie de la société productiviste, standardisation des plantes cultivées, production mondiale qui affame les uns pour mal nourrir les autres, on est bien loin du risque de contamination par le pollen évoqué par Geneviève Gaillard, porte-parole – certainement à son insu – des thèses de la décroissance radicale…

Références :
 Des faucheurs d’OGM détruisent une parcelle de colza dans le Maine-et-Loire, Francetvinfo, avril 2014. 2.
 Une parcelle d’essais de colza détruite par des faucheurs volontaires, L’Alsace.fr, 5 avril 2014.
 3. Fauchage de colza muté dans le 49 pour dénoncer les OGM cachés dans nos huiles alimentaires !, site du CSFV49.
 4. L’appel-de-Poitiers, INf’OGM, juillet 2012.

 

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